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Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 5 novembre 2010 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Relations avec les collectivités territoriales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dussopt :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le budget qui nous est présenté aujourd'hui est conforme aux différentes annonces faites il y a plusieurs semaines, notamment par le Président de la République lors de la conférence des déficits publics.

Nous l'avons dit en commission, ce budget suscite des inquiétudes et des interrogations, au-delà même des 2,5 milliards d'euros de crédits de cette mission, puisque, on le sait, les relations financières entre l'État et les collectivités ne représentent au total pas moins de 99 milliards.

Le ministre du budget l'a annoncé, vous nous l'avez confirmé : les dotations aux collectivités locales seront gelées, ce qui pourrait se traduire, selon le secrétaire général de l'AMF, par une baisse de la DGF pour des milliers de communes. Tout est dit sur la brutalité du procédé et de votre politique envers des collectivités locales dont vous savez pourtant, comme nous, qu'elles ne sont pas responsables de la situation catastrophique des comptes publics. Nous condamnons cette violence.

D'autre part, la fusion de la dotation globale d'équipement et de la dotation de développement rural en une seule dotation d'équipement des territoires ruraux conduit à s'interroger sur les critères d'éligibilité à cette dotation et sur le périmètre exact des actions qu'elle pourra financer. D'autant que les crédits de la DETR sont déjà fixés au niveau non de 2010 mais de 2009, puisqu'un amendement adopté l'année dernière a soustrait 8 millions d'euros aux crédits prévus. Le gel s'étend donc non sur trois ans, comme vous l'annoncez, mais sur quatre, voire cinq ans.

Et ce n'est pas la hausse d'environ 50 millions d'euros de la dotation de solidarité rurale qui atténuera les risques encourus par les collectivités et qui apaisera leurs inquiétudes. En outre, le fait que plus de communes et plus d'EPCI, mais aussi plus de projets, soient éligibles pour un montant gelé depuis deux ans suscite également des inquiétudes quant aux possibilités d'accéder à ce type de financement.

Deuxièmement, on nous dit que les dépenses des collectivités ont augmenté et que 40 % de cette augmentation, entre 1983 et 2008, ne seraient pas imputables aux transferts de compétences. Ce disant, le Gouvernement semble oublier qu'il évoque une période de vingt-cinq ans au cours de laquelle l'inflation a, en moyenne, assez largement dépassé 2 % par an. La hausse mécanique des prix, à ce rythme et sur une période aussi longue, relativise la hausse affichée.

En outre, les travaux de l'AMF l'ont montré, la hausse moyenne de l'indice des prix propre aux collectivités locales est encore plus forte. Le Gouvernement oublie aussi que, indépendamment des transferts de compétences, les collectivités ont dû pallier un important désengagement de l'État de ses propres compétences en menant des actions nouvelles.

Troisièmement, lorsque vous affirmez que les dotations de l'État aux collectivités ont augmenté en moyenne de 2,3 % par an au cours des vingt-cinq dernières années, et de 3,5 % par an au cours des dix dernières années – précise le rapporteur spécial –, vous oubliez que cette hausse est en grande partie due à la compensation des allégements de fiscalité locale que différents gouvernements ont eux-mêmes décidés aux dépens des collectivités, en tout cas au détriment de leur autonomie fiscale. En commission, vous n'avez pas répondu à notre question à ce sujet.

De même, en 2010, les dégrèvements de fiscalité locale accordés par le Gouvernement sur les recettes des collectivités atteignent 19 milliards et les compensations d'exonérations 2 milliards, soit 21 milliards en tout, c'est-à-dire plus de 20 % des concours de l'État aux collectivités. Quelle part de la hausse moyenne régulièrement évoquée ces dégrèvements représentent-ils ?

Outre ces trois sujets, d'autres aspects du PLF qui concernent directement les collectivités locales nous inspirent de sérieuses inquiétudes. Nous les avons également évoqués en commission des lois la semaine dernière.

L'article 65 du projet de loi de finances prolonge le dispositif d'exonération en zone de revitalisation rurale et l'étend à la reprise d'entreprise, mais l'article 88 réduit les avantages accordés en les limitant aux entreprises et aux associations employant moins de dix salariés. Cela est particulièrement dangereux pour le secteur associatif du service à la personne, qu'il s'agisse des associations salariant des aides à domicile ou des établissements d'accueil de personnes âgées. Cet effet négatif sera accru par l'article 90, qui diminue les exonérations accordées aux particuliers ayant recours à ce type de services. Nous aimerions connaître les réponses que le Gouvernement envisage d'apporter à cette question dans les articles non rattachés.

Par ailleurs, la baisse de 12 % des crédits d'intervention de l'État dans le domaine de la politique de la ville – que mon collègue Pupponi vient d'évoquer –, notamment par l'intermédiaire des contrats urbains de cohésion sociale, baisse annoncée le 17 septembre dernier par une lettre de cadrage du directeur de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, confirme la réduction des moyens des collectivités et des territoires et les risques d'étranglement auxquels ils sont exposés.

Monsieur le secrétaire d'État, je ne vous cache pas qu'il sera difficile au Gouvernement d'apporter des réponses véritablement rassurantes à nos questions. Car, en l'état, rien dans les textes ne permet d'apaiser les inquiétudes qu'inspirent aux élus locaux les moyens qui leur sont alloués et l'avenir de leurs collectivités.

Ces inquiétudes sont accrues par l'incertitude et le flou incroyable dans lequel sont décidées les politiques d'abattement des communes et des EPCI à la suite du transfert de la part départementale de taxe d'habitation, anciennement perçue par les conseils généraux. Le rapporteur spécial lui-même s'y perd, puisqu'il vous a interrogé à ce sujet.

Enfin, personne ne peut oublier le contexte législatif dans lequel nous examinons ce projet de budget pour 2011.

La réforme des collectivités locales, dont l'examen en commission mixte paritaire a eu lieu le 3 novembre dernier, est un réel sujet d'inquiétude et d'incertitude dans la mesure où le texte adopté mercredi fait si peu cas du travail du Sénat que rien ne garantit que ce dernier l'adoptera.

Si la part minimale apportée par la collectivité maître d'ouvrage a été ramenée à 20 % pour toutes les collectivités, quelle que soit leur taille, les principaux problèmes demeurent.

Outre le non-sens de certaines dispositions – je pense notamment à la création du conseiller territorial –, la principale inquiétude porte sur le fait que, pour toutes les communes de plus de 3 500 habitants et les EPCI de plus de 50 000 habitants, il ne sera plus possible de cumuler une aide de la région et une aide du département après 2015, sauf si le schéma de répartition des compétences entre la région et le département, prévu à l'article 35 bis, le prévoit explicitement. C'est là une belle usine à gaz : nous voyons que les objectifs en matière de clarification et de simplification ne sont absolument pas atteints. Ces dispositions nous préoccupent d'autant plus que, comme nous l'avons déjà dit, elles affectent des communes exerçant des fonctions de centralité.

Monsieur le secrétaire d'État, les élus locaux ne sont pas dupes, comme mon collègue Bernard. Derosier le soulignait à propos des départements. Ils savent que derrière l'improvisation de certains débats et l'impréparation de certains textes se cache une véritable entreprise politique, une action globale, en plusieurs épisodes.

La non-compensation des charges transférées aux collectivités lors de l'adoption des lois Raffarin, les effets encore difficilement mesurables de la suppression de la taxe professionnelle, dont on sait désormais qu'elle fait des ménages la seule variable d'ajustement de la fiscalité locale, les désengagements successifs de l'État en matière d'éducation, de sécurité, de Trésor public, la modification des règles déterminant les zonages, que ce soit pour les ZRR ou les AFR, voici autant de dispositions qui trouvent leur place dans une action globale d'asphyxie des collectivités locales.

En écoutant Charles de La Verpillière, je me disais que si les contribuables nationaux et locaux ne font qu'un, comme il l'affirme, au regard de l'augmentation des taxes locales causée par les décisions de l'État, les contribuables locaux apprécieront à leur juste valeur la promesse de non-augmentation des impôts faite par le Gouvernement.

En réalité, la réforme des collectivités et la violence budgétaire dont vous faites preuve à leur égard ne sont finalement que les coups de grâce portés à ce formidable outil de politique publique construit avec la décentralisation.

Tout au long du débat sur les retraites, le Gouvernement a multiplié les références à des exemples étrangers pour justifier sa propre politique. Vous me permettrez donc, monsieur le secrétaire d'État, de me livrer au même exercice en qualifiant de thatchérienne votre politique à l'égard des collectivités locales. Car ce projet destiné aux collectivités locales, profondément libéral, est inspiré des réformes locales menées par les conservateurs britanniques au début des années quatre-vingt. Il peut être défini en quelques points.

Tout d'abord, les territoires sont mis en concurrence les uns avec les autres, avec une péréquation qui, malgré quelques avancées, est réduite au rôle de faire-valoir en matière de dotations et qui ne porte en réalité que sur une part très faible du total des richesses et des recettes. Les territoires sont également mis systématiquement en concurrence au travers des appels à projets et autres outils de sélection. Chaque territoire est ainsi renvoyé à son seul potentiel économique et plus encore à la richesse moyenne des ménages qui le peuplent dans la mesure où une part croissante de la fiscalité des collectivités reposera désormais sur les ménages et où il sera nécessaire de compenser la perte de plusieurs recettes.

Ensuite, les élus sont privés de légitimité par la création d'un élu cumulant des fonctions régionale et départementale, sans véritable lisibilité et avec une moindre proximité, un élu au rôle confus et illisible qui aura du mal à trouver sa place face à un appareil d'État repris en main et politisé. Pour s'en convaincre, il n'est que d'observer la sociologie du corps préfectoral et les changements intervenus depuis presque trois ans. Dans le même temps, cet appareil d'État se renforce avec de nouvelles prérogatives et la création d'agences et autres autorités, indépendantes de tout, sauf du pouvoir central. Dans ce dessaisissement des élus au profit de l'administration, on peut voir là encore la reprise du modèle thatchérien des années quatre-vingt.

Enfin, ce projet promeut une logique du low cost au détriment du service rendu. Entre baisse des dotations, réduction des effectifs, révision générale des politiques publiques, tout prétexte est bon. Il en résulte une dégradation de la qualité des services rendus aux usagers et un véritable déménagement du territoire avec un mouvement de concentration des services publics dans les seules zones urbaines. Sous prétexte de réduire la dépense publique, vous cassez en réalité la ressource publique et remettez en cause la qualité des services rendus au public.

C'est donc bien une réforme profondément libérale et injuste, néo-conservatrice diront certains, qui est mise en oeuvre aujourd'hui.

Monsieur le secrétaire d'État, vous l'avez compris, nous ne voterons pas cette mission budgétaire. Nous ne cautionnerons pas la politique que vous menez à l'égard des collectivités locales.

Elle ne correspond aux attentes ni des élus, ni des territoires, ni des citoyens. Gageons que l'avenir nous permettra de renouer un lien de confiance entre un État décentralisateur et solidaire et des collectivités armées pour être utiles à nos concitoyens de manière pérenne. Tout cela suppose un contrat de confiance, un bouclier de services publics dans les territoires en difficulté, une vraie péréquation. Nous en sommes hélas encore trop loin,

Au-delà de cette orientation politique globale, l'effet cumulé de votre politique budgétaire, annoncée comme étant pluriannuelle, et de la réforme des collectivités consistera en un véritable étranglement des collectivités locales.

Celles-ci représentent moins de 10 % du total de la dette publique ; elles ont à exercer des missions que l'État n'assure plus ; elles doivent faire face à des besoins sociaux croissants et à une demande de services accentuée par les désengagements de l'administration centrale. Or, aujourd'hui, elles sont considérées et traitées comme étant responsables de la crise des finances publiques, alors que c'est l'État qui en est responsable. La mission budgétaire que vous nous présentez est l'illustration d'une politique injuste mais aussi dangereuse pour l'économie, puisque les collectivités représentent 75 % de l'investissement public.

M. Piron rappelait que « gouverner, c'est choisir ». Pour notre part, nous souhaitons faire le choix de l'investissement et du développement. Et pour cela, les collectivités locales ont besoin de moyens. Nous nous opposons à votre politique et, par conséquent, nous voterons contre ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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