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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 3 novembre 2010 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Monsieur le président, je persiste à croire que la façon dont se déroulent nos débats constitue un bien mauvaise manière à notre égard : quoi que dise le règlement, il me semble que Mme la ministre aurait pu nous exposer son budget avant que les orateurs ne s'expriment.

Madame la ministre, vous nous présentez un très mauvais budget, qui ne nous inspire que de l'accablement. Certes, nous devons contribuer comme les autres à payer la facture d'une crise aggravée par trois années d'une mauvaise politique. Cependant, nous n'acceptons pas d'être mis doublement à contribution.

Premièrement, vos crédits baissent deux fois plus que les autres dépenses, avec notamment une véritable Berezina pour le logement social, à savoir la suppression pure et simple de 34 millions d'euros de crédits. C'est l'équivalent de la LBU pour la Martinique qui disparaît, alors même que la mise en oeuvre de la défiscalisation dans ce domaine est une catastrophe et que, comme vous le savez, tous les dossiers sont bloqués à Bercy ! Je n'aurai pas le temps, en cinq minutes, de détailler les différentes coupes budgétaires qui nous inquiètent. Je vous ai posé une douzaine de questions très précises lors de votre audition en commission, auxquelles je n'ai toujours aucune réponse – mais nous y reviendrons avec nos amendements.

Deuxièmement, nous déplorons l'assèchement, à hauteur de 330 millions d'euros, des investissements outre-mer qui touchent sans distinction le logement, les investissements productifs, les secteurs pourtant considérés comme prioritaire par la LODEOM – dont, par ailleurs, un tiers des mesures, en général les seules positives, ne sont toujours pas mises en oeuvre dix-huit mois après le vote de la loi !

Nous payons même une troisième fois la facture en voyant – certes, comme tout le monde – les moyens des politiques publiques se faire ratiboiser dans le cadre de la fameuse RGPP, qui se traduit par une baisse drastique des moyens de l'éducation nationale, de la santé, des dotations aux collectivités, et j'en passe. Ainsi, le fameux effort national de l'État de 16 milliards d'euros pour les outre-mer, auquel vous nous renvoyez chaque année, est lui-même en baisse sensible – de 150 millions d'euros en autorisations d'engagement ou de 300 millions d'euros en crédits de paiement.

Ce fameux document de politique transversale est d'ailleurs particulièrement choquant dans sa conception et dans sa philosophie : pourquoi les outre-mer seraient-ils les seuls à devoir se résumer à un coût pour la Nation ? Pourquoi ne présente-t-on pas également le coût d'autres régions comme l'Île-de-France, la Corse, la Bretagne ou que sais-je encore ? Regardez ce document : tout y est comptabilisé, les dépenses de police et de gendarmerie, celles de la défense, les salaires des fonctionnaires, pour en venir à la conclusion que la République « aide les outre-mer » ! Non, le fait que la République dote les outre-mer des moyens nécessaires à leur fonctionnement est simplement normal ! Madame la ministre, la stigmatisation des outre-mer, la voilà, nourrie par l'ignorance de nos réalités !

Comment faire mine d'ignorer le tribut prélevé depuis des décennies par les transporteurs aériens, en particulier Air France, et l'impuissance récurrente du législateur et des exécutifs face à ces injustices ? Devoir payer 1 000, 2 000 ou 3 000 euros pour un billet d'avion, c'est un scandale qui ne dérange plus personne ! Pourtant, ces exactions alimentent la révolte et affaiblissent le sentiment républicain. Nous avions obtenu, lors de la LODEOM, que ces compagnies aériennes vous transmettent, avant le 1er septembre, un rapport sur leur politique tarifaire : où est ce rapport, madame la ministre ?

Comment ignorer le tribut payé à CMA-CGM et aux transporteurs maritimes, qui prélèvent une énorme dîme dans l'indifférence générale et l'opacité la plus totale ? Comment accepter ce traitement inégal qui nous est infligé au nom du dogme libéral et de la toute puissance du marché ?

Comment peut-on faire mine d'ignorer le tribut payé par nos régions en matière de téléphonie et en frais d'itinérance, le fameux roaming ? Nous sommes considérés comme vivant à l'étranger, nous sommes des « Français itinérants » et nous payons une fortune pour communiquer avec les nôtres. Comment donc ignorer la prédation imposée par quelques opérateurs de ce secteur, au moment même où France Télécom vient de supprimer la distinction entre appel local et appel national, acceptant une perte de 170 millions d'euros ? Nos territoires sont considérés comme étrangers. Faites l'expérience, téléphonez donc avec votre portable et vous verrez !

Comment croire que la puissance tutélaire de l'État républicain est incapable d'empêcher les exactions des banques, assurances, assureurs-crédits et autres affameurs qui étouffent la production, et fait prospérer l'hubris de la consommation ?

Comment accepter que la position extérieure de ces mêmes banques et institutions financières soit positive et que l'épargne de nos régions soit investie ailleurs, et d'abord en métropole, en silence, dans l'anonymat le plus total, sans broncher, mais que, de l'autre coté, on tienne une comptabilité scrupuleuse des avantages fiscaux octroyés et des dépenses fiscales tolérées avec, chaque année, des coups de rabot qui rajoutent, au passage, à la stigmatisation et au mépris ?

Comment accepter cette dissymétrie et, pour être plus simple, comment vivre avec cette injustice ? Comment ne pas la crier de cette tribune pour avoir au moins le sentiment d'avoir plaidé et, peut-être, d'avoir été écouté et entendu ? Le Président de la République avait accepté notre proposition d'utiliser l'épargne locale pour dynamiser l'investissement sur place. Où est le fonds d'investissement de proximité dans les DOM, madame la ministre ?

Comment faire lorsque les grands groupes de commerce et d'import-distribution décident souverainement du niveau de notre pouvoir d'achat et que, même après le grand raptus social de quarante-quatre jours en 2009 en Guadeloupe et de trente-huit jours en Martinique, l'État se révèle incapable de lutter efficacement contre la vie chère ? Il donne à sentir cette curieuse, j'allais presque dire cette furieuse impression que le système n'est pas réformable ; il l'essentialise même et le grave dans le marbre de l'éternité.

Nous avions obtenu que l'État puisse intervenir pour réglementer les prix et fasse cesser le scandale de la « profitation » pétrolière ? Pourquoi continuez-vous à payer aux pétroliers ce prétendu manque à gagner – 176 millions d'euros – sans informer la représentation nationale de l'état des négociations apparemment toujours en cours ?

Comment, dans ces conditions, face à cette inertie et à cette impotence, faire croire aux jeunes générations que la politique commande aux « hauteurs dominantes de l'économie » et qu'elle est faite pour maîtriser l'avenir et décider du destin ?

Comment voulez-vous qu'on accepte de subir une récession, que dis-je, une crise gravissime avec un recul de 6,5 % du PIB en Martinique, 4,8 % en Guadeloupe en 2009, de voir exploser le chômage – plus 6,2 % en un an –, se multiplier les dépôts de bilan, savoir que plus de 50 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans ne travaillent pas et piétinent sur le parvis de l'emploi ? Comment accepter que mon département soit considéré comme le plus violent de France, celui où circulent le plus d'armes, devant deux autres que je n'ose désigner, et où on laisse, faute de moyens, se développer les incivilités ? Comment voulez-vous accepter dans le même temps que les crédits budgétaires en faveur des contrats aidés et des politiques de retour à l'emploi outre-mer diminuent de 44 millions d'euros cette année, de près de 100 millions sur deux ans ?

Comment entendre sans cesse rappeler les dispositifs relatifs aux 40 % de vie chère, à la défiscalisation quand on sait que le niveau de vie dans nos territoires est nettement inférieur à celui de la métropole ? Pire encore, sur la base de fausses croyances et d'une irréelle prospérité, une fantasmatique priviligencia qui s'épanouirait sous les cocotiers, il nous faut subir des coups de rabot et des coupes claires dans nos maigres budgets – 1,9 milliard sur votre mission et 3,2 milliards de dépenses fiscales. Par provocation, nous vous proposons de nous donner ces 5 milliards de crédits budgétaires. Nous n'en parlerions plus. L'affaire serait entendue. Accepterez-vous nos amendements en ce sens ?

Jusqu'ici, on faisait mine de croire que les éminences ministérielles n'étaient pas au parfum, pas au fait, pas bien informées : on s'accusait même de n'avoir pas fait remonter l'information et d'avoir échoué dans le lobbying.

Nous nous trompions : aujourd'hui, vous êtes dans la place, vous êtes ministre de la République, conseillère régionale de Guadeloupe mais nous osons vous dire – et cela m'est pénible – que ce ministère, qui perd systématiquement et consciencieusement tous ses arbitrages, ne sert à rien, comme l'ont encore récemment démontré nos collègues sénateurs Massion et Doligé. Chers collègues des outre-mer, je vous assure que nous n'avons tiré aucun avantage de la présence de notre compatriote rue Oudinot. Au contraire, même…

Comment se fait-il, madame la ministre, alors même que votre collègue du budget, lui-même anciennement chargé de l'outre-mer, déclare publiquement mi-septembre que « remettre en cause la défiscalisation outre-mer serait un désastre pour nos territoires », que le principal vecteur de financement de nos économies se retrouve réformé pour une quatrième fois en deux ans ? Et ce alors même que les investisseurs ont avant tout besoin de stabilité juridique et fiscale, comme le rappelait d'ailleurs le Président de la République dans son discours du 12 juillet 2006 en clôture de la convention UMP sur l'Outre-mer : « La défiscalisation est, en réalité, un outil de développement pour des économies sous-capitalisées et spontanément peu attractives pour des investisseurs. Des engagements ont été pris par l'État sur quinze ans, ils doivent être respectés. »

Tout comme pour la mise en oeuvre de la LODEOM – ou plutôt la non-mise en oeuvre ou mauvaise application de la loi –, votre ministère est incapable de mettre en musique les annonces faites par le Président de la République, il y a quasiment un an jour pour jour, lors du conseil interministériel des outre-mer. C'était le 6 novembre 2009. À part les mesures cosmétiques ou symboliques, nous ne voyons toujours rien venir. Telle la Soeur Anne du conte de Perrault, nous continuons de scruter l'horizon. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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