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Intervention de Didier Quentin

Réunion du 17 novembre 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur :

Ces deux projets représentent l'aboutissement d'un processus de plus de cinquante ans, auquel notre commission des Lois a contribué au travers de l'examen des différents textes organisant l'évolution statutaire de Mayotte, ainsi que par plusieurs missions d'information, dont celle de février 2009 qui, présidée par René Dosière cependant que j'en étais rapporteur, a porté précisément sur les perspectives de la départementalisation.

Je ne reviendrai pas sur les liens anciens qui unissent Mayotte à la métropole, depuis son rattachement à la France en 1841, soit bien avant les trois autres îles composant l'archipel des Comores. Je préfère m'attarder sur la demande faite en 1958 : les représentants mahorais à l'assemblée territoriale des Comores avaient alors vainement plaidé pour que l'archipel choisisse le statut de département d'outre-mer (DOM), essentiellement régi par le droit commun, plutôt que celui de territoire d'outre-mer (TOM). Cette profonde divergence avec les autres îles de l'archipel – Grande Comore, Mohéli et Anjouan – se confirma lors du référendum du 22 décembre 1974, puisque le projet d'indépendance recueillit alors près de 95 % des suffrages dans ces îles, contre seulement 36,2 % à Mayotte. Le refus de l'indépendance fut plus tranché encore, lors de la consultation organisée à Mayotte le 8 février 1976 : 99,4 % des électeurs y affirmèrent leur volonté de rester au sein de la République.

Le retard de développement est longtemps apparu comme un frein à une pleine intégration. Cependant, en 2000, la proposition de transformation en « collectivité départementale » a marqué une première étape vers un statut de droit commun ; lors du référendum du 2 juillet de cette année, elle a recueilli 72,9 % des suffrages.

Cette adhésion s'est de nouveau exprimée, de manière plus éclatante encore, avec le quasi-plébiscite du 29 mars 2009 : la transformation de Mayotte de collectivité d'outre-mer (COM) en collectivité unique, exerçant les compétences dévolues au département et à la région d'outre-mer (DOM-ROM), a recueilli 95,2 % des suffrages, avec une participation supérieure à 60 % des électeurs inscrits. Tirant les enseignements de ce scrutin, la loi organique du 3 août 2009 a posé le principe de la transformation de Mayotte en DOM, à l'occasion du prochain renouvellement du conseil général, en mars 2011.

Nos compatriotes de Mayotte voient dans l'appartenance à la France une promesse d'émancipation, de sécurité et de développement, et craignent périodiquement d'être « tenus à distance » des projets de la métropole, voire d'être abandonnés par celle-ci. À cet égard, le statut de territoire d'outre-mer, associé à la domination longtemps exercée par la Grande Comore, constitue un repoussoir, tandis que la perspective de départementalisation a toujours recueilli une large adhésion. Elle apparaît comme le meilleur rempart contre toute remise en cause de l'intégration de l'île au sein de la République.

Si le rattrapage amorcé a été engagé grâce à un effort particulier de la nation envers Mayotte, il convient aussi de souligner que les Mahorais ont dû et su remettre en question leur mode de vie, afin d'être en mesure de s'intégrer dans la communauté nationale. La révision de l'état civil, engagée en 2000, va permettre à chaque Mahorais de disposer d'un prénom et d'un nom patronymique ; depuis la loi de programme pour l'outre-mer de 2003, la polygamie a été progressivement supprimée, et les mariages polygames ont été définitivement bannis par l'ordonnance du 3 juin 2010, dont la ratification est prévue par l'article 28 du projet de loi ordinaire ; enfin, les cadis qui, en 2000 encore, géraient l'état civil et rendaient la justice dans les matières relevant du statut personnel, ont vu leur rôle réduit par cette même ordonnance à la seule médiation sociale.

On ne peut cependant nier que des problèmes subsistent : la révision de l'état civil est à ce jour inachevée ; les défis à relever dans le domaine de l'éducation demeurent considérables, car trois élèves sur quatre entrant en classe de sixième ne maîtrisent pas le français ; l'affirmation de l'égalité entre sexes ne suffit pas à revaloriser la place de la femme, encore largement dépendante des traditions.

Le Gouvernement a donc élaboré les deux présents projets de loi, l'un organique, l'autre ordinaire, afin de déterminer, dans le prolongement de la loi organique du 3 août 2009, les conditions de la transformation de Mayotte de collectivité régie par l'article 74 de la Constitution en département régi par l'article 73 et donc soumis au régime de l'identité législative.

Ces textes visent tout d'abord à définir les modalités de fonctionnement des nouvelles institutions de l'île. Le Département de Mayotte – avec un « D » majuscule, conformément à la dénomination proposée lors de la consultation – sera appelé à exercer « les compétences dévolues aux départements d'outre-mer et aux régions d'outre-mer ». Ainsi, Mayotte deviendra la première collectivité à expérimenter les dispositions institutionnelles d'une collectivité territoriale ultramarine unique, prévues par le septième alinéa de l'article 73 de la Constitution – en attendant le tour de la Guyane et de la Martinique, qui se sont engagées sur la même voie lors des consultations des 10 et 24 janvier 2010.

Elle sera administrée par un conseil général, dirigé par un président, qui exercera les prérogatives prévues par le droit commun. Cette évolution aura peu de conséquences sur le mode de désignation des conseillers généraux mahorais, déjà élus selon le mode de scrutin uninominal à deux tours.

Comme le prévoyait la loi organique du 3 août 2009, ce statut entrera en vigueur à partir de la réunion du conseil général qui suivra son renouvellement, en mars 2011. Le mandat des nouveaux conseillers généraux expirera en mars 2014, date fixée pour le renouvellement général des conseils généraux et régionaux.

Dans un souci de rationalisation et de simplification, le projet de loi initial organisait la fusion des deux conseils consultatifs locaux, le conseil économique et social ainsi que le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement. La commission des lois du Sénat a souhaité appliquer strictement le droit commun des départements et régions d'outre-mer, qui prévoit l'existence de deux conseils distincts. L'examen des futurs statuts des collectivités uniques outre-mer sera cependant l'occasion d'envisager cette simplification administrative.

En deuxième lieu, le projet de loi ordinaire organise les règles d'applicabilité des lois à Mayotte, afin de passer au régime de l'identité législative. S'appliquera à Mayotte le droit commun de la République, de manière à la fois progressive et adaptée aux contraintes particulières de l'archipel, dans tous les domaines de la législation.

Le projet procède à l'application à Mayotte des dispositions de droit commun dans un certain nombre de domaines, et renvoie à des ordonnances le soin d'étendre l'application de nombreuses législations et de les adapter aux caractéristiques et contraintes particulières de l'archipel. Ces ordonnances devront être prises, dans un délai de dix-huit mois, dans des domaines variés – législation du travail, du logement, de l'action sociale… –, ce qui conduira à supprimer des législations locales.

La date de passage au régime fiscal et douanier de droit commun est fixée au 1er janvier 2014.

En ce qui concerne les prestations sociales départementales, les ordonnances étendront à Mayotte celles qui n'y sont pas encore servies, à un niveau inférieur à celui de la métropole pour commencer, mais en préparant leur relèvement progressif, « sur une durée de 20 à 25 ans », comme pour les cotisations de sécurité sociale.

En troisième lieu, le projet de loi organise l'accompagnement de cette entrée dans le droit commun.

Celle-ci induisant des transferts ou des créations de compétences pour la nouvelle collectivité, il est institué un comité local pour l'évaluation des charges, qui sera invité à se prononcer sur les transferts de charges induits.

L'actuel « fonds mahorais de développement » est en outre remplacé par un « fonds mahorais de développement économique, social et culturel » destiné à soutenir des projets publics ou privés pour le développement des secteurs économiques créateurs d'emplois, des structures d'accueil et d'hébergement, ainsi que des actions sociales dans les domaines de la solidarité, du logement social et pour la résorption de l'habitat insalubre. L'installation de ce fonds, initialement prévue pour le 31 décembre 2013, a été avancée par le Sénat au 31 décembre 2011, conformément aux intentions du Gouvernement qui a prévu un abondement de 10 millions d'euros dès le projet de loi de finances pour 2011.

Pour rapprocher davantage encore l'archipel du droit commun des DOM, le Sénat a également souhaité étendre à Mayotte l'application de l'octroi de mer, au plus tôt à compter du 1er janvier 2014, sous réserve de l'accession de l'île au statut de région ultrapériphérique (RUP) de l'Union européenne. Cette accession et l'accès aux fonds structurels européens, qui font partie du Pacte pour la départementalisation, feront l'objet d'une demande officielle, puis d'une négociation avec la Commission européenne, en 2011. Cependant, l'admission au statut de RUP étant soumise à un vote à l'unanimité du Conseil, je serai moins optimiste que le Gouvernement sur le calendrier comme sur l'aboutissement de cette démarche. En effet, certains de nos partenaires européens ont, dans le passé, soutenu dans les enceintes internationales les revendications de l'Union des Comores sur Mayotte.

Enfin, les deux projets comportent diverses dispositions relatives aux collectivités d'outre-mer ou aux départements et régions d'outre-mer.

Pas moins de seize ordonnances seront ratifiées, dont trois spécifiques à Mayotte, relatives respectivement à la protection sanitaire et sociale, au service public de l'emploi et de la formation professionnelle et à la modernisation du statut civil de droit local.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit la première utilisation par la Polynésie française et Saint-Barthélemy des dispositions statutaires permettant à certaines collectivités de demander au législateur de valider des sanctions pénales instituées par elles, sanctions qui ne doivent pas excéder les peines maximales prévues par les lois nationales pour les infractions de même nature.

À l'initiative de sa commission des Lois et de son rapporteur Christian Cointat, le Sénat a apporté quelques modifications, dont j'ai signalé les principales, à ces deux textes, sans en modifier les grands équilibres, puis il les a adoptés à l'unanimité le 22 octobre dernier.

Ces projets de loi donnent corps à une volonté cinquantenaire de rapprochement de Mayotte avec la métropole et à un engagement de l'État de faire bénéficier d'un plan de rattrapage ce territoire qui désire ardemment rester français et, mieux encore, être considéré comme appartenant de plein droit à la communauté nationale.

Compte tenu des délais de publication du décret de convocation des électeurs, les deux lois devront être promulguées avant la fin de l'année civile. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter ces projets tels qu'ils nous viennent du Sénat, afin que notre cent-unième département puisse voir le jour dès mars prochain.

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