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Intervention de Philippe Vitel

Réunion du 4 novembre 2010 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Défense

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vitel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi en premier lieu d'avoir une pensée pour les femmes et les hommes de toutes les armes qui, en ce moment même, oeuvrent sur les théâtres de crise où nos forces sont engagées et exercent leur mission avec courage, force et détermination au péril de leur vie.

Nous voilà réunis pour analyser le budget 2011 de notre défense et de nos forces armées, un budget qui s'inscrit dans une période difficile, mais où nous voyons enfin poindre quelques signaux indiquant que la sortie de crise est proche. Ce budget hors pension d'un montant de 31,19 milliards d'euros est en recul de 3 % par rapport au budget 2010 qui était de 32,20 milliards. Les différents rapporteurs nous ont minutieusement détaillé, en commission comme dans l'hémicycle, l'impact des réductions budgétaires sur chacune de nos forces, que ce soit en Front Office ou dans le soutien. Cela me conduit à quelques réflexions.

La mise en oeuvre du nouveau concept stratégique et du nouveau concept d'emploi de nos forces – fixés en 2008 dans le Livre blanc et son corollaire dans la RGPP – représentait une enveloppe financière de 377 milliards d'euros pour les douze ans à venir afin d'assurer le principe de stricte suffisance, si cher à notre Président de la République.

Tout cela était fidèlement décliné dans la loi de programmation militaire 2009-2014 avec une enveloppe dédiée de 186 milliards et une progression des crédits au rythme de l'inflation réévalué d'un point à partir de 2012.

Tempérant notre enthousiasme de l'époque, nous avions bien sûr apprécié cet effort louable, mais nous avions dénoncé le fait que la moindre réduction de crédits pendant cette période pourrait entraîner des difficultés pour conserver un outil militaire efficace. Depuis, la crise est malheureusement passée par là et nous oblige à réduire la voilure. C'est donc légitimement que nous sommes aujourd'hui très inquiets des conséquences des restrictions budgétaires annoncées car notre enveloppe réelle nous semble définitivement trop petite pour couvrir les ambitions de la loi de programmation militaire, en dépit du ballon d'oxygène apporté par le plan de relance.

Durant nos auditions, nous avons entendu les craintes de tous les chefs d'état-major. Le chef d'état-major des armées lui-même, l'amiral Édouard Guillaud, n'hésite pas à déclarer dans une revue de défense : « Nous avons pour l'instant des armées cohérentes, mais nous sommes au seuil. Si l'on devait connaître une coupe supplémentaire, il faudrait se poser la question du modèle et peut-être changer ce modèle parce qu'il pourrait devenir déséquilibré. Les militaires vivraient mal l'incohérence entre l'ambition et l'effort. »

D'autres nations européennes voient aussi leur défense touchée par le syndrome de la peau de chagrin. La Grande-Bretagne vient de réduire son budget de défense de 7,5 %. ; l'Allemagne annonce une économie de 8,3 % sur quatre ans ; l'Espagne a réduit ses dépenses militaires de 9 %. Cette vague de contraction contraste avec ce qui se passe hors d'Europe.

Selon le Stockholm International Peace Research Institute ou SIPRI – je vous conseille la lecture de ses très intéressantes publications –, les dépenses militaires dans le monde ont atteint 1531 milliards de dollars en 2009, soit une augmentation de 6 % en un an et de 49 % depuis l'an 2000.

Sur cette période, elles ont augmenté de plus 105 % en Russie, plus de 75 % aux USA, plus de 67 % en Inde et plus de 38 % au Brésil.

En Chine – et nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui son président de la République –, la croissance des dépenses militaire atteint plus de 217 % en dix ans ! Il s'agit donc d'une véritable démilitarisation de l'Europe. Les pays y consacrent en moyenne moins de 1,5 % de leur PIB et, seuls, six pays atteignent les 2 % en périmètre OTAN, qui englobe les pensions et la gendarmerie. La France y consacre 2,35 % et le Royaume-Uni 2,28 %.

La volonté de développer une véritable Europe de la défense se heurte aux réticences des pays européens les plus atlantistes, majoritaires au sein des vingt et un pays qui appartiennent à la fois à l'Union européenne et à l'Alliance atlantique, à développer des instruments de coopération proprement européens.

Ces pays sont opposés aux « deux D » – Découplage EuropeÉtats-Unis et Duplication des moyens OtanUnion européenne – et souhaiteraient plutôt associer l'OTAN à toute initiative européenne.

L'Europe a donc besoin d'un nouveau discours sur la raison d'être de ses forces armées au risque d'être marginalisée sur la scène mondiale. Cette alliance européenne doit donc se construire au sein d'un pilier européen de l'OTAN.

À elles seules, la Grande-Bretagne et la France représentent près de 50 % des dépenses de défense européenne et deux tiers des dépenses militaires de recherche et développement. Il est donc tout à fait juste de penser qu'une coopération militaire accrue avec le Royaume-Uni – notre partenaire naturel en matière militaire –, suivie d'une plus grande intégration dans les structures supranationales de l'OTAN, soit à même de répondre à l'impasse budgétaire dans laquelle nous sommes en train de nous engager.

Le traité de coopération militaire signé avant-hier constitue la première étape de cette nécessaire évolution. Le 2 novembre 2010 restera dans l'histoire comme le jour où la France et la Grande-Bretagne ont fait un pas de géant dans le rapprochement de leurs deux armées. Ce traité est bien sûr aussi l'occasion de faire des économies et de traduire les paroles en actes ; je ne doute pas que les contraintes financières aient joué un rôle d'accélérateur dans ce processus. Oui, la mutualisation, les économies d'échelle ainsi que l'interdépendance sont des éléments positifs car les économies ainsi réalisées pourront être réinjectées dans des secteurs qui souffrent actuellement des diminutions de crédits.

La dissuasion est un poste très lourd pour nos armées et représente 32 % des dépenses d'équipement. La coopération dans le domaine du nucléaire est l'élément symbolique de cet accord et montre que les deux plus grandes puissances militaires européennes ont compris que si elles ne s'entraidaient pas, elles périraient séparément.

En ce sens, le partage des essais nucléaires, de la mise en condition opérationnelle et de la recherche et développement en ce qui concerne l'arme nucléaire, peut-être demain le partage de la permanence à la mer des SNLE ainsi que l'hypothèse d'une force aéronavale partagée, généreraient de substantielles économies.

Le domaine des drones, en particulier les MALE – moyenne altitude longue endurance – et celui de la cyberdéfense sont aussi abordés dans le traité. Ce choix est très judicieux car il est plus facile de coopérer sur de nouveaux projets plutôt que sur ceux qui présentent déjà un passif !

En ce qui concerne nos entreprises, il existe deux options : resserrer l'activité des entreprises ou se regrouper dans de grands groupes européens.

Mes chers collègues, les lignes commencent, enfin, à bouger en Europe et nous pouvons être fiers de constater que la France en est la locomotive. Je suis convaincu que cette « entente formidable » selon l'expression même de David Cameron peut être le déclencheur d'un type de nouvelles alliances par spécialisation permettant à chacun de se concentrer sur ses points forts.

C'est à la lumière de cette évolution que nous devrons ensuite, en vue de la prochaine loi de programmation militaire, repenser un modèle d'armée assurément moins complet, mais qui justifiera par sa cohérence, son réalisme face à la menace et sa capacité à assurer la sécurité des Français au XXIe siècle, le coût croissant de son entretien.

Nous devons toujours avoir en tête les mots de Frédéric le Grand : « La diplomatie sans armes, c'est comme la musique sans instruments ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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