Permettez-moi, monsieur le ministre, de regretter l'absence de M. Chatel, que j'aurais bien voulu voir sur ces bancs.
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » : cette recommandation de Boileau s'applique assez bien à l'exercice auquel nous nous livrons aujourd'hui. C'est le quatrième budget de la mission « Enseignement scolaire » que nous examinons, et vous avez beau polir et repolir, le compte n'y est vraiment pas.
On comptait 11 200 suppressions de postes à la rentrée 2008, 13 500 en 2009, 16 000 en 2010, et 16 000 sont annoncées pour 2011. C'est la contribution de l'éducation nationale à la réduction des dépenses publiques, dites-vous, mais le nombre d'élèves augmente – 39 000 de plus cette année – et le taux d'encadrement diminue. Dans la mesure où le nombre d'heures d'enseignement reste constant, la pression budgétaire oblige à intervenir sur le nombre d'élèves par classe ; les instructions que M. Chatel a envoyées aux inspecteurs d'académie vont d'ailleurs dans ce sens.
L'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche tire la sonnette d'alarme mais vous poursuivez l'exercice comptable : 39 000 élèves de plus sur 223 825 classes ne représentent que 0,17 élève de plus par classe ; le taux d'encadrement reste donc le même. C'est merveilleux, l'arithmétique, mais, derrière les pourcentages, il y a des êtres humains et des citoyens en puissance.
Comme vous persistez à confondre mastérisation et formation, la baisse quantitative s'accompagnera d'une diminution qualitative à cause du nouveau mode de recrutement et de formation des enseignants. Cela vous permet de justifier la chute vertigineuse des crédits, en baisse de 42 % dans le premier degré et de 47 % dans le second degré. Le différentiel a été transféré dans le budget de l'enseignement supérieur. Les futurs enseignants, les heureux, ou malheureux, bénéficiaires de ce parcours novateur devront se contenter de « compagnonnage » et de « stages en responsabilité » aux contours fort imprécis. C'est oublier qu'un étudiant brillant ne fait pas forcément un enseignant compétent.
Dans le secondaire, les crédits pédagogiques destinés à l'achat de manuels scolaires et de matériel informatique et au remboursement des frais de stage en entreprise accusent une diminution de 10,8 %. Pour mémoire, au collège, ils sont passés de 25 euros par élève en 2009 à 20 euros en 2011, ce qui en dit long sur la prétendue gratuité de l'école publique et le soutien apporté aux familles les plus modestes.
Dans l'ensemble, l'enseignement privé est plutôt mieux traité, et les explications de M. Chatel sur le principe de parité, la règle des 20 % et les emplois spécifiques dans l'un ou l'autre secteur s'apparentent davantage à un tour de passe-passe qu'à une démonstration convaincante. La différence est particulièrement sensible dans l'enseignement technique agricole : le plafond d'emploi est inchangé depuis 2009 dans le privé alors que le public perd 452 équivalents temps plein, là où la suppression d'un seul poste peut entraîner la fermeture d'une classe, voire la disparition d'une filière, et la mainmise croissante des grands groupes phytosanitaires sur les lycées agricoles n'est pas rassurante.
Quant à l'évaluation de la réforme des lycées promise pour novembre, nous attendons les premiers résultats d'un dispositif mis en place à la hâte et sans accompagnement clairement défini.
Aiguillonné par la publication imminente des résultats de l'enquête PISA, le parti majoritaire organisait le 3 novembre une convention intitulée « Tout commence avec l'éducation ». De son côté, M. le ministre de l'éducation nationale ne tarissait pas d'éloges sur les enseignants, « toutes ces femmes, tous ces hommes, qui, par passion, par vocation, ont choisi de consacrer leur vie à la transmission des savoirs, à l'instruction des enfants [...] et, au bout du compte, à leur accomplissement ».
C'est sans doute pour cette raison que le budget le plus emblématique et le plus important de la loi de finances pour 2011 est examiné à la sauvette, en commission élargie, et ne fait l'objet d'aucun débat en séance publique. Cela ne me permet pas de relever toutes les insuffisances, les incohérences, les dangers de sa mise en application, et je le regrette vivement.
Je laisserai la conclusion à un homme des Lumières, d'Alembert, qui écrivait : « Si l'éducation de la jeunesse est négligée, ne nous en prenons qu'à nous-mêmes, et au peu de considération que nous témoignons à ceux qui s'en chargent. » Parce que nous refusons de cautionner une politique qui méconnaît les besoins et les missions de l'école et organise le démantèlement du service public de l'éducation nationale, le groupe socialiste et apparentés ne votera pas les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)