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Intervention de Jean-Marie Delarue

Réunion du 26 mai 2010 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de libert :

Monsieur Hunault, la loi fait obligation au Contrôleur général d'avoir des contacts internationaux. Dès 2008, je me suis rendu au Conseil de l'Europe, où j'ai rencontré des responsables du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT). J'ai également rencontré le Commissaire européen aux droits de l'homme. Depuis, nous nous efforçons, dans le respect de l'indépendance de chacun, de nous concerter et de faire converger nos efforts. Il n'y aurait rien de plus dramatique que de voir deux autorités de contrôle dire des choses différentes après avoir visité le même établissement. Le CPT va venir en France cette année, comme il le fait tous les quatre ans ; nous avons donc décidé que nous nous rencontrerions un peu avant cette visite, ce qui me permettra notamment de dire quelles sont mes éventuelles conclusions sur les lieux que le CPT voudrait visiter.

Cette concertation a un autre avantage : elle me met en rapport avec les institutions homologues des autres pays européens. Le Protocole des Nations unies a été signé par bon nombre de pays d'Europe, y compris à l'Est ; les organismes se mettent en place, et une coordination générale s'organise entre nous au niveau du Conseil de l'Europe.

J'avais également rencontré M. Jacques Barrot, à l'époque vice-président de la Commission européenne, à qui j'avais suggéré, ce qu'il m'a volontiers accordé, de réunir les responsables des organismes chargés, dans les pays membres de l'Union, du contrôle des lieux de privation de liberté. Une première rencontre a eu lieu à Bruxelles le 8 décembre 2009. J'espère que ces échanges entre nous vont se développer, de telle sorte que nous puissions progresser ensemble dans l'efficacité du contrôle. C'est pour moi une exigence absolue.

Monsieur Urvoas, en effet le Gouvernement m'a accordé à l'orée de 2010 deux attachés supplémentaires pour le traitement du courrier et je lui redemande aujourd'hui quatre contrôleurs et trois attachés supplémentaires ; je n'ai pas encore de réponse. Bien entendu, la motivation de ma demande n'est pas du tout l'envie de « grossir », mais simplement l'envie de continuer à travailler au même rythme, en répondant aux saisines dont je suis l'objet.

S'agissant des problèmes de confidentialité, j'ai saisi le directeur de l'administration pénitentiaire au sujet du courrier ; il m'a répondu que les ouvertures de courrier n'étaient qu'accidentelles. Mais comme l'a dit M. Hunault, on constate un écart entre la règle et la réalité : si la réglementation impose de ne pas ouvrir le courrier, ceux qui sont chargés de ce courrier l'ouvrent assez volontiers… En ce qui concerne les téléphones, les choses ont évolué depuis que nous en avons parlé ensemble : le directeur de l'administration pénitentiaire de l'époque m'avait dit qu'au terme d'une étude « juridique », il apparaissait que les conversations avec le Contrôleur général devaient être écoutées ; son successeur, par une note du 29 avril dernier, a exprimé un avis contraire. Les établissements savent donc que désormais, il faut mettre le numéro de téléphone du Contrôleur général sur la liste des numéros non écoutés. Il aura fallu six mois de bataille pour en arriver là.

Sur l'affaire du soutien-gorge, je vous renvoie à ce que je disais tout à l'heure : dans ces lieux de privation de liberté, on aligne le régime de sécurité sur le danger maximal. Mais en l'occurrence, le danger dont il s'agit est largement imaginaire, l'administration est incapable de l'évaluer. Le directeur général de la police nationale prévoyait de rappeler aux services l'instruction selon laquelle il faut adapter les mesures de sécurité à la dangerosité des personnes ; mais le ministre de l'intérieur, lui, m'a répondu dans une lettre du 18 août qu'il n'était pas question de changer de doctrine. Chacun prend ses responsabilités ; pour ma part, je continue à dire que cette mesure est totalement inutile dans la quasi-totalité des cas et qu'elle ne sert qu'à l'humiliation des personnes. Or qui dit humiliation dit ressentiment : est-ce l'intérêt des forces de police de le provoquer ? Je me répéterai donc sur ce sujet ; quant à lui, le ministre fera évoluer sa position s'il le juge bon.

Trois d'entre vous m'ont interrogé sur le Défenseur des droits : comme je viens de le dire, je n'ai pas à interférer avec le travail parlementaire. C'est à vous que revient la décision. Cela dit, rien n'a changé depuis ma nomination : lorsque je me suis présenté devant vous en juin 2008, la création d'un Défenseur des droits était déjà fortement envisagée, même si la révision constitutionnelle a eu lieu le mois suivant. Ma conviction est qu'il faut distinguer la prévention et le règlement des litiges ; pour ma part, je suis là pour faire un travail de prévention, en l'occurrence pour empêcher que, dans les établissements privatifs de liberté, les droits fondamentaux des personnes soient méconnus. Les institutions comparables à la mienne dans les pays européens ont été, pour la plupart, jointes à l'ombudsman ; nous avons été tous d'accord au Conseil de l'Europe, lorsque nous nous sommes retrouvés en novembre dernier, pour dire que si les activités avaient été agrégées, elles ne devaient pas pour autant être confondues, et que, même avec une seule institution, le travail de prévention devait faire l'objet d'un rapport séparé, d'un budget séparé et d'un personnel séparé. Au vu de mon expérience, je crois que la séparation reste le meilleur moyen d'assurer mon travail de prévention. En disant cela, je ne défends bien entendu aucun intérêt personnel.

Le Défenseur des droits pourrait-il être le défenseur des autorités administratives indépendantes ? Dès mon entrée en fonctions, j'ai signé des conventions avec d'autres autorités indépendantes ; j'en ai signé récemment une avec la CNIL, et nous avons fait ensemble une enquête dans une maison d'arrêt il y a quinze jours. Beaucoup de choses peuvent donc être réglées par le biais de conventions ad hoc. Mais eu égard à la reconnaissance constitutionnelle du Défenseur des droits, on pourrait envisager de lui conférer non pas tellement un pouvoir d'injonction – je vous avais dit il y a un an ne pas y accorder beaucoup d'importance –, mais plutôt un rôle de recours pour les autorités administratives indépendantes, afin de garantir leur indépendance. Encore une fois, il ne m'appartient pas de me prononcer.

Monsieur Aeschlimann, le dépistage de l'illettrisme est assez efficace dans la plupart des établissements de détention. En principe, toutes les personnes arrivant en détention ont un entretien avec le responsable local de l'enseignement (RLE) ou son représentant, qui utilise à cette fin un logiciel de l'Éducation nationale. Les formations nécessaires sont-elles ensuite proposées aux personnes dont l'illettrisme a été dépisté ? Dans l'ensemble, oui : si l'enseignement en détention présente beaucoup de faiblesses, en général l'action contre l'illettrisme fonctionne bien – et il faut en savoir gré à tous ceux qui y participent. En revanche, je rappelle qu'en prison, toute réclamation doit obligatoirement se faire par écrit – les surveillants n'acceptent plus les réclamations orales. Cela pose évidemment problème tant pour les illettrés que pour les étrangers – qui représentent environ 20 % de la population carcérale.

Quant aux écrivains publics, si l'administration pénitentiaire ne voit pas d'obstacle de principe à leur présence, leur nombre est aujourd'hui plutôt en diminution. Mon intention est de souligner l'intérêt qu'il y aurait à mobiliser les associations sur ce thème.

À vos deux autres questions, je vous réponds qu'aujourd'hui les courriers sont toujours ouverts, mais qu'ils sont beaucoup moins lus – parce que les vaguemestres n'ont pas le temps. Ils le sont soit par sondage, soit systématiquement pour des détenus particuliers. Je ne sache pas que les sanctions disciplinaires prévues par l'article D. 249-3 soient fréquemment appliquées. Quant à la sanction prévue par l'article D. 416, elle est fort peu pratiquée – principalement du fait qu'on ne lit pas tous les courriers.

Madame Joissains-Masini, il y a beaucoup à dire sur les affectations en maison d'arrêt, même si nous n'avons pas abordé le sujet dans le rapport. L'un des leitmotivs des lettres que nous recevons de détenus est le rapprochement de leurs familles. Mais s'il y avait au XIXe siècle 370 maisons d'arrêt, elles sont aujourd'hui beaucoup moins nombreuses, ce qui rend les éloignements plus fréquents. C'est vrai notamment pour les femmes et pour les mineurs. De plus, compte tenu de la surpopulation, même si celle-ci diminue depuis un an et demi, il arrive aussi que certaines personnes soient envoyées d'une maison d'arrêt à une autre et se trouvent ainsi davantage éloignées. Pour le reste, les personnes sont affectées, au mieux, en distinguant prévenus et condamnés et suivant leurs affinités avec leurs cocellulaires, mais il ne me paraît ni dans les possibilités ni dans les intentions de l'administration pénitentiaire d'avoir des maisons d'arrêt spécialisées par type de détenus.

Tout autre chose est l'affectation en établissement pour peine, où l'on voit davantage se dessiner ce que vous avez évoqué.

En prison, dites-vous, les forts écrasent les faibles. C'est bien ce que nous avions indiqué dans les premières recommandations que nous avons publiées sur un établissement pénitentiaire, la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône. La violence dans ces établissements est l'une de nos inquiétudes majeures. Elle ne se manifeste pas seulement à l'occasion de la cantine ; on la constate aussi dans les cours de promenade, dans les douches et dans bien d'autres endroits encore.

Nous avons commencé à quantifier les écarts de ressources entre détenus, qui peuvent être de 1 à 20. Il y a « les indigents », comme on dit dans le jargon pénitentiaire – qu'il serait judicieux de faire évoluer –, et à l'autre bout de l'échelle des personnes qui ont aux environs de 1 000 euros par mois ; mais dans leur majorité, les détenus sont dans une situation financière extrêmement précaire. Les rapports de forts à faibles n'ont cependant pas seulement une origine financière ; on constate notamment la constitution de bandes. Dans la maison d'arrêt où je me trouvais la semaine dernière, la vie sociale des quartiers déshérités de l'agglomération a été reconstituée, leurs bandes s'affrontent et exploitent les personnes qui viennent d'ailleurs.

Quant aux surveillants et aux personnels en général, qu'il soit bien clair que je ne veux pas opposer aux droits dont ils doivent disposer les droits des détenus, pas plus que je n'oppose aux droits des victimes les droits des auteurs d'infraction. Il faut un équilibre entre les uns et les autres. Je suis très conscient que les surveillants ont un métier extrêmement dangereux – et qui l'est d'autant plus que la violence est un mode de règlement des conflits qui gagne toute notre société. Je n'en considère pas pour autant que le fait de restaurer les droits des détenus, tels qu'ils sont reconnus par la loi pénitentiaire, nuira à la sécurité en prison : je suis convaincu du contraire – un détenu traité dignement aura moins de raisons de s'attaquer à un surveillant.

Monsieur le ministre Perben, l'administration pénitentiaire ne s'est guère souciée de mesurer combien de postes d'emploi ont été perdus en prison à cause de la crise économique. C'est pourquoi je l'ai fait. Peut-être faut-il reconsidérer la question du travail en prison de façon un peu nouvelle ; pour ma part je ne suis pas au bout de ma réflexion sur ce point.

Je crois qu'il faudrait dynamiser la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP), afin qu'elle fournisse du travail pour contrebalancer les effets de la conjoncture économique – mais en évitant d'exposer les détenus à des substances nocives ou de leur donner des activités un peu étonnantes : que l'on fabrique les chaussures des surveillants à la centrale de Clairvaux me gêne…

Par ailleurs, il faudrait s'efforcer, en dépit de la très faible qualification de la plupart des détenus, de hausser le niveau du travail donné aux détenus, aujourd'hui dénué le plus souvent de tout intérêt en termes d'acquisition d'une qualification. L'informatique me paraît offrir des potentialités qu'il faudrait exploiter : tout le monde est désireux d'apprendre à s'en servir – les cours d'informatique en détention marchent d'ailleurs très bien –, elle demande peu de place et elle permet de travailler en réseau – et par conséquent avec l'extérieur. Je me réjouirais que l'administration lance une mission sur ce sujet.

En troisième lieu, il faut se préoccuper des contraintes structurelles du travail en prison. Savez-vous, par exemple, que le camion qui apporte des matières premières destinées à la fabrication de produits en prison peut parfois stationner jusqu'à douze heures avant de pouvoir entrer, la priorité étant donnée aux véhicules qui transfèrent des détenus ? Ces délais d'attente ont pour corollaire évident l'augmentation du coût du transport des matières premières, et donc du coût de fabrication du produit fini – qui est à faible valeur ajoutée. Il faut donc réfléchir aux moyens de réduire ce type de coûts induits par le travail en prison.

Monsieur Blisko, nous sommes aujourd'hui singulièrement démunis en matière d'évaluation de l'hospitalisation sans consentement. Les dernières statistiques sur le sujet remontent à 2005, année où 71 000 hospitalisations sans consentement ont été dénombrées, les neuf dixièmes d'entre elles étant des hospitalisations à la demande d'un tiers – c'est-à-dire de la famille – et les 10 % restants des hospitalisations à la demande de l'autorité administrative, c'est-à-dire le préfet, relayant de plus souvent la demande d'un maire. C'est évidemment un événement redoutable dans la vie d'une personne que d'être ainsi hospitalisée contre son gré. La loi a prévu un certain nombre de garanties pour que cette hospitalisation, lorsqu'elle est infondée sur le plan thérapeutique, cesse aussitôt que possible. Mais l'opinion est inquiète, et les autorités de l'État s'en sont fait l'écho, de certains dysfonctionnements, et notamment de conduites dangereuses de personnes sorties trop tôt de l'hôpital psychiatrique.

Là encore, il faut trouver le bon équilibre. Que l'on mette l'accent sur la sécurité – en refermant des secteurs hospitaliers qui étaient ouverts, en renforçant les contrôles à la sortie des hôpitaux… – ne me gêne pas à la condition que ce soit, dans tous les cas, l'état de santé du patient qui prime. Je suis donc un peu inquiet qu'une circulaire du 11 janvier 2010 ait restreint de manière drastique les sorties d'essai des patients hospitalisés sous contrainte.

Actuellement, le nombre des hospitalisations sans consentement tend à augmenter, et leur levée est de plus en plus difficile à obtenir. Mes contrôleurs se sont rendus la semaine dernière dans un département que je ne veux pas nommer, où un préfet, avant de lever les hospitalisations sans consentement, a demandé à l'autorité de police ou de gendarmerie de lui fournir un rapport sur la personne. Or que fait cette autorité ? Elle va enquêter sur le comportement qu'avait la personne avant son hospitalisation et qui avait précisément conduit à l'hospitaliser… Et le préfet se fonde sur cet avis pour refuser la levée de l'hospitalisation ! Autrement dit, il tient pour nul et non avenu le processus thérapeutique qui est intervenu. En remplissant ainsi les hôpitaux, on risque, dans quelques mois ou années, de manquer de lits pour hospitaliser des personnes qui en auront vraiment besoin. J'espère vivement que les débats sur la réforme de la loi de juin 1990 seront l'occasion d'examiner très sérieusement ces problèmes.

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