Monsieur le ministre, je n'évoquerai pas aujourd'les crédits de votre ministère, c'est dire ma volonté de vous être agréable. Mais, puisque c'est malheureusement la seule occasion de l'année qui est nous est offerte pour évoquer la politique étrangère de la France, je voudrais aborder deux sujets d'actualité, dont il me semble urgent que nous redéfinissions les fondements.
Le premier est notre incompréhensible position vis-à-vis de la Turquie. Ce pays est le seul pays émergent de notre région du monde. C'est un partenaire commercial fondamental pour la France et l'Europe. Nous commerçons avec lui plus qu'avec le Japon ou la Russie, une fois et demie plus qu'avec l'Inde ou le Brésil. C'est un débouché vital pour l'Union européenne, puisque c'est le seul de nos grands voisins en développement rapide et dont l'influence régionale est immense, tant vers le Caucase que vers l'Asie centrale.
La Turquie rêve encore d'entrer dans l'Europe. Pour ce faire, elle réforme fondamentalement ses institutions : un récent référendum a enlevé son autonomie constitutionnelle à l'armée ; le Président sera élu au suffrage universel direct ; le processus démocratique progresse malgré une reconnaissance encore insuffisante des droits des minorités. Un véritable modèle de pays musulman démocratique et moderne se construit sous nos yeux.
Le moteur de ce progrès est incontestablement la candidature pour l'entrée dans l'Union européenne. S'il était adressé au peuple turc un signe laissant entendre que, quels que soient ses efforts, cette candidature serait rejetée, ce message démobiliserait les militants de la démocratie au profit des intégristes de tout poil à l'affût d'une déception provoquée par l'Ouest.
Il y a un danger : l'attractivité de l'Europe en Turquie peut baisser si nous maltraitons ce grand pays. Un sentiment d'humiliation peut pousser l'opinion turque vers des horizons politiquement dangereux. Ceux qui rejettent la Turquie sous des prétextes aussi faux que ridicules en prétendant, par exemple, que « la Turquie n'est pas dans l'Europe » ou qu'elle est « trop grande », et qui, en fait, ne sont motivés que par une volonté de protection peureuse face à un monde musulman qu'ils craignent parce qu'ils ne le connaissent pas,…