Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans son rapport public annuel consacré à la sécurité juridique, le Conseil d'État a exprimé, dès 1991, ses préoccupations quant à la complexité toujours plus grande du droit, complexité caractérisée par la prolifération désordonnée des textes, l'instabilité croissante des règles, la dégradation manifeste de la norme.
C'est une préoccupation largement partagée sur ces bancs, bien que nous n'ayons pas vu la majorité s'offusquer de la multiplication des textes de circonstance qui gouvernent notre agenda parlementaire depuis le début de la législature. Force est pourtant de constater que la multiplication des annonces et autres initiatives élyséennes se traduit par la prolifération de nouveaux textes, qui renforcent encore la complexité du droit et ses corollaires, l'illisibilité, l'incohérence et l'inefficacité.
Dès lors, il n'est pas étonnant que l'insécurité juridique et la dégradation de la qualité du droit atteignent aujourd'hui des proportions aussi préoccupantes.
Nous sommes donc convaincus que la représentation nationale se devait se saisir de cette question, d'en débattre, de chercher les voies et moyens de clarifier la norme, de la rendre plus lisible et plus applicable.
Il reste que la proposition de loi soumise à notre examen aujourd'hui dite « de simplification » est la cinquième du nom et qu'elle est très loin de simplifier notre droit.
Des professeurs de droit, tel Pierre Delvolvé, se sont émus de cette démarche, jugeant que la simplification du droit était « une formule si creuse et si vague qu'elle ne peut donner son unité à un dispositif qui part dans tous les sens ». Votre texte nous en offre la parfaite illustration.
D'autres, comme le professeur Bertrand Seiller, notent que la simplification « peut être paradoxalement elle-même une source de complexité ». Votre texte ne fait là encore pas exception.
Votre proposition de loi, qui comportait à l'origine près de 150 articles, aborde des thèmes aussi divers et complexes que le droit pénal, le droit rural, la fiscalité, la transposition de la directive « Services », les collectivités territoriales, les groupements d'intérêt public, le droit de l'urbanisme, et j'en passe.
C'est un fourre-tout plus obscur encore que celui de la précédente proposition de loi, qui avait abouti à la grave et lamentable affaire de la Scientologie.
Tout le monde avait alors reconnu qu'il y avait un problème, et convenu de la nécessité d'adopter une autre démarche, notamment en saisissant l'ensemble des commissions au fond, et en réalisant de véritables analyses d'impact.
Les leçons de cet épisode désastreux n'ont visiblement pas été tirées.
Le Sénat a supprimé à juste titre des articles qui n'avaient pas leur place dans cette proposition de loi, comme nous l'avions dit lors du débat en première lecture – je pense aux dispositions relatives à l'urbanisme, à celles touchant à la loi Informatique et liberté ou à celles concernant la fonction publique. Le Gouvernement a lui-même déposé un certain nombre d'amendements de suppression.
Chacun a pris conscience qu'on a voulu faire passer dans un véhicule législatif intitulé « simplification du droit » des dispositions qui n'avaient rien à y faire – comme le prouve le fait que certaines ont trouvé place dans des textes spécifiques adoptés par la suite.
De très nombreux articles restent malgré tout en discussion, dont soixante-douze nouveaux, qui relèvent là encore de domaines très variés, sans que l'on puisse en mesurer précisément les conséquences.
Ce n'est pas sérieux.
Comme le rappelait très justement notre collègue Jean-Michel Clément, deux principes auraient dû présider à notre travail : le souci de légiférer à droit constant, et celui de ne pas aller trop vite afin de « prendre le temps de recueillir les avis nécessaires ».
Le président de la commission des lois se félicite pour sa part d'avoir conduit ce travail en amont, avec le Conseil d'État, dans le cadre de la procédure de consultation sur les propositions de lois. Onze rapporteurs ont été chargés de l'examen des différents articles ; les cinq sections administratives ont été saisies du texte. Des représentants du Gouvernement et de l'administration centrale ont apporté leur contribution au travail des rapporteurs.
Quel contraste entre, d'un côté, le temps et les moyens énormes consacrés au travail administratif et technique préparatoire, et, de l'autre, ceux, dérisoires, consacrés au débat démocratique du Parlement, dont nous aurions pu imaginer qu'il soit associé plus étroitement à ce travail !
Cela pose par ailleurs une question de fond : n'assistons-nous pas, en l'occurrence, au déplacement du pouvoir délibératif du Parlement vers le Conseil d'État, en violation de l'article 24 de la Constitution ? C'est une dérive dangereuse : le Conseil d'État n'est ni ne doit être le législateur.
Comme à l'ordinaire, vous usez des institutions comme si elles étaient votre chose. Nous doutons fort que la démocratie y trouve son compte.
Car, en réalité, votre texte ne se contente pas d'opérer un toilettage du droit. Une partie seulement des articles de ce texte clarifient des normes contradictoires ou imprécises. Les autres ne simplifient pas le droit : ils le changent.
Certains articles modifient ainsi le droit pénal, abrogeant massivement des dispositions du code pénal sans en préciser clairement ni les raisons ni les effets. Aucune étude d'impact n'a été portée à notre connaissance.
D'autres articles auraient mérité de faire l'objet d'un projet ou d'une proposition de loi spécifiques, tels les articles d'ordre fiscal ou ceux modifiant le code de l'urbanisme.
Quant aux autorisations de légiférer par voie d'ordonnance pour transposer des directives, constituent-elles une simplification du droit ? On peut se poser la question. Nous estimons pour notre part qu'il s'agit davantage d'une simplification du travail législatif lui-même, préoccupante dans son principe dès lors que ce recours aux ordonnances ne se justifie d'aucun motif d'urgence. Or l'urgence seule devrait justifier le recours à cette procédure qui, dans une démocratie parlementaire, doit demeurer l'exception et non la règle. C'est encore plus vrai s'agissant d'un texte visant l'amélioration de la qualité du droit et de la loi.
Au fond, sous prétexte de simplifier le droit, le Parlement se voit partiellement dessaisi de son pouvoir législatif. Cette façon de faire est indigne et méprisante pour la représentation nationale.
Monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, nous ne sommes pas seulement las de travailler dans la précipitation, avec un ordre du jour surchargé, et sans cesse modifié, mais indignés par la façon dont le Parlement travaille. Nous voulons exercer nos prérogatives dans la sérénité.
Pour toutes ces raisons de méthode et de fond, nous rejetterons en bloc cette proposition de loi. Nous aurions pu soutenir un certain nombre de dispositions du texte, mais reconnaissons que nous n'avons pas, comme d'autres groupes parlementaires, la possibilité d'expertiser la totalité du texte. Je rappelais tout à l'heure ce qui était arrivé lors du vote du précédent texte : après cela, un principe de précaution élémentaire nous oblige à nous tenir à l'abri de tels ratés.
Nous refuserons, pour notre part, de cautionner une telle démarche qui a ignoré le devoir de transparence auquel les parlementaires ont droit.