Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, à la fin du XVIe siècle déjà, Montaigne dénonçait l'accumulation des règles écrites en France : « Nous avons en France – écrivait-il – plus de lois que le reste du monde ensemble. »
Aujourd'hui, la question du foisonnement des normes a encore gagné en pertinence.
En effet, la proposition de loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit que nous examinons ce soir témoigne, par sa volonté d'y remédier, de la complexité de notre législation.
Dans un État régi par près de 10 000 lois et 130 000 décrets, caractérisé par une juxtaposition de réglementations locales, nationales, communautaires et internationales, le citoyen peine à identifier ce qui lui est permis ou interdit.
Cette insécurité juridique a pourtant fait l'objet de nombreuses mises en garde. On connaît en effet le jugement sans appel de l'ancien Président de la République Jacques Chirac dans un discours prononcé le 19 mai 1995 : « Trop de lois tue la loi. » On se rappelle l'avertissement donné par le Conseil d'État dans son rapport public de 1991 : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu'une oreille distraite. »
L'inflation législative représente en effet un risque dont nous, parlementaires, devons être pleinement conscients.
Car il existe bel et bien un risque : risque d'une prolifération désordonnée des textes, risque d'une instabilité croissante des règles, risque d'une dégradation manifeste de la norme.
En bref, il existe un risque d'insécurité juridique.
Or si cette difficulté à déterminer ce qui est permis et interdit par le droit applicable est forte pour l'ensemble de nos concitoyens, elle est nettement accrue pour ceux d'entre eux qui résident dans les collectivités ultra-marines soumises à la règle de la spécialité législative.
Je parle ici des Français de Mayotte – pour quelques semaines encore –, de Saint-Barthélémy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Wallis-et-Futuna, de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie.
En effet, au-delà de la question du foisonnement des textes, ces Français ultra-marins se doivent de déterminer si la législation qui leur est applicable est métropolitaine – c'est-à-dire nationale – ou locale.
Plus encore, quand bien même le domaine concerné serait de compétence étatique, les textes nationaux ne sont applicables dans les collectivités à spécialité législative que si une mention expresse, propre à chaque collectivité, le prévoit.
C'est d'ailleurs pour cette raison que l'article 158 de la présente proposition de loi prévoit expressément que certaines simplifications seront applicables dans les territoires d'outre-mer à spécialité législative. Je m'en félicite.
Ainsi, dans ces collectivités d'outre-mer, pour connaître la réglementation applicable, un citoyen doit dans un premier temps établir si le domaine concerné est de compétence étatique ou locale ; et, dans un second temps, si le domaine est de compétence étatique, il doit déterminer si les textes nationaux ont bien été expressément étendus.
Quand on sait que nombre de répartitions de compétences requièrent, dans le silence ou l'imprécision des textes, l'avis du Conseil d'État, on se prend à douter de la validité du fameux adage « nul n'est censé ignorer la loi ».
Or cette insécurité juridique, renforcée dans les outre-mer à spécialité législative, a un coût, non seulement en termes d'attractivité économique au niveau national – de l'ordre de trois points de PIB selon l'OCDE –, mais surtout en termes politiques et sociaux : déqualification de la norme, sentiment de défiance des citoyens par rapport à la loi.
C'est pourquoi des réformes ont été engagées depuis près de trois décennies.
En effet, qu'il s'agisse de la recréation de la commission supérieure de la codification en 1989, de l'introduction d'études d'impact préalables à l'élaboration de nouvelles législations et réglementations en 1995, ou encore de la mise en place du site Légifrance en 2002, de nombreuses mesures ont visé à rétablir l'accessibilité et la lisibilité du droit, et partant la confiance du citoyen dans la norme.
Le travail que vous avez mené, monsieur le président de la commission des lois, cher collègue Jean-Luc Warsmann, et qui a été concrétisé par les lois du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit et du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures ainsi que par la présente proposition de loi, répond à la même ambition. Soyez-en remercié.
Il me semble alors révélateur que dans la proposition que nous examinons ce soir un article spécifique ait été consacré au problème de la complexité du droit outre-mer.
En effet, la version initiale de l'article 7 de la présente proposition de loi proposait d'abroger les dispositions législatives antérieures au 1er janvier 1900 applicables dans les collectivités ultra-marines à spécialité législative deux ans après la promulgation de la loi. Pendant ce délai, le Gouvernement devait recenser les dispositions dont le maintien en vigueur apparaissait comme nécessaires.
Cet article présentait, certes, un caractère radical, souligné par le Conseil d'État dans son avis sur la proposition de loi. La forte insécurité juridique dont souffrent les outre-mer à spécialité législative semble toutefois requérir des solutions énergiques.
La version modifiée de l'article 7 qui nous est présentée est beaucoup plus modérée : elle se limite en effet à demander au Gouvernement de remettre, avant le 1er avril 2012, un rapport recensant les lois applicables outre-mer issues de textes antérieurs à 1900, afin de déterminer celles qu'il conviendrait d'abroger. Cette version, nettement moins ambitieuse, a toutefois le mérite de faire réaliser d'ici quatorze mois un recensement de ces normes anciennes en vigueur outre-mer.
Mais si l'article en question restreint son champ d'application à une période assez éloignée chronologiquement – les dispositions antérieures à 1900 – et témoigne à ce titre du sens de la mesure de son rédacteur, d'autres solutions bien plus radicales sont également envisagées pour lutter contre le manque de lisibilité et d'accessibilité du droit ultra-marin.
Je me permets ici de développer quelque peu cette question des solutions que je qualifie de radicales pour réduire l'insécurité juridique. La question qui se pose, de manière générale, est celle de l'efficacité des différents moyens destinés à limiter la complexité et l'abondance de nos normes.
Ainsi, la centralisation de la compétence normative entre les mains d'une seule autorité pourrait apparaître comme une réponse possible au problème de l'enchevêtrement des normes.
Cette solution a été choisie, conformément au processus d'approfondissement de l'autonomie, pour le droit du travail et le droit des assurances en Nouvelle-Calédonie.
Une part de l'insécurité juridique s'est trouvée ainsi réduite : la Nouvelle-Calédonie est seule autorité normative en droit du travail et en droit des assurances. Pour autant, si la sécurité juridique a été en partie restaurée dans ces domaines, le droit concerné n'a pas toujours gagné en qualité.
Ainsi, le transfert du droit des assurances en Nouvelle-Calédonie s'est soldé par un gel, certains parlent même de fossilisation, du droit applicable à la date du transfert. On peut craindre le même sort d'ailleurs pour le droit civil et le droit commercial, s'ils venaient à être transférés comme cela est rendu possible par l'accord de Nouméa.
Les solutions radicales aux problèmes de l'insécurité juridique ne sont pas dénuées de risques. Cette question n'est d'ailleurs pas spécifique à l'outre-mer, et c'est pourquoi je me suis permis de la développer quelque peu.
Le mouvement de décentralisation qui a caractérisé les trois dernières décennies a généré un véritable enchevêtrement des compétences et une baisse de la lisibilité du droit applicable. Pour autant, personne n'a souhaité remédier à cette insécurité juridique nouvelle par une centralisation de la compétence normative à un seul échelon. La complexité du droit traduit en effet à ce moment-là la volonté de conférer à chaque niveau de collectivité la compétence qu'il est le mieux à même de mettre en oeuvre.
Un retour à une autorité normative unique favoriserait sans doute la lisibilité de la norme applicable, elle réduirait en revanche la capacité d'adaptation de la règle. C'est donc davantage dans des mesures progressives, à l'image de la codification à droit constant, de l'évaluation a priori de projets de loi, de la suppression des textes dont le caractère désuet a été démontré, que nous nous devons de rechercher la restauration de la confiance de nos concitoyens dans la norme de droit.
La proposition de loi que nous examinons ce soir s'inscrit pleinement dans cette ambition d'une sécurité juridique améliorée, pour l'ensemble du territoire national, France métropolitaine et France d'outre-mer, ce dont je tiens à féliciter l'auteur. C'est notamment pour cette raison que je la voterai. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)