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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 9 février 2011 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Le Sénat a adopté conformes les trois premiers articles du projet de loi organique – qui définissaient le périmètre du Défenseur des droits. Cela n'atténue en rien nos critiques de la première lecture car le texte reste frappé de quatre tares. Tout d'abord, il ne respecte pas l'intention du constituant : l'article 71-1 de la Constitution nous apparaît comme la constitutionnalisation du Médiateur de la République, et les débats que nous avions eus dans l'hémicycle au moment de la révision constitutionnelle n'infirment pas cette lecture. Ensuite, la nomination du Défenseur continue à relever du fait du prince, ce qui ne conduit pas spontanément à l'indépendance d'esprit. En troisième lieu, l'efficacité promise du Défenseur reste hypothétique : l'absorption de quatre autorités administratives indépendantes (AAI) en fait un mastodonte administratif, et nous n'avons aucune certitude quant aux moyens budgétaires qui lui seraient accordés à partir de 2012. Enfin, l'absence de collégialité effective réduira la capacité du Défenseur des droits à appréhender les domaines les plus techniques.

Nous continuons donc à regretter votre choix de faire disparaître des structures dont le ministre lui-même a reconnu les mérites. On peine d'ailleurs à suivre l'argumentation du Gouvernement : en présentant le texte en première lecture au Sénat en juin 2010, Mme Alliot-Marie avait expliqué la cannibalisation des AAI par une critique implicite de leur action ; quant à vous, monsieur le garde des Sceaux, vous nous avez expliqué le mois dernier, lors de la première lecture à l'Assemblée nationale, qu'elles donnaient toute satisfaction et qu'il convenait d'amplifier leur succès… Qu'elle s'accompagne de remontrances ou de flatterie, la réalité est la même : vous supprimez ces AAI ! Permettez-moi d'assimiler vos arguments à des sophismes…

Nous nous réjouissons – mais je crains, au vu des amendements du rapporteur, que notre satisfaction soit éphémère – que le rôle des collèges ait été partiellement rétabli par le Sénat : alors que vous aviez réduit ces collèges au rang de supplétifs, les sénateurs ont repris nos arguments pour rétablir leur consultation systématique. De même, le Sénat a convenu que si le Défenseur pouvait s'écarter d'un avis émis par un collège, il devait au moins s'en expliquer – disposition peu contraignante mais sage, que vous aviez écartée en première lecture et que, j'espère, vous allez cette fois accepter.

Nous nous réjouissons aussi que, dans le texte qui nous vient du Sénat, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne soit plus intégré dans le périmètre du Défenseur des droits. La mission du Contrôleur général est vraiment spécifique car il s'agit de contrôle, mais aussi de prévention. Décider de supprimer cette institution, même à échéance de 2014, comme vous l'aviez fait en première lecture, c'était fragiliser dès maintenant le Contrôleur général et la portée de ses recommandations.

Enfin, nous nous félicitons que les adjoints du Défenseur aient retrouvé un peu d'utilité. Vous étiez restés sourds à nos amendements prévoyant leur participation aux collèges, mais le Sénat en a reconnu la pertinence. Sa commission des Lois a aussi rétabli le modeste – très modeste – rôle du Parlement consistant en l'avis des commissions compétentes sur la nomination des adjoints ; c'est loin d'être suffisant, bien sûr, mais c'est un léger mieux par rapport au splendide isolement que vous aviez imaginé.

Ces avancées ne sauraient cependant nous suffire. Aussi avons-nous déposé des amendements qui traduisent diverses convictions.

Tout d'abord, nous considérons qu'un Défenseur des droits concentrant tous les pouvoirs dans ses mains est antinomique avec l'objectif poursuivi – la défense des droits fondamentaux. Nous souhaitons donc qu'il ne fasse pas disparaître la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et le Défenseur des enfants. Si vous deviez persister dans votre volonté de fusionner les AAI, le renforcement des adjoints dédiés serait une solution de repli.

Nous avons déposé à nouveau des amendements tendant à conforter le rôle du Parlement dans la désignation de ces adjoints.

Enfin, nous voulons donner un pouvoir décisionnel aux collèges, dans un but d'impartialité et de pluralité, et éviter les contestations du Défenseur, ce qui nous conduit notamment à militer pour que les avis rendus par les collèges soient publics.

Comme en première lecture, nous restons ouverts à la discussion. Nous avons tous intérêt à ce que les dispositions relatives au Défenseur des droits, autorité constitutionnelle, expriment une volonté commune. Chaque fois que vous souhaiterez renforcer les droits fondamentaux, nous vous approuverons ; mais en l'état actuel, ce texte ne nous permet pas de dire que nous allons voter pour.

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