Je rappelle qu'en 2010, 100 millions ont été réalisés sur les 700 promis ; les prestidigitateurs de la direction des affaires financières du ministère sont encore passés par là. La réalisation de ce budget sera extrêmement tendue en fin de période.
Toutefois, et c'est là l'important, cette situation serait presque anecdotique comparée à celle de nos voisins : le budget militaire de la Grande-Bretagne baisse de 8 % et celui de l'Allemagne de 8,6 milliards d'euros sur quatre ans, soit une diminution de 12 %. Inversement, les États-Unis réalisent 50 % des dépenses militaires mondiales. Quant à la Chine, elle augmente chaque année son budget militaire de 15 à 30 %, de sorte que celui-ci devrait égaler celui des États-Unis dans dix ans.
S'agissant de la France, autant dire que la loi de programmation militaire et le Livre blanc sont obsolètes, puisque, pour l'application de celui-ci, il manquera quelque 25 milliards d'euros d'ici à 2020. Il n'y a donc plus de programmation ni de Livre blanc. Cela étant il ne faut pas que la logique financière domine les choix stratégiques, sinon ce seront les programmes non engagés, et peut-être les plus utiles, qui seront abandonnés ; les programmes de production assécheraient définitivement tous les programmes de recherche.
Depuis l'aventure koweïtienne de Saddam Hussein, on sait que les guerres d'États n'auront plus lieu. L'arme nucléaire et l'organisation de la communauté internationale nous font définitivement changer d'époque. Nous n'aurons plus à traiter que des conflits asymétriques lointains visant à sécuriser la planète et nos approvisionnements, ce qui implique de refonder totalement nos choix d'équipements. Cette action est déjà engagée ; elle mérite d'être approfondie, voire radicalisée. Souplesse et rapidité de production d'équipements adaptés aux crises telles qu'elles se présentent, mise à jour de nos doctrines d'emploi et prise en compte des outils nouveaux – renseignement, espace, drones, cybernétique, projection, précision – doivent être les critères absolus de la définition des programmes futurs.
La ressource financière se faisant rare, un meilleur arbitrage doit intervenir pour veiller à l'équilibre entre trois facteurs fondamentaux : le nombre d'hommes bien équipés que l'on peut protéger, des spécifications réalistes des matériels produits et le ciblage de la recherche et développement sur des technologies que l'on veut préserver du décrochage. Ces trois questions ne peuvent se résoudre au niveau national. Une certaine faillite de l'Europe de la défense nous impose donc de conclure des accords bilatéraux avec les pays d'Europe qui le veulent, et avec d'autres si la nécessité s'en impose. Il ne peut plus y avoir de tabous dans ce domaine.
Comment ne pas constater la panne de l'Europe de la défense ? Celle-ci va mal : l'Agence européenne de défense est en hibernation et la mécanique bureaucratique des coopérations structurées permanentes aboutit de façon prévisible au néant. Les institutions européennes sont inaptes à traiter la question de la défense. Le symbole le plus exemplaire de cette situation est sans doute le veto chypriote, qui bloque depuis des années le dialogue nécessaire entre la politique européenne de défense et l'OTAN.
Le secteur industriel de la défense souffre évidemment de cette raréfaction des moyens et de ce blocage de l'Europe. Nous avons connu ainsi, ces dernières années, la crise d'EADS, celles de l'A400M, des hélicoptères militaires et du drone européen. Finalement, seuls les secteurs de l'espace, du nucléaire et des missiles se maintiennent au sommet, avec des rapports coût-efficacité tout à fait impressionnants comparés aux équivalents américains.
Aujourd'hui, se pose la question du secteur des avions de combat. La commande de onze rafales, pour 800 millions d'euros, ne résout que pour trois ans la question de la pérennité de notre aviation militaire. Cela se fait au prix de réductions capacitaires : les programmes Scorpion, MRTT et la modernisation du Mirage 2000D sont encore repoussés. La faiblesse des crédits de recherche et développement produit inévitablement des pertes de compétence industrielle que la remise en cause du mécanisme du crédit d'impôt recherche amplifie.
Ces décisions vous étaient imposées par la conjoncture. Une telle situation impose de redéfinir les priorités nécessaires à une nouvelle double cohérence : celle d'un nouveau modèle d'armée et celle d'un nouveau modèle industriel.
À cet égard, les accords bilatéraux France-Grande-Bretagne annoncés mardi vont dans le bon sens,…