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Intervention de général Jacques Mignaux

Réunion du 13 octobre 2010 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

général Jacques Mignaux :

Croyez-le bien, je suis satisfait de pouvoir, au nom de la gendarmerie nationale, m'exprimer en toute transparence devant vous afin de mettre fin à des allégations qui tendent à jeter le discrédit sur notre institution. Les gendarmes vivent mal ces mises en cause.

Il nous est reproché de détenir des fichiers fondés sur des critères ethniques ainsi qu'un fichier généalogique. Qu'en est-il exactement ?

Nous avons évidemment publié un démenti, mais il a été très faiblement repris. C'est donc avec une certaine satisfaction que j'ai accueilli l'arrivée, vendredi, des contrôleurs de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), à l'OCLDI et au service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD), respectivement commandés par le colonel Stéphane Ottavi et le colonel Francis Hubert, ici présents.

Dès le lendemain de la parution de l'article d'un quotidien du soir, et encore hier, la CNIL a fait procéder à une enquête dans mes services. Ces contrôles ont permis de mettre en évidence, de manière incontestable, l'absence de toute base de données à caractère personnel utilisant des critères ethniques. Vendredi dernier, les enquêteurs de la CNIL sont restés sept heures à l'OCLDI, à Arcueil, et trois heures au STRJD, à Rosny-sous-Bois. Hier, la commission a dépêché à nouveau des enquêteurs, pour des investigations qui n'ont rien fait apparaître d'irrégulier.

Si j'ai bien compris, elle a procédé, dans nos systèmes informatiques, à des interrogations à partir des mots-clés « rom », « gitan », « tsigane », « MENS ». Elle a pu alors constater, tant à Arcueil qu'à Rosny-sous-Bois, que « les requêtes effectuées n'ont pas révélé de données révélant des origines ethniques particulières ». L'intervention de l'autorité administrative indépendante devrait permettre de rétablir la vérité sur ce point.

Le vocable « MENS », acronyme pour « minorités ethniques non sédentarisées », est usité au sein de la gendarmerie depuis une étude sur la criminalité en date du 25 mai 1992. La gendarmerie n'a peut-être pas la paternité de cette appellation ; en tout cas, elle n'est pas la seule à en faire usage ; on le retrouve dans des publications très sérieuses, vous l'avez peut-être remarqué vous-mêmes. En gendarmerie, le vocable a été utilisé pour faciliter le classement et l'échange d'informations, non pour constituer des fichiers d'étrangers ou d'une catégorie de citoyens. Je considère toutefois que l'emploi de cet acronyme, en raison des malentendus qu'il est susceptible d'engendrer, n'est plus opportun aujourd'hui, et je donnerai prochainement des instructions en ce sens : il sera remplacé par « délinquance d'habitude ».

L'OCLDI a succédé à la cellule interministérielle de lutte contre la délinquance itinérante (CILDI), qui avait été créée en août 1998. Le décret de création de l'OCLDI, daté du 24 juin 2004, lui donne pour mission de centraliser, coordonner, analyser et diffuser au niveau national, voire international, les informations recueillies dans son domaine de compétence. Ainsi, l'étude des modes d'opération des malfaiteurs itinérants est clairement au coeur de sa mission.

En raison de la grande mobilité de ses auteurs, actifs tant en France qu'à l'étranger, il est compliqué d'appréhender cette forme de délinquance. Sa répression est également rendue difficile par l'organisation même de cette criminalité, souvent le fait d'équipes de professionnels chevronnés, réitérants ou récidivistes. Celles-ci se livrent à des vols de métaux, de distributeurs de billets ou de fret, ainsi qu'à des agressions extrêmement violentes contre des personnes vulnérables et isolées. Elles opèrent souvent la nuit, ce qui rend difficiles les arrestations en flagrance : seules des enquêtes menées durant plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, permettent la résolution de ces affaires, au terme d'un travail de documentation et d'analyse conduit sur la base d'informations provenant des unités de gendarmerie et des services de police.

Je rappelle à nouveau, comme l'a constaté la CNIL, que l'OCLDI ne possède plus de fichier généalogique. Une base de données, intitulée Geneatic, avait certes été créée en 2000 pour faciliter le travail de la CILDI. Le responsable de la cellule avait alors acheté un logiciel de généalogie disponible sur le marché civil en vue de constituer des schémas généalogiques et des présentations des environnements de délinquants. En 2006, la nette amélioration de la qualité de la remontée de l'information judiciaire par JUDEX a fait tomber l'outil Geneatic en désuétude ; d'autre part, toutes les études juridiques démontraient sa non-conformité définitive à la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978. La gendarmerie a alors décidé de supprimer cette base de données, par une note datée du 13 décembre 2007.

Les informations nécessaires à l'OCLDI sont enregistrées dans une base de données temporaire, de travail, appelée « base OCLDI », hébergée sur un serveur du STRJD depuis décembre 2007. Seuls une quinzaine d'analystes – effectif à mettre au regard des quelque 200 000 enquêteurs de police et de gendarmerie – sont en mesure d'effectuer des requêtes dans cette base de données, afin de satisfaire aux demandes des enquêteurs de terrain comme des magistrats.

Cette base de données conserve une trace des demandes adressées par les unités, ce qui permet de rapprocher des faits identiques et d'alerter les services d'enquête territoriaux. Elle fournit également des éléments statistiques pour définir des plans de lutte contre les phénomènes de délinquance itinérante, en évolution incessante. Elle comprend l'ensemble des informations relevant des domaines de compétence de l'OCLDI, transmises par les unités de gendarmerie et les divers services partenaires – police nationale, administration fiscale, douanes –, ou bien recueillies dans le cadre de procédures judiciaires. Elles sont issues des différentes bases judiciaires et des messages opérationnels transmis par les unités ou par les administrations.

Lors de la constitution de cette base de travail, la gendarmerie s'est interrogée sur le statut juridique des données concernées, qui ne constituent pas un fichier d'antécédents, contrairement à STIC et à JUDEX – le système de traitement des infractions constatées et le système judiciaire de documentation et d'exploitation. Il s'agit en effet d'un fichier de rapprochement et surtout d'une base de données, qui a vocation à figurer au nombre des fichiers d'analyse sérielle prévus par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI). Si cette disposition est adoptée, un décret devra être pris, après avis de la CNIL, afin de mettre en conformité notre base de travail. Les délais d'adoption de la LOPPSI expliquent la situation actuelle : une base de données au statut juridique imprécis. Depuis 2006, la gendarmerie n'a eu de cesse de proposer l'élargissement de la définition des fichiers d'analyse sérielle, au-delà de ce que permettent les lois de 2003 et de 2005.

Créé par un arrêté du 22 mars 1994, le fichier SDRF du ministère de l'intérieur permet le suivi des titres de circulation délivrés aux personnes « sans domicile ni résidence fixe ». Déclaré à la CNIL en 1994, il est utilisé par les préfectures. Hébergé par le STRJD, il comporte des éléments d'état civil et n'est pas fondé sur un critère ethnique. Il est également utilisé par les magistrats et, sur réquisitions judiciaires, par les enquêteurs de l'OCLDI.

La CNIL a pu constater que l'OCLDI ne recourt qu'à des fichiers légaux et déclarés. La gendarmerie a procédé à la déclaration des fichiers indispensables à l'activité opérationnelle de l'institution. JUDEX, le fichier des personnes recherchées FPR, des logiciels de rédaction de procédures tels que LRPGN, des registres informatiques des brigades comme PULS@R et le fichier BDSP – base de données de sécurité publique – ont d'ores et déjà été déclarés ou sont en cours de déclaration. Le fichier des objets volés et des véhicules signalés FOVeS et le programme de traitement des procédures judiciaires TPJ – fusion de STIC et de JUDEX – le seront très prochainement. Les outils d'analyse criminelle et d'analyse sérielle, dont nous avons un besoin impératif pour remplir notre mission, seront déclarés dès l'adoption de la LOPPSI.

Depuis 2006, la question des fichiers est devenue extrêmement sensible. Nous avons notamment eu à traiter d'un fichier des saisonniers, dans les Alpes, et nous avons pris toute la mesure des carences qu'il nous fallait absolument combler. La gendarmerie nationale a donc institué, en 2008, une mission permanente de suivi des systèmes d'information à vocation opérationnelle (MPSSI). Ce dispositif structuré et permanent de contrôle coordonne les différents acteurs de la gendarmerie et impulse une véritable politique interne. La mission cherche à développer des outils adaptés aux enjeux opérationnels tout en s'assurant de leur conformité aux règles de protection des données à caractère personnel.

Nous avons également mis sur pied un groupe des référents fichiers, comprenant, pour chaque fichier, un technicien et un administrateur fonctionnel. Il prolonge efficacement l'action de la MPSSI par une politique efficace en matière de gestion des droits d'accès et de contrôle des utilisateurs.

En septembre 2009, nous avons décidé de renforcer encore ce dispositif en mettant en place deux bureaux de contrôle au sein de l'inspection générale de la gendarmerie nationale : le bureau de la sécurité des systèmes d'information, chargé de contrôler les infrastructures techniques et d'en prévenir les failles ; le bureau du contrôle et de l'évaluation des fichiers, chargé de prévenir la constitution de fichiers irréguliers et les utilisations frauduleuses. Leur action a déjà donné des résultats.

Ce dispositif vise à mettre en oeuvre une politique claire, destinée à développer des fichiers répondant aux besoins opérationnels en même temps que conformes à la législation sur la protection des données. Il tend également vers un meilleur contrôle des utilisateurs et permet désormais un recensement permanent des bases de données existantes.

Enfin, la gendarmerie participe au groupe de contrôle sur les fichiers, dirigé par M. Alain Bauer : nous avons ainsi entrepris, depuis plusieurs années, un important travail d'inventaire des bases nationales et locales en notre possession. La gendarmerie, dans ce cadre, a supprimé ses fichiers mécanographiques : prévue à l'échéance du 24 octobre 2010 par une loi de 2004, cette suppression a été opérée par avance et nous avons dégagé des solutions pour leur archivage. Sont concernés le fichier de la batellerie, le fichier des personnes nées à l'étranger FPNE et surtout le fichier alphabétique de renseignements FAR.

Démentant les allégations dont a fait l'objet la gendarmerie nationale, les contrôles réalisés par la CNIL tendent à démontrer l'absence, tant à l'OCLDI qu'au STRJD, de tout fichier contenant des données à caractère ethnique. La gendarmerie n'a rien à cacher, la transparence dont elle a fait preuve au cours de ces contrôles le démontre.

L'institution a toujours été très attachée à la protection des libertés publiques mais elle n'en demeure pas moins blessée par ces tentatives de déstabilisation. Je me fais ici le porte-parole de mes gendarmes, qui oeuvrent quotidiennement au profit de la sécurité de nos concitoyens.

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