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Intervention de Michel Bouvard

Réunion du 18 octobre 2010 à 21h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Bouvard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la loi de finances pour 2011, dont nous commençons l'examen aujourd'hui, reste par bien des aspects marquée du signe de la crise. Il s'agit cependant, aussi et surtout, d'un budget de reprise.

Celle-ci est visible dans le retour progressif à la normale des recettes fiscales nettes : si elles restent inférieures à leur niveau de 2008 – 265 milliards –, elles auront été meilleures que prévu en 2010, avec 254,7 milliards, et se stabiliseront à ce niveau en 2011. C'est là un signe de la prudence qui caractérise la construction budgétaire, comme cela avait été le cas dans le budget dont l'exercice est en train de s'achever.

La reprise est visible aussi côté dépenses, à travers la suppression de la mission « Plan de relance de l'économie », devenue moins nécessaire, et de mesures ad hoc, comme le remboursement anticipé aux collectivités du FCTVA, les prêts en faveur de la filière automobile ou ceux octroyés par le CIRI, qui avaient représenté 23,8 milliards en 2009 et encore 5,3 milliards en 2010.

Cet allégement relatif des contraintes budgétaires liées à la crise permet de mettre enfin en oeuvre une première étape du rétablissement progressif de nos finances publiques, rendu indispensable par l'accroissement de notre endettement et le contexte financier tendu qui domine cette période d'après-crise. Les nombreuses mesures prises pour atteindre cet objectif traduisent la détermination du Gouvernement à oeuvrer en ce sens, mais aussi le soin qu'il porte à ce qu'elles ne soient pas trop brutales, afin de ne pas obérer par un resserrement excessif le retour à la croissance. Ces mesures portent à la fois sur les volets recettes et dépenses.

En ce qui concerne les dépenses, l'introduction dans la loi de programmation des finances publiques d'une nouvelle norme d'évolution des dépenses de l'État, « zéro valeur hors charge de la dette et pensions », à côté de la norme « zéro volume », désormais traditionnelle, devrait contribuer, de façon plus systématique, à une réduction des dépenses de l'État. En l'occurrence, l'application de cette norme aboutit à une réduction en volume des dépenses de l'État de 0,2 %, qui contribue à la réduction du déficit. Ce résultat est obtenu par des mesures extrêmement volontaristes et courageuses, dont il faut se féliciter mais dont la mise en oeuvre illustre malheureusement la trop grande rigidité des dépenses de l'État et la nécessité de profondes réformes structurelles si l'on souhaite aller plus loin dans cette voie.

On le constate par exemple en matière d'effectifs de l'État. Les efforts de réduction fournis ces dernières années, à travers le non-remplacement d'un départ en retraite sur deux, sont encore loin de permettre de stabiliser la masse salariale de l'État, comme l'a montré le travail de la Cour des comptes réalisé à la demande de notre commission. Ainsi, les suppressions nettes de postes entre 2010 et 2011 s'établissent à 30 396 équivalents temps plein, représentant une économie brute de 810 millions d'euros en 2011. Sur une période de trois ans, d'ici à 2014, et pour 100 000 postes – chiffre inférieur, soit dit en passant, au nombre de postes qui ont été créés depuis 1982 malgré les lois de décentralisation –, cette économie devrait monter jusqu'à 3 milliards.

Poursuivie depuis déjà plusieurs années, cette politique n'a pourtant pas empêché la masse salariale de l'État de progresser de 1 % par an ces trois dernières années, et de devoir encore progresser de 0,6 % en 2011. La masse salariale de l'État représentait, en 2010, 82,1 milliards d'euros, soit 31 % des dépenses hors pensions et intérêts de la dette : il semble évident qu'il sera difficile de maîtriser les dépenses de l'État sans maîtriser sa masse salariale.

Cela passe par la poursuite de la réduction des effectifs, mais aussi par une réflexion sur l'évolution du point d'indice et sur les mesures catégorielles au titre de l'intéressement des fonctionnaires à la réforme, qui consomment la moitié de l'économie réalisée sur les suppressions de postes, et même au-delà dans certains ministères, comme l'a rappelé tout à l'heure le rapporteur général.

À la problématique de la masse salariale des fonctionnaires en activité s'ajoute celle des pensions, dont la progression, extrêmement dynamique, s'explique essentiellement par l'envolée des pensions civiles. L'arrivée des générations issues du baby-boom, qui est un constat démographique et non pas un phénomène dû à l'opposition ou à la majorité, provoque en effet une explosion du nombre des pensionnés civils, qui a augmenté de près de 25 % en dix ans. Parallèlement, le montant des pensions versées est passé de 35,4 milliards en 2005 à 46,7 milliards en 2010, soit une augmentation de près de 32 %. En 2011, ce montant devrait encore augmenter de 1,6 milliard, soit une augmentation de 4 %, qui aurait été de 5 % sans la prise en compte des effets de la réforme des retraites dont nous discutons actuellement.

Ces chiffres illustrent bien la nécessité impérieuse de la poursuite et de l'accentuation, par des réformes structurelles, de nos efforts de maîtrise des effectifs. Sans cela, nous serions tenus de rogner encore plus sur les faibles dépenses d'investissement, qui sont les principales dépenses d'avenir.

Étant donné la rigidité des dépenses, c'est, dans un premier temps, sur les recettes que l'effort de restauration des équilibres peut être le plus immédiatement payant, et le Gouvernement s'est engagé dans cette voie avec des mesures autorisant une hausse des recettes de l'ordre de 11 milliards d'euros. L'effort s'est concentré sur les dispositifs fiscaux et sociaux dérogatoires, à hauteur de 6,8 milliards, ce qui répond à une exigence d'équité fiscale, mais aussi à la volonté maintes fois exprimée de mettre un frein à l'envolée des dépenses fiscales constatées ces dernières années, qui correspond trop souvent à un pur et simple contournement de la norme de dépenses.

Pour en rester aux recettes, et au-delà du PLF, je souhaite évoquer la question de la fiscalité du patrimoine. Je partage l'idée d'une remise à plat. Elle suppose tout d'abord une réflexion globale sur ce que représente la fiscalité du patrimoine, les objectifs qu'on lui assigne et la cohérence de ses composantes. Cela nécessite de prendre le temps de la réflexion et des études d'impact. Nous pourrions, je l'espère, aboutir d'ici l'été, comme le Président de la République s'y est engagé. Les travaux menés par le Conseil des prélèvements obligatoires en 2009, sous la présidence de Philippe Séguin, esquissent à cet égard les pistes de ce que pourrait être une réforme d'ensemble. Elle ne saurait se limiter à une suppression pure et simple ni du bouclier fiscal ni de l'impôt sur la fortune, mais doit toucher tous les aspects : modernisation de l'imposition foncière, des droits de mutation, de la fiscalité des revenus du patrimoine. Il convient aussi de favoriser une fiscalité du patrimoine correspondant à une approche dynamique du développement de l'économie.

Bien entendu, cette remise à plat ne pourra ignorer la concurrence fiscale qui sévit en Europe, ni le contexte général dans lequel elle s'insérera, ce que notait déjà le Conseil des prélèvements obligatoires en 2009.

À cet égard, le rapport demandé à la Cour des Comptes pour une approche permettant de prendre en compte les évolutions du principal partenaire économique et financier qu'est l'Allemagne sera tout à fait utile.

Je voudrais maintenant évoquer, à travers deux exemples –les niches et les opérateurs –, la question du contournement de la norme de dépenses, des façons de lutter contre mais aussi des pièges et excès de vertu à éviter.

Dans le cadre de l'effort pour restaurer les recettes de l'État, je souscris pleinement à la volonté de maîtrise de la dépense fiscale. Dans le présent projet de loi de finances, peut-être pour des raisons de délai, c'est la méthode du rabot qui a été retenue. Si cette approche n'est pas si indiscriminée, puisqu'elle ne touche que vingt-deux dispositifs, il s'agit cependant fondamentalement d'une méthode empirique. Il conviendra pour les années à venir que la réflexion soit menée niche par niche, en examinant si les dépenses sont toujours justifiées par rapport à l'époque où elles ont été créées, si l'évolution de la dépense est proportionnée à son utilité économique, sociale ou de création de valeurs, si les retours en termes de fiscalité directe ou indirecte ne compensent pas largement le coût. De la même façon, la question souvent évoquée de l'effet d'aubaine doit être étudiée au cas par cas. Enfin, il serait probablement nécessaire de prévoir, pour chaque dépense, un réexamen tous les cinq ans de son utilité, permettant de limiter l'empilement des dispositifs.

Les travaux d'économies d'énergie fournissent un bon exemple, matériel par matériel ; je me souviens des reproches qui m'avaient été adressés, l'an dernier, sur les mesures d'ajustement, pour les chaudières par exemple.

Je voudrais évoquer ensuite le cas des opérateurs, qui a fait l'objet de travaux réguliers de la MILOLF. De nombreux progrès en ce qui concerne leur contrôle ont été enregistrés ces dernières années. On ne peut que saluer à cet égard la décision prise dans le projet de loi de programmation pluriannuel des finances publiques d'interdire aux organismes divers d'administration centrale, hors CADES et SPPE, d'emprunter au-delà de douze mois. Une telle décision devrait contribuer largement à la maîtrise de l'endettement de l'État, et s'inscrit dans la droite ligne des conclusions du rapport Camdessus de 2010. Elle s'ajoute à l'identification sur le jaune « opérateurs » des dettes de ces derniers – mesure adoptée l'an dernier à mon initiative -, à la mise sous plafond effectif de leurs emplois et au recensement de leur patrimoine.

Si positives et nécessaires que soient ces avancées, elles doivent cependant être appréciées en cohérence avec l'activité des opérateurs visés et avec la réalité. L'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail a un projet immobilier de regroupement sur un seul site, au lieu de la dispersion actuelle sur trois sites, ce qui peut s'avérer positif. Ce regroupement et les économies qu'il permettrait fut d'ailleurs l'une des motivations du regroupement des trois agences. Un tel investissement serait réalisable par emprunt sur vingt ans, avec des traites annuelles égales aux loyers versés pour les trois sites payés sur la dotation de l'État. L'opération serait donc blanche, financée par les économies de loyers. Mais cela suppose un emprunt supérieur à un an ou que l'État consente à intégrer une logique de loyers budgétaires dans son approche au niveau des dotations effectuées aux opérateurs.

De la même manière, il faut prendre en compte, sur les plafonds d'emplois, l'activité des opérateurs. Certains sont industriels et dégagent la majorité de leurs ressources des contrats qu'ils souscrivent.

Enfin, puisque nous en sommes aux opérateurs, je voudrais évoquer la question des affectations. Aux termes de la LOLF, celles-ci devaient rester exceptionnelles, et les opérations retracées dans les comptes d'affectation spéciale être « financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées ». Or il semble que l'habitude se prenne de financer des opérateurs par affectations de recettes sans rapport. Il en va ainsi du financement du fonds interministériel de prévention de la délinquance par une partie du produit des amendes radars.

Il en va également ainsi des affectations effectuées dans la durée par un certain nombre d'opérateurs pour lesquels nous n'avons ensuite plus de nouvelles puisque la recette a été affectée, et dès lors qu'elle l'a été en totalité le Parlement n'a plus à en délibérer.

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