Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Frédéric Sudre

Réunion du 17 novembre 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Frédéric Sudre, professeur à l'Université de Montpellier :

La jurisprudence européenne ne permet pas de délimiter le champ des infractions pouvant justifier un placement en garde à vue. La Cour européenne a une conception très matérielle des choses : le critère à ses yeux essentiel, c'est la privation de liberté, laquelle entre dans le champ d'application de la Convention européenne des droits de l'homme, notamment de l'article 5, paragraphe 3, et de l'article 6 relatif aux garanties du procès équitable.

Or la garde à vue est bien une privation de liberté ou est, du moins, considérée comme telle : de ce fait, quelles que soient les infractions commises, elle entre bien dans le champ de la Convention.

S'agissant des motifs, le texte du projet de loi me paraît compatible avec la jurisprudence européenne : il ne peut y avoir privation de liberté que s'il existe des raisons plausibles de soupçonner une personne d'avoir commis une infraction – tels sont, du reste, les mots utilisés dans le texte. Le texte respecte donc bien ce qui est, aux yeux de la Cour de Strasbourg, la condition sine qua non de la privation de liberté. Il convient également de noter que c'est le principe de proportionnalité qui fonde la jurisprudence de la Cour : s'il peut exister d'autres moyens que la privation de liberté pour assurer l'ordre public, il convient d'y recourir.

L'audition libre, telle qu'elle est prévue par le texte, n'est pas, en revanche, compatible avec les différentes jurisprudences, dans la mesure où ce dispositif permettrait d'échapper à l'application des garanties posées à l'article 6 de la Convention européenne. En effet, pour la jurisprudence européenne, toute mise en accusation en matière pénale entraîne l'application des garanties du procès équitable. De plus, la Cour a une conception toute matérielle de la notion d'accusation, très différente de celle de notre droit interne. Pour elle, toute personne soupçonnée d'une infraction, à partir du moment où ce soupçon peut avoir des répercussions importantes sur sa situation, doit être considérée comme accusée. Or, le texte le précise, une personne sera placée sous le régime de l'audition libre parce qu'elle sera soupçonnée d'avoir commis une infraction : la jurisprudence européenne la considérera donc comme accusée et cette personne devra relever, de ce fait, du champ des garanties prévues à l'article 6 de la Convention. Si la philosophie du projet de loi vise, par le biais de l'audition libre, à empêcher l'application des garanties dont doivent bénéficier les personnes placées en garde à vue, alors la disposition est assez radicalement contraire au droit européen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion