Les opérateurs principaux de la politique de la ville que sont l'ANRU et l'ACSÉ signent des « contrats » d'objectif et de performance mais ne reçoivent aucune garantie quant aux moyens, financiers ou humains, de les réaliser. C'est un bien curieux contrat que celui qui ne lie qu'une seule des deux parties. Pourquoi, madame la secrétaire d'État, n'a-t-on pas inclus de clause de moyens dans les conventions signées avec l'ANRU et l'ACSÉ ?
Les porteurs de projets de rénovation urbaine n'ont pas à redouter la cessation des paiements de l'ANRU, car le financement du PNRU à hauteur de 12 milliards d'euros est garanti par la loi. Cependant, compte tenu de la complexité du montage, couplée aux difficultés d'Action Logement, je ne peux manquer d'être inquiet : le PNRU 2 verra-t-il le jour ? Même s'ils sont importants, les effets dans le temps de la rénovation urbaine sont limités. S'il n'est pas suivi d'un deuxième plan, le PNRU verra donc ses effets fragilisés. Qu'adviendra-t-il, dans ces conditions, des quartiers rénovés, et, a fortiori, des quartiers qui n'ont pas pu bénéficier de la première vague de rénovation ?
Le SG-CIV, l'ANRU et l'ACSÉ, soit l'ensemble des services centraux chargés du pilotage de la politique de la ville, m'ont confié leur inquiétude quant à la situation des services déconcentrés de l'État. La RGPP, révision générale des politiques publiques, engendre jusqu'à présent autant, sinon davantage, de désorganisation que de rationalisation. Certes, le facteur temps doit être pris en compte. Mais les directeurs des services déconcentrés se décrivent – je cite une note interne de l'ANRU – comme des « robots RGPP à deux lames ». Pire, alors que le niveau départemental, opérationnel, subit de plein fouet les restrictions budgétaires, l'échelon régional, plus éloigné du terrain, grossit. Mon sentiment est que l'on ne peut pas mener une politique de la ville digne de ce nom uniquement à coup de tableurs Excel. Peut-on espérer d'autres méthodes avec d'autres moyens ?
À ces incertitudes qui pèsent sur les administrations publiques s'ajoute la perspective de l'extinction des zones franches. Comment ferons-nous pour y éviter l'exode progressif de l'activité économique ? J'ai conscience du coût économique des zones franches ; je sais aussi que leur effet porte davantage sur la localisation de l'activité que sur la création d'emploi : deux tiers des entreprises en zone franche bénéficieraient, dit-on, d'un effet d'aubaine. Soit, mais n'est-il pas dangereux de les supprimer sans autre forme de procès ? Au moins faudrait-il envisager leur succession !
Vous comprendrez bien qu'après avoir recueilli tous ces éléments lors des auditions budgétaires, je n'aie plus la vision optimiste que la seule lecture du projet annuel de performances pouvait faire naître. Je m'interroge sur les perspectives futures, car on est en train de fragiliser une présence publique locale nécessaire à la mise en oeuvre de la politique de la ville. Celle-ci peut d'ailleurs à tout moment subir un « coup de rabot » ; la non-reconduction du PNRU, en particulier, mettrait en péril les résultats auxquels elle est parvenue. Les collectivités pourront-elles assurer le relais ?
Interrogeons nous maintenant sur la gouvernance de la politique de la ville. La question de fond est celle de l'échelle. Trop de politiques sont encore conçues au niveau national, puis plaquées sur les quartiers. Je crois que l'on passe ainsi à côté de la réalité des quartiers. Comme l'écrivait Steinbeck, « chaque ville diffère de toutes les autres : il n'y en a pas deux semblables. Une ville a des émotions d'ensemble ». Peut-être ne faut-il pas une politique de la ville, mais plutôt une politique des villes.
Ne conviendrait-il pas d'associer davantage les élus locaux à la conception de la politique de la ville ? Pourquoi ne pas les rendre responsables, au sens politique du terme, de la mise en oeuvre des dispositifs à destination des quartiers, en leur octroyant des compétences étendues en même temps que des crédits fongibles ?
Comment comptez-vous mettre en cohérence la nouvelle géographie prioritaire et la géographie contractuelle ? Comment parvenir à un zonage qui n'ait pas pour effet pervers de renforcer la perception négative des quartiers ? Autrement dit, faut-il conserver le quartier comme l'échelle d'action de la politique de la ville ou préférer une approche communale, voire intercommunale ?
Lors de votre dernière audition devant notre commission, en septembre, vous avez déclaré « faire du passage au droit commun votre politique », ajoutant que votre objectif était de rassembler l'ensemble des acteurs concernés. Qu'entendez-vous par là ? S'agit-il de permettre aux acteurs locaux de modifier, d'un commun accord, les politiques de droit commun en fonction des particularités des quartiers dont ils ont la charge ?
Considérez-vous que la DSU et la DDU soient des outils adaptés à la résolution des problèmes des quartiers ? Je pense, pour ma part, que la richesse d'une collectivité territoriale et celle de ses habitants sont parfois déconnectées. Donner davantage de moyens à une commune ou une agglomération sans l'obliger à un fléchage strict des crédits vers les quartiers prioritaires améliore-t-il leur situation ?
Vos réponses nourriront notre réflexion sur la politique de la ville, laquelle est, je crois, à un moment charnière de son histoire. Nous avons multiplié les dispositifs de discrimination positive à destination des habitants des quartiers, mais leur caractère stéréotypé a limité leurs résultats. Il nous faut désormais aller plus loin en cessant d'occulter le caractère territorial de la politique de la ville.