Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis en deuxième lecture après son adoption par le Sénat me paraît insatisfaisant, et même contraire à la volonté, a priori consensuelle et affirmée, de renforcer le nouvel ordre international.
Je reprendrai rapidement les quatre points du projet, qui sont autant d'entraves au déroulement normal d'une action pour juger les auteurs des crimes les plus graves. Je reviendrai ensuite sur les conditions de l'examen du texte et sur les coups de freins donnés par le Gouvernement.
D'abord, j'évoquerai la condition, posée à l'article 2 du projet en matière de génocide, que celui-ci obéisse à un plan concerté. Selon moi, le caractère concerté des crimes contre l'humanité doit être présumé : il se déduit des faits. Il peut y avoir génocide et crime sans qu'il y ait eu un plan concerté, c'est-à-dire élaboré et programmé. L'exemple du Rwanda est là pour nous le rappeler.
Ensuite, l'article 7 bis dispose que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République. Le critère de résidence habituelle permettra de faire jouer par anticipation une certaine complaisance diplomatique à l'égard de criminels de guerre ou d'auteurs de crimes contre l'humanité qui viendraient à se trouver sur le sol français et qui relèveraient de la compétence de la convention ; il doit lui être préféré celui de présence sur le territoire national.
Par ailleurs, les faits doivent être punissables à la fois par le droit français et par la législation de l'État où ils ont été commis. Il faut supprimer cette condition de double incrimination, car les pays qui n'incriminent pas ce type d'actes sont justement les plus susceptibles d'être concernés par ces infractions.
Le même article 7 bis donne au ministère public le monopole des poursuites. Cela rompt avec la tradition pénale française, qui confère également ce pouvoir aux victimes. Une telle disposition est susceptible de créer une inégalité entre victimes et de faire dépendre les poursuites de considérations d'opportunité diplomatique.
En outre, le caractère subsidiaire de la compétence nationale est de nature à empêcher une application large des poursuites. Il faut que les juridictions étatiques soient normalement compétentes, la CPI exerçant une compétence par défaut.
J'en viens maintenant à l'attitude du Gouvernement, qui me laisse dubitative.
Je note que, si la France a ratifié le statut de Rome en 2000, elle est encore, dix ans plus tard, en train de discuter de la possibilité de permettre à ses juges de juger les auteurs de crimes internationaux se trouvant sur son territoire. Il s'agit, dans le meilleur des cas, d'une négligence, dans un pays où le moindre fait divers horrible, quand bien même il n'a fait qu'une seule victime, est susceptible de donner lieu à un projet de loi examiné en urgence !