Si le Sénat a permis quelques avancées à propos du projet que nous examinons aujourd'hui, il n'en a pas moins instauré des conditions si restrictives qu'elles rendent pratiquement impossible la mise en oeuvre de la compétence universelle.
Nous devons ainsi dénoncer l'adoption en séance publique de l'amendement du rapporteur, accepté par le Gouvernement, qui vide de sa substance le principe de compétence universelle. Ce faisant, la France ne permettra pas que soit effective la cour mondiale et que soit créé un réel mécanisme de coopération judiciaire internationale pour lutter contre les génocides, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre.
Ces conditions se déclinent en quatre critères cumulatifs, qui conditionnent la possibilité de poursuivre un criminel international en France.
Tout d'abord, l'auteur de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou de génocide doit résider habituellement sur le territoire français, alors qu'un simple tortionnaire peut être arrêté et poursuivi dès son arrivée à l'aéroport. La nécessité de prouver la résidence habituelle en France d'un suspect mettra à l'abri des poursuites tous les auteurs et complices de génocide, crime contre l'humanité ou crime de guerre, qui éviteront d'installer en France le centre de leurs attaches professionnelles et familiales et se contenteront d'y effectuer des séjours plus ou moins longs, en toute impunité.
Ensuite, en vertu de la condition de double incrimination, les crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre ne seront poursuivis en France qu'à la condition d'être incriminés par la loi pénale du pays où ils ont été commis. Cette condition représente également un recul de notre droit pénal, qui n'exige la double incrimination que pour les délits et non pour les crimes. Pourquoi le législateur devrait-il la rétablir pour les plus graves d'entre les crimes ? Par définition, les crimes internationaux sont la violation de valeurs universelles reconnues par la communauté internationale. Instaurer la condition de double incrimination revient à remettre en cause cette universalité et conduit à conférer l'immunité, par exemple, aux auteurs de génocide si celui-ci n'est pas pénalement incriminé dans leur propre pays, ou aux responsables de crimes de guerre.
De plus, l'amendement voté par le Sénat confie le monopole des poursuites au parquet, ce qui est totalement dérogatoire au droit commun et à la tradition pénale française. Cette disposition figurait dans l'avant-projet de loi et en avait été retirée à la suite des critiques de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, qui y voyait une « atteinte grave aux droits des victimes à un recours effectif »…