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Intervention de Philippe de Ladoucette

Réunion du 2 février 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Philippe de Ladoucette :

Puisqu'il est d'usage pour un candidat de présenter en quelques mots les grandes étapes de sa carrière professionnelle, je dirai que la mienne a été consacrée successivement à trois domaines : l'aménagement du territoire, l'industrie, puis l'énergie. J'ai consacré vingt ans aux deux premiers et seize ans au dernier.

Je passerai rapidement sur la première partie de ce parcours, que j'ai essentiellement consacrée, à partir de 1974, date de mon entrée à la DATAR, aux questions de conversion industrielle, y compris sur le terrain, ayant été pendant cinq ans commissaire à l'industrialisation des Ardennes. Nous étions au lendemain du premier choc pétrolier et à l'époque des premiers plans de restructuration de la sidérurgie.

Je m'attarderai un peu plus sur la seconde période. C'est à partir de 1994 que j'entre réellement dans le monde de l'énergie en devenant président des Houillères du bassin du Centre et du Midi. Nommé président-directeur général de Charbonnages de France en février 1996, je le resterai durant dix ans, ayant été renouvelé deux fois par des gouvernements issus de deux majorités différentes. Ma mission était, dans le cadre du pacte charbonnier, d'organiser la fin de l'exploitation des mines françaises sans crise sociale. L'exploitation de la dernière mine s'est arrêtée en Lorraine, à la Houve en avril 2004, et je crois pouvoir dire qu'aussi douloureux que ce fût pour les hommes et les femmes concernées, tout s'est déroulé dans la plus grande dignité. Permettez-moi un commentaire personnel à cet égard : on ne sort pas de ce type d'expérience comme on y est entré, ne serait-ce que du fait de la richesse des expériences humaines rencontrées et de l'importance des décisions que l'on doit prendre.

Au cours de cette période, j'ai également, de 1996 à 2000, présidé la toute nouvelle filiale électrique de Charbonnages de France, la SNET. Ce fut une période passionnante, celle des premières directives européennes sur la libéralisation du secteur de l'énergie. La transposition de la directive de 1996 par la loi de 2000, qui ouvrait le marché aux gros consommateurs industriels en même temps qu'elle créait la CRE, posait la question du devenir de l'actionnariat de la SNET. Deux scénarios étaient envisagés : constituer un pôle public avec la Compagnie nationale du Rhône, la CNR, et la Société hydroélectrique du Midi, la SHEM, filiale de la SNCF, ou ouvrir le capital sur appel d'offres. C'est cette seconde voie qui fut choisie par le gouvernement en 2000, et c'est ainsi qu'ENDESA prit 30 % du capital de la SNET qui devint de ce fait la première société française de production électrique partiellement privatisée. C'était donner à la fois une perspective d'avenir au personnel et des gages à la Commission européenne. Tout en restant actionnaire principal, je laissai ensuite la présidence de la société à André Sainjon, qui mena à bien le développement de la SNET et parvint à la privatisation totale en 2004. Troisième producteur d'électricité sur le territoire national, cette société appartient désormais à E.ON.

J'en viens maintenant à la Commission de régulation de l'énergie, la CRE, dont j'ai été nommé président en avril 2006. Ayant eu l'occasion de vous rendre compte régulièrement de son activité, je voudrais simplement évoquer certains événements qui mettent en perspective les priorités d'aujourd'hui et de demain. Ces années ont été, en effet, ponctuées par quelques faits marquants pour le monde de l'énergie.

J'évoquerai d'abord l'augmentation, de 2004 à 2006, des prix de l'électricité sur le marché de gros, qui vous a conduits à instaurer le tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TaRTAM, afin d'éviter une perte de compétitivité brutale aux entreprises françaises. Cette décision est en partie à l'origine de la loi NOME, qui visait à répondre à la procédure engagée par la Commission européenne contre les tarifs réglementés, dont le TaRTAM.

Un autre fait marquant est le black-out électrique de novembre 2006, qui a touché, à partir de l'Allemagne, une grande partie de l'Europe et de la France. Cet événement a mis en lumière la nécessité d'une réelle indépendance des gestionnaires de réseaux de transport vis-à-vis de leurs maisons mères, dans le cadre d'une organisation verticalement intégrée, et a conduit la Commission européenne à défendre la séparation patrimoniale des entreprises intégrées du secteur de l'électricité. La France, parce que son système fonctionnait, et l'Allemagne, parce que le sien ne fonctionnait pas, ont défendu une option alternative, le modèle des opérateurs de transport indépendants, ITO. C'est ce modèle que la CRE aura à certifier dans les mois à venir.

Troisièmement, la crise du gaz russe, fin 2008, a révélé la vulnérabilité des pays européens et leur dépendance vis-à-vis des grands fournisseurs comme Gazprom. Cette prise de conscience a conforté la conviction qu'il fallait parachever le marché intérieur de l'énergie pour assurer sa sécurité d'approvisionnement, notamment en investissant dans les tuyaux ou en diversifiant les sources grâce à la construction de ports méthaniers permettant l'importation de gaz naturel liquide, GNL. Nous trouvons une traduction de ces préoccupations dans la troisième directive.

Quatrièmement, l'exploitation du gaz de schiste aux États-Unis a eu des conséquences sur le prix du gaz, notamment en induisant une décorrélation entre les prix des contrats à long terme, indexés sur celui du pétrole, et les prix de marché, qui ont considérablement baissé. Cette situation a conduit la CRE à réviser la formule de calcul des tarifs réglementés, en y introduisant 9 % de prix spot.

Cinquièmement, les grandes tempêtes que la France a connues ont désorganisé les réseaux de transport et de distribution, privant une partie de nos concitoyens d'électricité et de chauffage. Ces événements ont mis en exergue les questions de sécurité et de qualité des réseaux. Une mission d'information de votre commission travaille sur ce sujet, et la CRE y a consacré un rapport à la fin de l'année dernière.

Sixièmement, le discours du président Obama sur les réseaux intelligents, les smart grids, allait susciter un extraordinaire engouement en faveur de ceux-ci. En France, c'est la CRE qui s'est emparée du sujet en organisant il y a un an, à l'Assemblée, le premier colloque sur ce thème.

Il y a eu enfin – mais cette liste n'est pas exhaustive – le vote du paquet énergie-climat, au niveau européen, et du Grenelle de l'environnement, au niveau français, qui fixent un objectif de 23 % d'énergies renouvelables dans notre consommation énergétique d'ici à 2020. C'est dans ce contexte qu'il convient d'examiner les interrogations suscitées par des filières comme le photovoltaïque ou l'éolien offshore et par les coûts supportés par le consommateur au travers de la contribution au service public de l'électricité, la CSPE.

De ce passé récent découlent les grands sujets que la Commission de régulation de l'énergie va devoir traiter dans les prochains mois, voire les prochaines années, dans le cadre de la loi NOME et de la mise en oeuvre de la troisième directive.

Pour la clarté du débat, je retiendrai trois grandes priorités pour l'action de la CRE au cours des années à venir : contribuer à la sûreté des systèmes et à la sécurité d'approvisionnement ; améliorer la qualité et l'efficacité des réseaux ; créer les conditions d'une concurrence effective.

Sur le premier point, la responsabilité de la CRE sera de vérifier que la sécurité du système, tant au plan national qu'européen, est assurée par un niveau adéquat d'investissements dans les réseaux et par un nombre suffisant d'infrastructures. Le troisième paquet lui donne cette capacité en lui confiant la responsabilité d'approuver les plans d'investissement décennaux des gestionnaires de réseaux d'électricité et de gaz, en liaison avec l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie, l'ACER, qui aura pour tâche, à partir de mars, de veiller à la cohésion de ces plans au niveau européen.

La troisième directive introduit un autre élément fondamental : l'élaboration d'un système de règles d'accès aux réseaux, communes à toute l'Europe.

Ces éléments, qui paraissent un peu obscurs, sont néanmoins très importants, notamment pour le secteur du gaz, puisqu'ils vont définir le modèle de marché au travers des mécanismes d'allocation de capacités.

Ma participation depuis cinq ans aux travaux européens me conduit à la réflexion personnelle suivante : s'il est souhaitable d'aller vers une harmonisation du marché européen de l'énergie, j'estime en revanche que la volonté d'uniformisation que l'on sent poindre au travers d'une certaine dérive technocratique, est à combattre. Je suis ainsi convaincu qu'il faut laisser aux États membres une marge de manoeuvre, afin que les spécificités des marchés nationaux soient mieux prises en compte.

J'ajouterai que l'un des grands problèmes de la construction du marché européen de l'énergie provient de l'approche différente du « mix » énergétique par la France et par l'Allemagne. Je voudrais éviter que nous connaissions dans le secteur du gaz ce qui s'est passé en matière électrique, où c'est le modèle allemand qui l'a emporté. Défendre les intérêts français : telle est la ligne de la CRE, et celle que je serai conduit à réaffirmer si je suis reconduit à sa tête.

La question de la qualité et de l'efficacité des réseaux a donné lieu à beaucoup de discussions, sinon de controverses. Il y a cependant un constat partagé : celui de la dégradation de la qualité de l'alimentation électrique. Ainsi la durée moyenne des coupures augmente depuis plusieurs années. C'est pourquoi le renforcement des outils de surveillance de cette qualité d'alimentation et du bon fonctionnement des réseaux constitue une priorité de la CRE. Lors de l'élaboration du TURPE 3, entré en vigueur le 1er août 2009 pour une durée de quatre ans, la CRE a privilégié la trajectoire d'investissement la plus favorable à l'amélioration de la qualité d'alimentation, avec 20 % d'investissements supplémentaires. ERDF a, quant à elle, prévu d'y investir au cours de cette période 3,3 milliards d'euros.

Le diagnostic de la CRE, que j'ai présenté à la mission d'information sur la sécurité des réseaux conduite par MM. Gaubert et Proriol, montre qu'il faut renouveler les réseaux basse tension aériens à fils nus et faire porter l'effort sur les réseaux haute tension de classe A (HCA) ainsi que sur les « points noirs », situés le plus souvent au niveau des queues de distribution, où les coupures sont fréquentes. Ce sera incontestablement un des principaux sujets de discussion lors de l'élaboration du TURPE 4.

L'amélioration de l'efficacité des réseaux passe également par l'utilisation des technologies de l'information et de la communication et par le développement du comptage évolué. C'est le projet Linky, sur l'expérimentation duquel la CRE aura à donner son avis en avril prochain. C'est aussi tout l'objet de la réflexion que nous avons lancée, il y a un an, sur les réseaux intelligents afin de permettre à l'ensemble des acteurs d'échanger et d'enrichir la réflexion prospective sur ce sujet. Je suis en effet convaincu que les smart grids sont un instrument d'amélioration de la qualité d'alimentation des réseaux électriques. Nous n'avons d'ailleurs pas le choix si nous voulons réussir l'insertion sur le réseau des moyens de production décentralisés, c'est-à-dire des énergies renouvelables.

Notre troisième priorité est de créer les conditions d'une concurrence effective. C'est d'abord une question de confiance, et pour avoir confiance, il faut être certain que les marchés ne sont pas manipulés. La surveillance des marchés de gros, que vous avez confiée à la CRE en 2007, apporte de ce point de vue une réponse satisfaisante.

En outre, la CRE va désormais, en liaison étroite avec l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, surveiller le marché des permis d'émission de CO2, en vertu d'un accord de coopération signé avec Jean-Pierre Jouyet en décembre dernier. Cet accord fait de la France le premier pays européen à anticiper les dispositions du projet de règlement européen sur l'intégrité et la transparence des marchés de l'énergie, que la Commission européenne vient de rendre public. En outre, la CRE a désormais la responsabilité de surveiller le marché de détail. Elle va, enfin et surtout, mettre en oeuvre la loi NOME.

Au-delà du sujet central qu'est la fixation du prix de l'ARENH, la CRE en définira beaucoup de modalités pratiques, son nouveau collège devant prendre plus d'une dizaine de délibérations à cet égard au cours des mois de mars et avril. Il doit notamment émettre un avis sur le projet de décret que le Gouvernement lui soumettra ; rédiger l'accord-cadre, c'est-à-dire le contrat liant EDF et chacun des fournisseurs ayant droit à l'ARENH ; décider du contenu de la déclaration d'enregistrement ; définir celui du dossier de demande d'ARENH ; enfin et surtout donner un avis sur les différents arrêtés définissant les modalités de calcul des droits, la modulation du produit et, évidemment, le prix de cession.

Concernant le prix de départ, qui doit être « en cohérence » avec le TaRTAM, je rappellerai qu'il n'y a pas de définition scientifique de ce que doit être cette cohérence. En dehors du portefeuille de clients au TaRTAM, sur lequel il n'y a pas de discussion possible, la CRE étant la seule à le connaître, ce sont essentiellement deux facteurs qui déterminent le résultat : les prix de marché, dont les cotations évoluent chaque jour, et la quantité d'ARENH allouée à un portefeuille. Chaque modification apportée à l'un de ces éléments modifie le prix final. Dans une hypothèse, par exemple, de 80 % d'ARENH et de prix de marché de 55 euros en base et de 75 en pointe, comme en juin dernier, on obtient un résultat inférieur à 40 euros. En revanche, à partir des prix de marché du 14 janvier dernier – 55 euros en base et 67 en pointe, soit un écart historiquement bas – et en restant dans l'hypothèse de 80 % d'ARENH, le résultat est supérieur à 40 euros. À partir des mêmes hypothèses de prix mais avec 85 % de volume, il est supérieur à 41 euros. Avec un volume de 78 %, on est aux environs de 39 euros. Autrement dit, en fonction des hypothèses retenues, le résultat final se situe dans une fourchette comprise entre plus ou moins 38 et plus ou moins 42 euros.

Il en ressort que la « cohérence avec le TaRTAM » est fortement tributaire des hypothèses de calcul retenues. En ce qui concerne le choix des prix de marché, on peut envisager plusieurs possibilités : soit des moyennes des prix calendaires des années 2011 et 2012 à partir des années 2009 et 2010, pondérés par les volumes échangés sur les bourses, soit les prix de marché observés tel jour, soit en lissant une moyenne sur plusieurs mois, etc. La CRE mettra à disposition son expertise à cet égard.

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