J'ai le sentiment que cette réforme territoriale est quasiment mort-née. Le 1er juin 2010, dans l'hémicycle, à l'issue d'un énième vote contraire aux recommandations du rapporteur et du Gouvernement, notre collègue de l'UMP Pascal Clément, ancien garde des sceaux, déclarait que l'Assemblée nationale était opposée au texte.
Il ajoutait : « Si malgré cela elle le vote, nous allons encore monter une usine à gaz qui ne sera pas acceptée par les gens. Les temps ne sont pas mûrs pour un tel texte. » Le compte rendu officiel précise que les applaudissements que ces propos lui valurent émanaient de certains bancs du groupe UMP.
Quelques jours plus tard, les sénateurs supprimaient le mode de scrutin retenu pour l'élection du conseiller territorial, ainsi que tous les dispositifs d'intégration financière des intercommunalités prévus par le texte originel ; ils rendaient moins aisée la création de communes nouvelles. Ils supprimaient enfin l'une des dispositions les plus contestées du texte : l'interdiction des cofinancements et des compétences croisées.
Et c'est à l'issue d'un vote historiquement serré devant la chambre haute, le texte n'étant adopté qu'avec six voix d'écart, que le projet de loi revient devant notre commission.
Les Français, pas plus que les élus locaux, n'ont réclamé une telle réforme. Autant dire que ce texte, que personne ne soutient, ne rencontre pas plus de soutien dans l'opinion que devant les assemblées parlementaires. Mais le chef de l'État nous somme d'appliquer, coûte que coûte, la révision générale des politiques publiques à nos collectivités et de supprimer le maximum de postes dans la fonction publique territoriale.
On doit d'autant plus s'interroger sur le destin de ce texte que les milliers d'élus locaux seront appelés dans un an à voter aux élections sénatoriales. Je ne crois pas que nos collègues sénateurs aient dans ce contexte l'intention de réduire les pouvoirs et les budgets de ceux qui forment leur collège électoral ! Si l'Assemblée persiste dans ses velléités de mise au pas des collectivités territoriales, nous nous dirigeons donc vers un affrontement entre les deux chambres en CMP ou en troisième lecture. Quels pourront être l'impact et la force politique d'un projet de loi achoppant en CMP ou renvoyé en troisième lecture, boudé par les élus locaux et sévèrement critiqué par l'Association des maires de France ? Mais la majorité parlementaire n'ose pas voter contre un texte dont elle connaît pourtant la faiblesse, les insuffisances comme les dangers. C'est pour cela que nos collègues sénateurs, l'ont peu à peu, la plupart du temps contre l'avis des rapporteurs et du Gouvernement, vidé de sa substance.
C'est pour ces raisons aussi que les députés communistes et républicains proposent de rejeter ce texte, de préserver le maillage communal de notre pays, l'autonomie institutionnelle et fiscale de nos collectivités territoriales, les principes de libre administration et de non-tutelle d'une collectivité sur l'autre, ainsi que la clause de compétence générale.
Pour ce faire nous n'avons pas d'autre choix que de déposer un certain nombre d'amendements de suppression, notamment de la procédure d'exception qui donne aux préfets le pouvoir de rationaliser, pratiquement seuls, la carte de l'intercommunalité, de dessiner les contours des EPCI et de rattacher telle ou telle commune à tel ou tel EPCI contre son gré. De la même façon, les métropoles et les pôles métropolitains, sur le nombre d'habitants desquels personne ne s'accorde, sont à nos yeux porteurs d'un risque sérieux de développement inégalitaire du territoire. Enfin, tout a été dit sur les conseillers territoriaux, qui cumuleraient deux fonctions et deux territoires. Contrairement à toute logique, la réforme sépare ainsi radicalement les compétences des départements et celle des régions tout en fusionnant leurs représentants en un seul et même mandat.
Nous ne nous faisons évidemment aucune illusion : cette commission et son rapporteur vont réintroduire toutes les dispositions néfastes que les sénateurs ont eu l'intelligence d'écarter. Nous défendrons à l'inverse une vision démocratique et égalitaire du développement local, nécessairement assortie des conditions d'un rapprochement entre les citoyens et leurs élus.