Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur le prélèvement au titre de la participation de la France au budget communautaire intervient dans un contexte exceptionnel.
La construction européenne connaissait une crise existentielle sans précédent, après les désaveux des peuples français et hollandais lors du référendum de 2005, et le récent rejet du traité de Lisbonne par les Irlandais. Aujourd'hui, la crise financière et économique témoigne des conséquences de l'application des politiques économiques et monétaires fondées sur les dogmes de l'Europe libérale que sont le pacte de stabilité, la marchandisation de toutes les activités humaines et l'indépendance de la Banque centrale européenne.
L'activisme des dirigeants européens – du traité de Maastricht jusqu'au traité de Lisbonne – en faveur de la dérégulation, de la déréglementation et d'une politique économique et monétaire tout entière tournée vers la spéculation est responsable de la déconnexion entre économie de production, économie réelle et marchés financiers. La crise a rendu caduques ces orientations ; elle rend par là même caduc le traité néolibéral de Lisbonne.
Par ailleurs, il est singulier de voir les thuriféraires du libéralisme réclamer plus de participation publique pour sauver les banques. Il serait tout aussi singulier de voir l'État revendre ces participations dès que le marché redeviendrait lucratif. Ces solutions qui conduisent l'État à participer, lui aussi, au casino boursier mondial sont des leurres face à cette crise profonde, qui annonce chômage, délocalisations, précarisation, et qui risque de se traduire par une crise sociale sans précédent, en France et dans le monde. Les salariés de Renault et ceux de Peugeot, mis au chômage technique, en sont déjà les victimes.
La présidence française de l'Union européenne a lieu au moment précis où la crise du capitalisme – car il faut appeler un chat un chat – rejoint la crise de légitimité démocratique que traverse la construction européenne.
Dans ce contexte, le projet de budget communautaire porte-t-il une nouvelle ambition pour l'Europe ? Est-il à la hauteur des enjeux que soulèvent ces deux crises ? Répond-il aux peurs des Européens de voir leurs emplois menacés ? Leur assure-t-il des protections sociales supplémentaires ? Engage-t-il l'Europe vers plus de solidarité ? Propose-t-il un autre modèle de développement solidaire et responsable ?
L'histoire du budget européen est marquée par des confrontations entre les États membres, entre les États membres et les institutions de l'Union, voire entre les institutions de l'Union elle-même. Les égoïsmes financiers nationaux sont souvent au coeur de ces confrontations dont l'enjeu pour l'Union européenne est de disposer de ressources suffisantes pour mener à bien ses politiques.
Les calculs comptables des dépenses des États membres et des retours nationaux déprécient les discussions et contreviennent à l'esprit de solidarité qui devrait animer la construction européenne. Au moment où les Européens attendent plus que jamais de l'Union une politique de solidarité, on peut déplorer la forte baisse des paiements – moins 14,5 % – dans le projet de budget pour 2009. Il faut au contraire veiller à ce que les ressources nécessaires aux politiques de cohésion demeurent garanties afin de pouvoir relever les défis actuels et futurs.
Il est nécessaire de lutter contre les disparités économiques, sociales et territoriales. C'est sur ce plan que l'Europe est attendue par les peuples. Or le fait que France n'ait pas fait de la mise en place d'une politique de solidarité l'une de ses priorités est une nouvelle occasion ratée pour faire advenir ce qu'attendent vraiment les peuples européens : l'instauration d'un droit social européen qui lutte contre la mise en concurrence des citoyens. Le Président Nicolas Sarkozy s'y était pourtant engagé le 27 février 2007, à Strasbourg. « Je veux une Europe à l'intérieur de laquelle aucun État ne puisse pratiquer le dumping social », déclarait-il. Mais la France n'a pris aucune position sur les décisions de la Cour de justice européenne remettant en cause les principes du salaire minimum et de la clause sociale. À l'inverse, la sécurité a constitué l'une des grandes priorités de la présidence française. Le budget européen reprend à son compte cette volonté. Près de la moitié des crédits d'engagement de la sous-rubrique « Liberté, sécurité et justice » seront consacrés au programme-cadre « Solidarité et gestion des flux migratoires ». Sous un intitulé prêtant à confusion, cette politique européenne s'inscrit en réalité dans un mouvement répressif qui se vérifie également au niveau des États membres avec le pacte européen sur l'immigration et l'asile adopté au Conseil européen des 15 et 16 octobre derniers.
L'Union européenne ne doit pas se muer en forteresse des temps modernes. Le visage de l'Union européenne ne peut se réduire à des politiques fondées sur des systèmes de contrôle policier sophistiqués, sur le recul de la politique d'asile, sur les centres de rétention. Les murs et les réglementations n'empêcheront pas l'exode des hommes et l'immigration de la pauvreté, que la crise du capitalisme accentuera. Au niveau mondial, ce sont 25 000 milliards de dollars qui ont été dépréciés par la crise – dont le processus est loin d'être terminé –, alors que seulement 30 milliards de dollars par an permettraient d'éradiquer la famine et d'assurer l'autosuffisance alimentaire sur la planète.
D'autres politiques migratoires et de développement doivent être menées, des politiques fondées sur la justice, sur le respect des droits et de la dignité humaine, sur l'ouverture aux autres. La France aurait dû s'opposer à la directive votée par le Parlement européen en juin dernier, prévoyant l'enfermement pour une durée pouvant atteindre dix-huit mois des migrants non communautaires. Par ailleurs, les faibles moyens alloués au volet « Droits fondamentaux et justice », dont les crédits de paiement baissent même de 18,4 % par rapport au budget pour 2008, sont préoccupants.
La baisse des crédits d'engagement et de paiement de la sous-rubrique « Citoyenneté » est également inquiétante, dans la mesure où elle aura des répercussions sur des questions au centre des préoccupations des citoyens européens : la santé publique, la protection civile, le financement de programmes culturels.
S'agissant des actions extérieures, le budget octroyé reste dérisoire, ce qui est d'autant plus flagrant au regard des 1 700 milliards déployés par les États membres pour secourir les banques. L'insuffisance des moyens alloués au Kosovo, au Moyen-Orient, à l'aide alimentaire est inadmissible. En tout état de cause, cela confirme que l'Union européenne n'est pas prête à s'imposer comme un acteur mondial sur la scène internationale, alors qu'elle aurait vocation à occuper une place essentielle.
Le maintien en l'état de la politique agricole commune, qui représente plus de 42 milliards versés à seulement 25 % des agriculteurs européens, déséquilibre les échanges mondiaux. La PAC tire vers le bas les prix des productions des pays pauvres. Cette politique favorise les émeutes de la faim que connaissent ces pays.
Nous ne pouvons que manifester notre vive inquiétude quant au recul des ambitions progressiste, humaniste et de coopération que devrait avoir l'Union européenne envers les autres peuples. En définitive, nous considérons que le budget de l'Europe n'est pas à même de permettre à l'Union de financer des politiques communes ambitieuses et solidaires et de répondre aux attentes des peuples. Au-delà de la question, toujours éludée, d'une véritable augmentation du budget européen, la question fondamentale de la répartition des crédits est significative de l'orientation de la construction européenne.
Ce que l'on demande au Parlement de voter aujourd'hui ne correspond pas à l'ambition que nous avons pour l'Europe. Tant que ce budget fera le choix d'une Europe qui refuse de s'engager vraiment dans la justice sociale et la solidarité internationale, nous ne pouvons qu'appeler à voter contre l'article 33 de ce projet de loi de finances.