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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 2 novembre 2010 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Madame la ministre d'État, par-delà les chiffres de tout budget, il nous faut, vous le savez bien, apprécier avant tout l'efficacité de celui-ci dans la durée. C'est d'autant plus vrai que vous devez prendre en charge le passif de votre prédécesseur et assumer les orientations d'un budget qui traduit une politique réduite à la seule vision pénale de la justice. Il nous faut pourtant regarder aussi l'état de la justice civile ; ce sera l'objet de mon propos.

S'agissant plus particulièrement des cours d'appel, juridictions de référence pour de nombreuses procédures, vous annoncez la diminution du stock d'affaires depuis de nombreuses années, avec toutefois une stagnation en 2009.

S'agissant du délai moyen de délivrance de la copie revêtue de la formule exécutoire, c'est-à-dire du délai séparant le prononcé de la décision dessaisissant la juridiction et la date de remise aux parties, vous indiquez que les informations ne sont pas disponibles.

Mais il est également précisé que cette information n'est pas obligatoire. Et pourtant, c'est aussi dans le temps que se mesure l'efficacité d'une décision. Il me revient à l'esprit une anecdote à ce sujet. Alors que je venais d'annoncer à un client que la décision rendue par la cour lui était favorable, je m'entendis répondre : « Ce n'est pas ce que je vous demande, je voudrais savoir dans quel délai je puis espérer obtenir le règlement de mon préjudice. »

Je mesurai alors tout l'intérêt de la fonction économique et sociale de notre justice. À quoi sert une décision favorable aux justiciables, s'ils ne sont pas en mesure d'obtenir la réparation qu'ils recherchent ? Manifestement, cet indicateur essentiel fait défaut. Peut-être est-ce parce que la réalité est inavouable ?

En effet, nous observons chaque année l'allongement du délai écoulé entre l'audience et le prononcé du délibéré, à tel point que les décisions rendues perdent toute portée utile pour le demandeur. Et si ce n'est pas l'intimé qui paie, les demandeurs n'hésitent plus à se retourner contre l'État pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de la longueur des procédures. La Cour européenne des droits de l'homme n'hésite d'ailleurs pas à condamner régulièrement la France du fait de ces manquements. Il serait utile à l'avenir de retrouver aussi ces indicateurs dans les projets annuels de performance.

De la même manière, nous relevons l'impossibilité de renseigner, pour les tribunaux d'instance, l'indicateur du nombre d'affaires traitées par fonctionnaire. Le motif avancé est la diversité des actes et des tailles des structures, qui rendrait difficiles la construction d'un outil statistique et l'exploitation des données actuellement recueillies.

Je suis sûr d'une chose : le nombre d'affaires traitées a augmenté depuis la réforme de la carte judiciaire. Mais je suis également certain que le délai de traitement des affaires s'est allongé de manière exponentielle. J'en veux pour preuve les témoignages des directeurs de maisons de retraite ou des gérants de tutelle, qui ne cessent de se plaindre de la longueur des délais nécessaires pour obtenir la mise sous tutelle de personnes dont l'état de santé s'est brutalement et fortement dégradé. Même devant les tribunaux de grande instance, qui sont les juridictions les moins affectées par la réforme de la carte judiciaire, certains magistrats en viennent à rouvrir les débats de façon à fixer à plus tard le jugement, comme pour masquer la réalité.

Mais c'est aussi la qualité des jugements qui est en cause, et avec elle la confiance des citoyens dans la justice de première instance. Les cours d'appel traiteront, sur la période 2009-2011, 8,52 % d'affaires civiles et 7,03 % d'affaires pénales supplémentaires.

Je constate aussi, madame la ministre d'État, que la carte judiciaire ne vous préoccupe plus. Pourtant, il s'agit d'un chantier évalué au départ à 1 milliard d'euros, montant porté à 2,8 milliards par vos propres services, et qui n'aurait finalement été financé qu'à hauteur de 250 millions. Il n'y a pas de miracle, mais un état d'abandon. Les dégâts sont là, et les greffiers, pour longtemps encore, dans des Algeco.

En réalité, le Gouvernement fait supporter le coût de ses réformes par le justiciable, sans pour autant améliorer la qualité du service public que ce dernier est en droit d'attendre. Une justice de qualité quel que soit le niveau de juridiction, c'est une justice où le délai de fixation est compatible avec le règlement du litige. Une justice où le délai entre l'audience du jugement et le rendu de celui-ci est suffisamment court pour donner leur pleine efficacité à la motivation, à la qualité de la décision rendue et à son exécution.

Vous annoncez la création de 399 postes de greffiers. Nous aimerions savoir si ces emplois seront réservés aux personnels des études d'avoués, dont l'année 2011 verra la reconversion professionnelle.

Vous annoncez aussi la dématérialisation de la procédure d'appel pour accompagner sa réforme. Le manque de fonctionnalité du système Cassiopée, introduisant des erreurs de droit et des mentions contradictoires, alourdissant l'enregistrement des dossiers et allongeant les procédures, devrait nous servir d'avertissement. Quels sont les moyens financiers réservés aux mutations technologiques que vous envisagez ? Vous remplacez les hommes par les machines, mais vous n'en précisez pas le financement.

Après la réforme improvisée de la carte judiciaire et ses conséquences, après la réforme de la représentation devant les cours d'appel et les dysfonctionnements attendus, vous continuez à sacrifier la justice civile pour ne servir qu'une vision pénale de la justice, dont mes collègues ont par ailleurs dénoncé les limites. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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