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Intervention de Jean-Michel Fourgous

Réunion du 4 novembre 2010 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Défense

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Fourgous, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, pour la préparation de l'avenir :

Monsieur le président, monsieur le ministre de la défense, mesdames et messieurs les députés, la force d'un pays est d'abord économique, ensuite diplomatique et, bien entendu, militaire. Lors des universités d'été de la défense, brillamment organisées par la commission de la défense et le ministère en septembre dernier, le président de la commission de la défense britannique à la Chambre des Communes a déclaré que l'intervention du Président Sarkozy pendant la crise géorgienne, en août 2008, avait été « extrêmement efficace ». La diplomatie française est reconnue, la France doit rester une grande puissance économique, diplomatique et militaire.

Militairement présente sur de nombreux théâtres d'opérations, la France joue un rôle majeur, par sa contribution au maintien de la paix, dans de nombreuses régions du monde. Son industrie de défense, performante et moderne, lui permet de jouer un rôle moteur dans l'économie nationale et d'être présente sur le marché des exportations de matériels de défense.

L'ensemble du budget de la mission « Défense » s'élèvera, en 2011, à 41,9 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et à 37,4 milliards d'euros de crédits de paiement, ce qui correspond à une stabilisation par rapport à l'année dernière. Ainsi que le développera dans son propos mon homologue Louis Giscard d'Estaing, ce niveau de ressources est fondé sur des estimations de recettes exceptionnelles sur lesquelles nous devons rester vigilants.

Le ministère de la défense poursuit la mise en oeuvre de son plan de modernisation, qui se traduit par un recentrage intelligent de ses moyens humains, techniques et financiers sur ses priorités opérationnelles. Il s'agit d'un effort qui ne trouve de comparaison dans aucune des autres administrations du pays, ce que l'on peut d'ailleurs regretter.

Surtout la France reste, avec les États-Unis et le Royaume-Uni, la seule puissance présente militairement de manière permanente sur les cinq continents, du fait de ses départements et territoires d'outre-mer, de ses forces prépositionnées dans des pays alliés ou d'opérations extérieures en cours.

N'oublions pas qu'une proportion élevée des sommes investies dans le secteur de la défense revient ensuite à l'État sous forme fiscale et sociale. Je vous rappelle en effet que, dans notre pays, la dépense publique représente 57 % du PIB. Les crédits investis n'alimentent pas seulement une industrie tournée vers le militaire : la plupart des grands entrepreneurs du secteur – EADS, Thalès, Dassault, Safran – développent des activités duales, à la fois militaires et civiles. Tout euro investi dans la recherche militaire conduit immanquablement à des progrès techniques qui sont, la plupart du temps, transposables dans le civil.

Cette technologie duale, qui s'applique, par exemple aux avions ou aux hélicoptères, bénéficie ensuite aux projets civils, lesquels profitent des progrès accomplis en matière de matériaux composites ou d'avionique ; c'est aussi le cas pour les satellites et les lanceurs, le réseau Internet à très haut débit, les observations climatologiques, les techniques du laser, les nanotechnologies et bien d'autres domaines. Les Américains l'ont bien compris, qui « arrosent » généreusement Boeing de crédits destinés à des programmes militaires, dont les résultats alimentent directement la branche civile. Je rappelle que l'aéronautique, qui n'est pas sans lien avec la défense, représente le premier secteur exportateur français.

Élément essentiel de la défense et de la sécurité de la France, notamment dans la lutte contre le terrorisme, la recherche du renseignement est l'action qui bénéficiera, en 2011, comme cela avait été le cas en 2009 et 2010, de la plus forte hausse de ses moyens financiers et humains. En 2011, le renseignement militaire – DGSE, DRM et DPSD – disposera de 652 millions d'euros de crédits de paiement contre 624 millions en 2010, soit une hausse de 5 %.

Notre défense doit s'adapter aux risques nouveaux et aux nouvelles technologies opérationnelles comme la surveillance et la militarisation de l'espace, la défense informatique, le renseignement moderne, la lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaire, les armes chimiques et biologiques.

J'ai appelé l'attention de notre commission sur le rôle très particulier des drones en matière de renseignement. Le Livre blanc souligne l'importance des drones, placés au service de la nouvelle action « Connaissance et anticipation ». Si le renseignement stratégique relève de moyens satellitaires, le renseignement opératif relève des drones en complément des aéronefs pilotés équipés de capteurs embarqués.

Devant les chiffres et les propos contradictoires avancés par les industriels, les militaires, la DGA et le pouvoir politique en matière de drones, j'ai décidé d'approfondir cette question et de mener un contrôle, qui m'a demandé une quarantaine d'heures de travail.

J'ai donc rencontré l'amiral Guillaud, M. Bajolet, le patron de la DGSE, le Premier ministre en personne, M. Morin, le DGA, les conseillers industriels des cabinets et nos trois grands industriels Un deuxième contrôle a eu lieu à l'ETEC avec Louis Giscard d'Estaing, qui y reviendra dans son propos.

Il en ressort que la France va manquer, dès 2013, de drones de moyenne altitude et longue endurance, ces appareils qu'on désigne sous l'acronyme de drones MALE. Pour éviter une rupture capacitaire préjudiciable à nos forces en opérations, l'achat de nouveaux systèmes de drones s'impose, au moins dans l'attente qu'une nouvelle génération, annoncée pour les années 2018-2020, parvienne à maturité.

Il semblerait que l'état-major des armées préfère acquérir le drone américain Predator, appareil éprouvé, déjà choisi par plusieurs pays. Acheter américain peut en effet sembler rassurant, dans la mesure où les Predator sont produits en grande série et semblent donner satisfaction sur le plan technique. Cependant c'est oublier que le taux de pertes, annoncé par le ministère de la défense américain lui-même, avoisinerait 45 % sur cinq ans.

L'achat du Predator pose également la question des restrictions à l'emploi qui risquent d'être imposées par le fabricant. Nos amis anglais, qui utilisent le Predator depuis plusieurs années, ont admis que, de fait, les militaires américains exerçaient un contrôle sur le drone.

Dernière difficulté : en privilégiant l'offre américaine – soit une perte sèche de 500 à 700 millions d'euros pour la filière franco-européenne – notre pays financerait la recherche et l'investissement des sociétés concurrentes de nos champions nationaux que sont EADS, Dassault, Thalès et Sagem. Il serait pour le moins paradoxal, en pleine guerre mondiale économique, qu'un pays qui dispose de quatre entreprises capables de concevoir et fabriquer des drones soit obligé de se tourner vers un pays certes allié mais néanmoins rival sur le plan commercial.

Face à General Atomics, EADS propose, dans un premier temps, une version évoluée de son drone Harfang, actuellement en service dans l'armée de l'air, dans l'attente de la mise au point, d'ici à 2018-2020, d'un nouvel appareil aux potentialités bien supérieures : le Talarion.

La solution d'EADS aurait l'avantage de promouvoir et d'encourager la filière franco-européenne de drones, favorisant la recherche, l'investissement et l'emploi dans ce secteur de très haute technologie, ce qui irait dans le sens des efforts que nous faisons sur le crédit impôt recherche, lequel coûte très cher.

Dassault, associé à British Aerospace sera également présent sur ce créneau à l'horizon 2018-2020, avec son drone Mantis, très compétitif. Enfin, la société Thalès, unanimement reconnue pour son expertise dans le domaine de l'optronique, pourrait être associée à certains de ces projets.

Plusieurs centaines d'emplois hautement qualifiés sont en jeu à court terme dans notre pays, et bien plus à moyen et long terme, car c'est l'avenir d'une partie de la filière aéronautique qui dépend de la décision qui sera prise. N'oublions pas qu'un marché énorme, militaire mais aussi civil – surveillance des feux de forêt, des côtes, des frontières, sécurité routière – s'ouvre aux drones et générera d'ici à quelques années des sommes colossales.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur spécial a demandé, lors de l'adoption des crédits de la mission « Défense », que soit organisée une réunion avec tous les acteurs de la filière, afin que les arguments des uns et des autres soient examinés. La réunion demandée s'est tenue le 27 octobre, sous l'égide du ministre de la défense, que je remercie ici.

Je souhaite enfin rappeler l'importance de l'intelligence économique. La guerre actuelle n'est pas militaire, elle est économique ! Elle nous impose d'assurer la sécurité et la protection de nos entreprises. Ne soyons pas dupes ni naïfs : les contrats internationaux ne s'obtiennent jamais sans l'aide des services de l'intelligence économique. Autant, donc, être à la hauteur de nos concurrents, tout en respectant les règles éthiques. Qui sait livrer l'information stratégique au bon moment et à la bonne personne obtient un avantage compétitif décisif.

Je vous rappelle que le marché mondial de la sécurité représente 250 milliards d'euros et croît de 10 % par an. Il faut donc donner un coup de pouce à nos industriels dans ce secteur ; nous devons les aider à accroître leur compétitivité.

Je vous rappelle également que le budget de la nation n'est pas branché sur Lourdes, mais dépend de l'activité de nos entreprises. Il faut donc aider ces dernières autant que nos soldats. Ce qui sauvera nos entreprises, c'est l'innovation. Dans cette guerre économique mondiale, c'est d'une relance par l'innovation et l'investissement productif dont nous avons besoin. Même si notre pays est l'un de ceux au monde qui croit le moins en l'économie de marché, c'est pourtant cette formule qui peut lui permettre de retrouver les ressources qui lui permettront de rembourser ses dettes, de réduire son déficit et de sécuriser ses retraites à long terme. Dans la situation économique actuelle, priorité doit donc être donnée à l'identification des marchés à forte croissance sur lesquels nos entreprises bénéficient d'un avantage concurrentiel.

L'argent public destiné à soutenir nos entreprises ne doit pas être saupoudré ; il doit être consacré aux secteurs d'excellence, et, en la matière, l'industrie de la défense de notre pays ne manque pas d'atouts.

La France est en train de réussir la transformation et la modernisation de ses armées. Les budgets sont certes tendus, la population peut paraître sceptique sur notre engagement en Afghanistan – inutile de nous voiler la face ; il s'agit d'ailleurs d'un sentiment que l'on constate dans tous les pays impliqués –, mais la France est bien moins impactée par les restrictions budgétaires que l'Allemagne, par exemple, laquelle s'apprête à mettre en oeuvre une revue de programmes qui va probablement s'avérer déchirante.

En comparaison de ses voisins européens, notre pays s'est plutôt mieux sorti de la crise économique puisque, selon les dernières prévisions, près de cent mille emplois auront été créés en 2010.

Le projet de budget qui nous est présenté préserve la recherche de nos entreprises, même si l'effort consenti pourrait être encore plus important. Si l'on tient compte du crédit d'impôt recherche, des études amont et du plan de relance, il faut constater que l'on n'aura jamais autant investi dans les entreprises de défense. L'investissement industriel s'est maintenu à un niveau très élevé grâce au plan de relance, ce dont nous nous félicitons.

En 2010, la volonté politique de la France et de ses partenaires a rendu possible le sauvetage du projet d'Airbus militaire A400M, ce dont nous nous félicitons. Cet avion, désormais techniquement au point, poursuit ses essais pour des premières livraisons à l'armée de l'air à partir de 2013.

Pour conclure, je veux rappeler que le PIB de l'Union européenne s'élève à 18 000 milliards de dollars contre seulement 14 000 milliards de dollars pour les États-Unis. Cela signifie que nous sommes la première puissance économique mondiale. Peut-être, nous objecte-t-on, mais l'Europe est moins bien coordonnée que ne le sont les États-Unis. Cela est vrai, répondons-nous, mais qu'en sera-t-il alors lorsque l'Union européenne sera coordonnée ?

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