Madame la présidente, messieurs les ministres, mesdames, messieurs, cela fait déjà quelques heures que nous débattons de l'article 35. Comme l'ont souligné plusieurs orateurs de mon groupe, nous sommes dans le dur et sans doute face à l'article le plus contestable de ce si mauvais projet de loi.
À propos de cet article, dont la rédaction a évolué par rapport au texte voté par le Sénat, et en prenant en compte les amendements qui devraient recevoir un assentiment majoritaire au sein de cette assemblée, je voudrais surtout, plus précisément pour la culture mais aussi pour le sport, dissiper tout écran de fumée.
Le Gouvernement, en pleine contradiction d'ailleurs, ayant lui-même déposé un amendement visant à rétablir la clause de compétence générale sur la culture, terme qui a été préféré, et c'était plutôt un bon choix, à celui, ô combien vague et imprécis, source de bien des contestations, de création artistique, on pourrait croire, en effet, que le problème est réglé. Les collectivités territoriales, et notamment les départements et les régions, bénéficieront à nouveau de la clause de compétence générale pour leur politique culturelle.
Je ne voudrais pas que cette victoire, si victoire il y a, ce qui est en tout cas le résultat de la mobilisation des acteurs culturels descendus dans la rue le 29 mars mais aussi le 6 mai dernier, soit une victoire à la Pyrrhus. À quoi sert, en effet, de rétablir la clause de compétence générale pour la culture et le sport si, parallèlement, vous organisez l'asphyxie budgétaire des collectivités territoriales ? Tout le problème est bien là. Comment d'ailleurs ne pas relever une incohérence ? Le Président de la République avait lui-même souhaité lors de ses voeux à la presse le rétablissement de cette clause pour la culture alors même que le projet de son propre gouvernement visait à ce qu'il n'en soit plus ainsi.
J'aimerais que nous puissions tous mesurer les conséquences de ce dont nous débattons aujourd'hui et qui risque d'être voté demain.
C'est une remise en cause de trente ans de décentralisation culturelle. Il faut que vous ayez à l'esprit ce qu'était la carte de la France dans les années soixante-dix et ce qu'elle est aujourd'hui pour l'implantation des équipements culturels. La décentralisation culturelle, c'est toute une histoire, c'est même toute une épopée, dans la foulée de la décentralisation théâtrale des années soixante-dix, et l'on ne peut plus dire comme il y a trente ans que la France est un désert culturel.
Ce précieux maillage est aujourd'hui menacé par les conséquences de votre politique et, notamment, par l'étranglement financier des collectivités territoriales, avec la suppression de la taxe professionnelle et l'absence de compensation des charges que vous leur avez transférées.
Il y a sans doute plus grave, c'est la rupture du consensus qui existait dans notre pays sur les politiques culturelles depuis la création du ministère de la culture par André Malraux il y a plus de cinquante ans, très exactement en 1959. Ce consensus, qui avait résisté à toutes les alternances politiques que nous avons connues durant un demi-siècle, est mis à mal aujourd'hui dans la mesure où la culture est financée avant tout par un cofinancement de l'État et des collectivités territoriales. Comme le rappelait Marcel Rogemont à juste titre, le financement public de la culture est actuellement assumé à 70 % par les communes les départements et les régions. Cette politique de cofinancement, de financements croisés, est essentielle non seulement pour la préservation des lieux mais également pour la vitalité de toutes les structures et de toutes les associations culturelles sur notre territoire.
Nous allons assister à un grand retour en arrière, à une régression, puisque vous allez de fait recréer ce que la décentralisation culturelle avait essayé de gommer au fil du temps, c'est-à-dire des inégalités territoriales pour nos concitoyens dans l'accès à la culture et, notamment, la culture de proximité.
De ce fait, nous nous trouvons dans une situation où les financements de l'État pour la culture se réduisent chaque année. Le Premier ministre vient d'annoncer une réduction de 10 % des crédits et des dépenses, dans le domaine culturel comme dans les autres, pour la période 2011-2013. Parallèlement, les RGPP 1 et 2 ont eu des conséquences dramatiques pour ce ministère ô combien fragile qu'est le ministère de la culture, avec les conséquences que nous pouvons imaginer sur les structures et les associations subventionnées. Vous êtes dans une logique qui vous conduit à asphyxier financièrement les collectivités territoriales, à créer un dispositif législatif dont les conséquences seront lourdes.
C'est la raison pour laquelle il apparaît plus que souhaitable de supprimer cet article 35 ou à tout le moins, s'il était voté, de dissiper l'écran de fumée par lequel on laisserait croire que, parce que les départements et les régions ont récupéré une compétence relative à la culture, tout est réglé. Rien n'est réglé, le problème du financement public de la culture dans les années à venir reste entier. Je tiens à le redire avec insistance : c'est la décentralisation culturelle que vous remettez en cause, c'est un consensus vieux d'un demi-siècle sur les politiques culturelles qui explose aujourd'hui. En un mot comme en cent, quand nous affirmons que la culture est en danger en France, notre propos n'a rien d'excessif. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)