La France porte des valeurs universelles, au premier rang desquelles se trouvent la justice et la promotion de l'État de droit. Cet idéal des droits de l'homme est l'un des fondements de notre Constitution, l'un des piliers de notre justice et l'un de nos principes d'action sur la scène internationale. Pourtant, avec ce texte a minima, notre droit se refuserait à concrétiser réellement l'émergence d'une justice internationale.
Pareil refus exprime, au mieux, un renoncement au rang et à la place qui sont les nôtres au sein du concert des nations et, au pire, un reniement de ce combat pour l'universalité de nos valeurs et contre les auteurs de crimes contre les droits de l'homme.
À la veille du 14 juillet, je ne peux m'empêcher de rappeler que, depuis que la République existe, le peuple français, comme le disait le conventionnel Coupé, « reconnaît pour ses frères tous les enfants de la terre, les admet en son sein et ne connaît d'ennemis que les bêtes féroces, les oppresseurs et les rois ». Avec ce texte, vous vous apprêtez à laisser tranquillement circuler ces oppresseurs, s'il se font un peu discrets. Demain, quand nous auditionnerons en commission des lois le directeur général de l'OFPRA, je suis sûre que certains d'entre vous, mes chers collègues, en appelleront à la fermeté dans le traitement des demandeurs d'asile.
Or la justice internationale est le complément du droit d'asile, et une justice substantielle et partagée garantit la participation des victimes et favorise la création de parties civiles. Reconnu dès 1985 par l'Assemblée générale des Nations unies, le droit d'accès des victimes aux instances judiciaires devrait être une « pierre angulaire » du droit international.
Lionel Jospin l'avait voulu, lorsqu'il fit inscrire dans le statut de Rome la reconnaissance du droit des victimes et leur rôle dans la procédure. En revenant sur ces avancées, vous piétineriez le droit des victimes contre leurs bourreaux.
Si ce texte était adopté en l'état, c'est-à-dire sans les amendements évoqués par Mme Ameline et ceux déposés par le groupe SRC, la France déclinerait sa compétence pour juger les auteurs de génocide coupables des crimes les plus graves, les dictateurs. Si nous décidions, au contraire, de faire sauter les verrous inventés par le Sénat, peut-être ne pourrions-nous plus accueillir sur notre sol les sommets de la Françafrique, ou du moins certaines chaises où prennent place les chefs d'État resteraient-elles vides quelque temps.
Mais, nous en avons la conviction, l'État de droit, la démocratie progresseraient partout, et ces chaises ne demeureraient pas longtemps vides, tant sont nombreux ceux qui luttent dans le monde pour l'état de droit.
Par un autre hasard du calendrier, nous examinons ce texte quelques jours à peine après les déclarations de Jean-Christophe Rufin, ambassadeur – fraîchement débarqué – au Sénégal, qui aspirait à une rupture avec les pratiques de la Françafrique et témoigne aujourd'hui avec amertume de leur vitalité maintenue.
Comme lui, nous nous interrogeons : non seulement une méta-diplomatie est conduite, particulièrement en Afrique, par le secrétaire général de l'Élysée, qui n'est en rien responsable devant le Parlement, mais encore ses « amis » africains ne seront jamais responsables juridiquement en France si le texte qui nous est soumis n'est pas modifié. Le colonel Kadhafi, dont la tente fut dressée trois jours et trois nuits en décembre 2007 dans les jardins de l'Élysée, déclarait il y a peu : « La Cour pénale internationale est une nouvelle forme de terrorisme mondial. » M. Guéant trouverait-il dommage que ladite Cour vienne gâcher les photos de famille ?
Manifestement, certaines voix africaines sont très écoutées à Paris, quand les cris de ceux qui dénoncent abus de pouvoirs, prévarications, élections truquées ou crimes politiques, ne sont pas entendus. On est en droit de se demander si cette volonté, mal dissimulée, de faire de la France un pavillon de complaisance, n'est pas une forme de soutien à certains régimes (Protestations sur plusieurs bancs du groupe UMP), ou si la France ne cherche pas à rassurer son « pré carré » africain, à ne pas couper les liens et à ne surtout pas entraîner de rupture, comme Nicolas Sarkozy l'avait faussement promis.
En refusant de lever la condition de résidence habituelle, la double incrimination ou le monopole des poursuites par le parquet, la France ne fait preuve de clarté ni à l'égard de ceux qui combattent, à travers le monde, pour le droit international, ni à l'égard de ceux qui luttent pour l'avènement de régimes politiques stables, transparents et démocratiques.