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Intervention de Michel Raison

Réunion du 15 décembre 2010 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Raison :

Permettez-moi, à mon tour, de vous adresser toutes mes félicitations pour le rôle prépondérant que joue la France dans les négociations européennes. J'en veux pour preuve le récent assouplissement des règles de concurrence dans le secteur laitier.

En tant que rapporteur du projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, j'ai suivi de près l'élaboration du décret que vous venez nous présenter et qui a fait l'objet de nombreux échanges entre vos services et les services du ministère de l'écologie.

Si l'article 28 de la loi doit s'analyser à la lumière des débats qui ont eu lieu lors de l'examen de la loi sur les distorsions de concurrence intra-européennes et sur la nécessité de redonner des marges de compétitivité à nos exploitants, il ne vise aucunement à exonérer les éleveurs de quelque prescription environnementale que ce soit. Ce n'était pas l'objet de l'amendement initial de Marc Le Fur ; ce n'est pas non plus l'objet de ce projet de décret, lequel doit simplement faciliter certaines procédures afin de favoriser des restructurations indispensables, tant au niveau économique qu'au niveau démographique.

Je tiens à être précis sur les finalités de ce décret, beaucoup d'inexactitudes ayant été proférées sur l'article 28 de la LMAP et sur les intentions de ses auteurs. Notre objectif, aujourd'hui, est de nous assurer que la lettre du décret est conforme à l'esprit de la loi et, en quelque sorte, que la mémoire de nos débats soit respectée, car, monsieur le ministre, Sans mémoire, le présent se vide – pour reprendre le titre de votre livre… En somme, nous devons trouver un équilibre entre exigences environnementales et impératifs économiques.

Sur le fond, je n'ai que peu ou pas de remarques à faire concernant la modernisation des exploitations. Je regrette seulement que ne soient pas visées plus précisément les actions de modernisation économique, à l'origine de l'article 28. Cependant, la formulation du c) du 1° de l'article R. 515-54 concernant les « démarches reconnues comme positives par les pouvoirs publics » est suffisamment large pour inclure ce type d'actions. J'espère que les préfets auront consigne d'interpréter avec souplesse ces dispositions.

Par ailleurs, je m'interroge sur le critère de l'amélioration des conditions de travail des salariés. Vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, qu'il existe des exploitants agricoles sans salariés ; il serait juste qu'ils soient également visés au b) du 1° de ce même article, ayant droit, eux aussi, à une amélioration de leurs conditions de travail.

Je me félicite qu'une procédure spécifique ait été prévue à l'article R. 515-56 pour les cas où des exploitations soumises à déclaration se regroupant ou se modernisant viendraient à dépasser le seuil de l'autorisation : cela va dans le bon sens.

Mes remarques concernent surtout les conditions de regroupement, et plus précisément les limites posées à l'augmentation de l'effectif des élevages regroupés. Je rejoins les professionnels, qui s'accordent tous à considérer que l'accumulation des critères visés aux alinéas a) à e) du 3° de l'article R. 515-53 est beaucoup trop restrictive.

Le premier critère concerne le regroupement qui ne doit pas excéder deux fois l'effectif initial. On peut parfaitement admettre qu'en termes d'acceptabilité du public et surtout du voisinage, une limite soit nécessaire. Mais celle-ci pénalisera particulièrement les petits élevages autorisés, sans empêcher une croissance proportionnellement plus importante des élevages les plus gros.

Le deuxième critère a trait aux seuils fixés dans la directive IPPC qui ne doivent pas être dépassés. Cette exigence se révélera extrêmement pénalisante, rendant même inopérant le dispositif pour les élevages de volailles, dont le seuil d'autorisation est à 30 000 et le seuil IPPC à 40 000.

La question du franchissement des seuils IPPC constitue toutefois un obstacle juridique difficile à surmonter : la directive 9661 prescrit qu'au-delà de ces seuils, l'étude d'impact doit prendre en compte les meilleures techniques disponibles, ce que ne fait pas l'étude d'impact dans le cadre d'une demande d'autorisation lambda. Le risque identifié par vos services étant un contentieux avec la Commission européenne, je ne m'étendrai pas sur ce critère.

Enfin, le troisième critère, qui porte sur la limite de la hausse à deux fois l'effectif du seuil d'autorisation, me semble très contestable, donc améliorable. Pourquoi cette limite supplémentaire ? Pourquoi la fixer à deux fois le seuil d'autorisation et non pas à trois ou quatre fois ? Ce chiffre constitue certes le doublement de la limite aujourd'hui admise par la circulaire relative au guide d'appréciation des changements notables en installations classées d'élevage soumises au régime de l'autorisation, mais a-t-il été expertisé espèce par espèce ?

Par ailleurs, pourquoi ne pas avoir fixé des critères différents selon les types d'élevage ? Les besoins ne sont pas les mêmes dans les élevages bovins, porcins et avicoles. En voulant faire simple dans la définition des règles et appliquer le même régime à tout le monde, on prend le risque de s'éloigner de la réalité du terrain. J'en reviens à la limite de deux fois le seuil d'autorisation : pour être conforme à l'esprit de la loi et à l'objectif de modernisation des élevages, il faut passer à un coefficient égal ou supérieur à quatre.

En l'absence d'assouplissement, la portée de ce décret me paraîtrait limiter l'avancée attendue en matière d'amélioration de la compétitivité des éleveurs français, confrontés aujourd'hui à des mutations de très grande ampleur. Les organismes agricoles réclament d'ailleurs une hausse des seuils d'autorisation, objectif initial de l'amendement Le Fur, et dont vous-même avez admis lors des débats en Commission qu'ils avaient été fixés « très bas, alors que l'Allemagne a fixé des seuils extrêmement élevés et que cette différence renforce la compétitivité des élevages porcins de ce pays, provoquant une distorsion de concurrence au détriment des élevages français ». Ce décret ne constitue sans doute pas une réponse suffisante à cette situation, mais il représente une première avancée.

Il convient maintenant de s'assurer de la sécurité juridique du dispositif : plusieurs points, soulevés par différents responsables agricoles, semblent avoir été pris en compte par vos services en vue de l'application du texte, notamment la nécessité d'attendre la fin des délais de recours contre le regroupement pour prendre acte de la mise à l'arrêt définitive des sites regroupés. Nous devons désormais attendre l'avis du Conseil d'État, notre première préoccupation étant de faire en sorte que les opérations qui seront entreprises sur la base de ce décret soient irréprochables sur le plan juridique.

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