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Intervention de Jean-Marie Delarue

Réunion du 26 mai 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de libert :

Je voudrais d'abord lever certaines ambiguïtés. Je prends volontiers acte des progrès substantiels qui ont été accomplis dans beaucoup de domaines, et je rends souvent l'hommage qui leur est dû à leurs auteurs. Je ne manque pas, dans chacun de mes rapports, de souligner les bonnes pratiques des établissements que je visite ; la diffusion de ces bonnes pratiques est à mes yeux l'un des problèmes que j'ai à résoudre. D'autre part, quand je dis que je m'inquiète de la protection des personnes qui s'adressent à moi, je ne veux pas dire que c'est la plus grave violation des droits fondamentaux que je constate aujourd'hui dans les lieux privatifs de liberté…

L'évaluation du nombre de détenus souffrant d'affections mentales est variable, mais il y en a incontestablement plus qu'autrefois, et par ailleurs on ne sait pas très bien comment les traiter. J'en veux pour preuve l'explosion des hospitalisations d'office de détenus. Je connais un département où leur nombre excède le nombre des hospitalisations d'office de personnes libres. Cette augmentation n'est pas sans lien avec les préoccupations de l'administration pénitentiaire au sujet des suicides en détention. Mon souhait est, d'une part, que les capacités de soins en détention soient suffisantes – on en est très loin – et, d'autre part, qu'il existe des moyens hospitaliers offrant une autre alternative que le maintien en prison ou l'hospitalisation d'office. À ce sujet, je me réjouis de la création des UHSA, mais en soulignant que l'on pourra en faire deux usages opposés : ou bien l'on y mettra des personnes qui y resteront pendant très longtemps et qui constitueront ensemble une population marginale ; ou bien l'on y mettra des personnes dont, à un moment donné, l'état de santé requiert une prise en charge particulière. La seconde solution me paraît la seule intéressante, mais je constate avec inquiétude que certains psychiatres optent pour la première. Monsieur Goujon, je me rendrai bien sûr à l'UHSA du centre hospitalier Le Vinatier de Bron, mais elle vient seulement d'ouvrir ; j'irai, naturellement, un jour où l'on ne m'y attend pas.

Monsieur Goujon, les locaux de dégrisement sont, sauf exception, distincts des locaux de garde à vue dans les commissariats de police. Il n'en va pas de même dans les gendarmeries, où les « chambres de sécurité » ont un double usage ; je le regrette profondément, mais il peut être difficile de faire autrement dans ces établissements de petite dimension. Par ailleurs, alors que les locaux de dégrisement devraient faire l'objet d'une surveillance très attentive dès lors que les personnes qui s'y trouvent sont dans une situation de risque pour leur santé, en général les fonctionnaires de police se contentent de rondes ; je souhaiterais que ces lieux soient, comme les cellules de garde à vue, sous l'oeil direct des personnes chargées de leur surveillance.

Madame Karamanli, je ne suis pas très inquiet au sujet des moyens des UCSA. La plupart des responsables hospitaliers sont bien conscients de l'importance de ces structures ; en outre, ces moyens sont précisément définis dans des protocoles conclus entre établissements de détention et établissements hospitaliers. En ce qui concerne les soins psychiatriques en prison, les difficultés reflètent la situation de la psychiatrie publique en général. Je souhaite que la représentation parlementaire soit sensible à ce problème car il est très important. La prison est aussi singulièrement dépourvue dans d'autres domaines : tous les détenus vous diront que les soins dentaires sont très mal assurés en détention. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit sur la difficulté de prendre en compte les maladies invalidantes. Il reste que les UCSA souffrent moins d'une pénurie de moyens que d'une pénurie de locaux.

Madame Mazetier, je ne suis pas très inquiet que l'on donne aux préfets la faculté de créer des zones d'attente, celles-ci étant créées par arrêté préfectoral. Sans doute M. Vaillant se souvient-il qu'en février 2001, un navire s'était échoué sur les côtes varoises ; à l'époque, nous avions demandé au préfet du Var d'y créer une zone d'attente. Sur ce point, le projet de loi ne me semble pas apporter d'innovation majeure. Naturellement, le Contrôleur général pourra visiter ces lieux puisque, au moment de sa création, il a été dit sans aucune ambiguïté qu'il pourrait se rendre dans tous les lieux privatifs de liberté, fussent-ils provisoires.

Si nous recevons peu de courrier en provenance des centres de rétention, c'est parce que les personnes qui s'y trouvent le sont pour de courtes durées, sont rarement à l'aise avec le français et en général assez peu aidées à connaître leurs droits. Je m'efforce d'être en lien avec les associations qui se chargent de cette aide, afin que les retenus qui le souhaitent puissent nous écrire. Cela peut être long à mettre en place, mais je suis sûr que des solutions seront trouvées.

S'agissant des mineurs, il existe désormais un choix assez large de solutions possibles pour les mineurs délinquants. La délinquance des mineurs s'aggrave, et de plus en plus souvent des mineurs sont impliqués dans des procédures criminelles. Alors que traditionnellement, sur les 600 ou 650 mineurs incarcérés, nous avions environ 70 % de prévenus, nous avons désormais plus de 40 % de condamnés, et cette proportion ne cesse de s'accroître. Les quartiers de mineurs sont en régression, puisque des établissements pour mineurs ont été créés. Les uns et les autres sont des lieux de très grande violence.

Nous n'avons pas trouvé le moyen de gérer efficacement cette violence des jeunes en détention. Tous les personnels sont en difficulté. Les centres éducatifs fermés sont à mes yeux les lieux de privation de liberté les plus inquiétants.

Aujourd'hui, monsieur Goujon, il y a la solution de la discipline de fer, et celle – que l'on voit dans des maisons d'arrêt de la région parisienne – de la compromission, où l'on essaie de négocier les mesures d'autorité. Ainsi, dans une maison d'arrêt visitée la semaine dernière, les surveillants ont renoncé à faire respecter les horaires des cours de promenade, au détriment de ceux qui attendent leur tour… Je pense que d'autres solutions sont possibles, j'y travaille, mais je ne suis pas en mesure aujourd'hui de formuler des propositions. Il m'apparaît en tout cas que la résorption de ce phénomène gravissime passe par une prise en charge individuelle – qui sera extrêmement coûteuse.

Je ne nie pas les progrès qu'ont représentés les établissements nouveaux – il ne faut pas dédaigner les douches installées dans les cellules. Mais ce confort matériel supplémentaire n'empêchera pas de souffrir de la privation accrue de relations sociales, de contacts avec le surveillant – et je crains que l'on en paie le prix. J'ai pleinement conscience que la construction de ces prisons représente un effort considérable pour le pays ; raison de plus pour faire en sorte que ces prisons fonctionnent bien !

Monsieur Raimbourg, j'ai dit publiquement – le directeur de l'administration pénitentiaire m'en a d'ailleurs voulu – que j'étais très peu convaincu par les régimes individualisés de détention, dans lesquels je voyais des possibilités d'arbitraire de l'administration. En Espagne, où j'ai rencontré il y a quelques semaines le directeur de l'administration pénitentiaire, il y a trois régimes de détention : le régime de sécurité, portes fermées, qui concerne 1,5 % des détenus espagnols ; un régime normal, portes ouvertes, qui en concerne 80 % ; un régime souple, qui est un régime de semi-liberté et concerne 18,5 % des détenus. Je ne sache pas que la criminalité et la délinquance espagnoles soient différentes de ce que nous connaissons en France, même si nous avons nos propres traditions. Si l'on veut différencier les régimes, il ne faut pas tomber dans des excès de subjectivité ; sous cette réserve, je ne vois pas d'inconvénient au parcours individualisé d'exécution de la peine, au sujet duquel il serait d'ailleurs malvenu de ma part de critiquer le législateur. Mon travail sera de faire en sorte que les déviations soient évitées.

En ce qui concerne les tarifs des cantines, des différences existent, comme l'avait relevé la Cour des comptes dans un rapport de 2006, mais elles tendent à s'estomper dès lors que les cantines sont encore gérées par l'administration pénitentiaire. En revanche, la gestion privée se traduit par des hausses de tarifs substantielles, que nous avons chiffrées à environ 25 %. Je n'incrimine pas du tout le gestionnaire privé, qui a des contraintes, notamment d'acheminement et d'emballage des marchandises. Mais en contrepartie de ces hausses de tarifs, les détenus ne constatent pas d'amélioration des prestations. Je crois savoir que l'expérience lyonnaise va être abandonnée, et l'expérience lilloise va peut-être l'être aussi. Plus généralement, il faudrait discuter de l'organisation des cantines et de la manière dont les produits sont acheminés aux détenus.

Monsieur Garraud, c'est intentionnellement que je n'ai parlé ni de surpopulation, ni de vétusté, ni de suicide. J'ai vécu assez mal le fait que la presse ait titré à propos de mon rapport 2009 « Énième rapport accablant sur les prisons »… J'essaie d'aller plus loin dans l'analyse des lieux de privation de liberté, plutôt que de reprendre des poncifs.

Le taux d'occupation moyen est aujourd'hui de 109 % – mais les établissements pour peine ne sont pas surpeuplés, tandis que les maisons d'arrêt le sont. La régression est cependant sensible, bien que le nombre d'écrous soit encore en augmentation, en raison du développement massif des alternatives à l'incarcération, et singulièrement du placement sous surveillance électronique – qui ne saurait être la seule solution, et je m'en remets à votre sagesse pour en imaginer d'autres.

Je crois aux vertus de l'encellulement individuel ; j'ai vu trop de détenus souffrir de compagnonnages difficiles. Mais je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'on puisse mettre ensemble des personnes qui le demandent.

En ce qui concerne la formation professionnelle, je suis inquiet de l'ignorance dans laquelle se trouvent les chefs d'établissement des effets de celle qui est dispensée – dès lors qu'ils ne savent pas ce que deviennent les détenus après leur sortie. Je dis depuis longtemps que l'une des difficultés majeures de la détention est de faire le lien entre le dedans et le dehors.

La formation initiale des surveillants s'est très sensiblement améliorée. Il faudrait, en revanche, assurer leur formation continue – ce qui supposerait de pouvoir les remplacer.

S'agissant du secret des correspondances, je demande simplement que la loi soit respectée.

En ce qui concerne les effectifs de nuit, il n'y a aucune amélioration. L'administration pénitentiaire est confrontée à un problème général d'effectifs ; et plus on développe les activités en prison, plus il y a de mouvements à l'intérieur, et plus il faut de personnes pour les assurer. Je trouve insupportable de voir des détenus tambouriner aux portes sans que personne ne leur réponde.

L'économie parallèle est, par définition, très difficile à inventorier. L'héroïne revient. Certaines pratiques sont tolérées, parce que c'est aussi une façon d'assurer la paix sociale dans les établissements.

Dans les locaux de garde à vue, il y a eu des améliorations, mais l'essentiel reste à venir. Trop de commissariats sont très anciens, les personnels sont les premiers à souffrir de leur état.

Monsieur Morel-A-L'Huissier, il n'y a pas de prison sans contraintes, il n'y a pas de prison douce. Cela étant, je ne vois aucun inconvénient au développement de prisons sans barreaux pour certaines catégories de détenus.

Face à la violence en prison, monsieur Houillon, j'insiste sur la nécessité de prises en charge individuelles. Je pense à l'exemple de certaines prisons californiennes, dans lesquelles l'intervention de psychologues a produit de très heureux effets. Je suis attristé que les administrations concernées n'aient pas diffusé de directives sur la prise en charge de la violence, et je vois avec inquiétude, dans certains centres éducatifs fermés, des associations se trouver totalement démunies. Il faut inventer de nouveaux moyens mais, je le dis sans fard, ils coûteront cher à la collectivité.

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