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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 19 mai 2010 à 11h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Il y a déjà dix ans que la France a ratifié le Statut de Rome. Sur un sujet aussi essentiel que la poursuite de criminels contre l'humanité ou de criminels de guerre, nous aurions pu faire preuve d'un peu plus d'empressement…

La commission des Lois du Sénat, dans un premier temps, avait voté à l'unanimité la clause de compétence universelle, mais celle-ci a été aussitôt remise en cause par le rapporteur, soutenu par le Gouvernement. Quatre conditions, qui sont autant d'obstacles, ont ainsi été posées à sa mise en oeuvre. Notre collègue Nicole Ameline, qui appartient au parti majoritaire, a défendu ce principe de compétence universelle devant la commission des Affaires étrangères, qui l'a suivie.

Il ne s'agit pas de proposer une juridiction mondiale, mais de construire un ordre juridique international en matière pénale. Pour cela, il convient d'avoir l'interprétation la plus large possible du Statut de Rome, afin de poursuivre, y compris sur notre territoire, les auteurs de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre.

C'est pourquoi nous avons déposé des amendements tendant à lever les quatre verrous posés par le Sénat. C'est le souhait exprimé aussi bien par la Coalition française pour la CPI qui, comme l'a indiqué notre collègue Urvoas, regroupe quarante-cinq organisations, que par Amnesty International ou par le Conseil national des Barreaux. Il serait irresponsable de ne pas entendre tous ceux qui s'accordent ainsi à réclamer la clause de compétence universelle.

J'ajoute que, eu égard notamment à ce qui se passe en Louisiane, nous serions bien avisés d'élargir les compétences de la CPI en reconnaissant la notion de crime écologique. Les juges français se sont d'ailleurs engagés dans cette voie à l'occasion de l'affaire Erika, en reconnaissant la notion de préjudice écologique.

Les quatre verrous posés par le Sénat feraient de la France, qui se présente comme la patrie des droits de l'homme, le pays qui en Europe aurait l'interprétation la plus restrictive du Statut de Rome, et où un criminel contre l'humanité ou un criminel de guerre pourrait vivre tranquille.

Tout d'abord, le texte adopté par le Sénat ne permet de juger les suspects de crimes internationaux que s'ils résident habituellement sur le territoire français, ce qui assure l'impunité à tous ceux qui viendraient en France sans y installer leur résidence habituelle.

Autrement dit, tandis qu'un « simple tortionnaire » peut être arrêté et poursuivi à l'occasion de son passage en France, en vertu de l'actuel article 689-2 du code de procédure pénale, l'auteur présumé de crime de guerre, crime contre l'humanité ou génocide pourrait circuler librement sur le territoire français dès lors qu'il ne s'y installerait pas durablement. Rien ne justifie un critère aussi restrictif, alors que le critère de simple présence, tel qu'interprété dans la jurisprudence de la Cour de cassation, est d'ores et déjà en vigueur dans notre droit positif pour les crimes internationaux commis en ex-Yougoslavie ou au Rwanda – lois des 2 janvier 1995 et 22 mai 1996 – ou encore pour tous les crimes énumérés aux articles 689-2 à 689-10 du code de procédure pénale.

En second lieu, le texte adopté par le Sénat introduit une condition de double incrimination, en vertu de laquelle ces crimes ne seraient poursuivis en France qu'à condition d'être incriminés par la loi pénale du pays où ils ont été commis.

Alors que le Statut ne prévoit pas cette exigence, le projet de loi subordonne la compétence des juridictions françaises à la condition que les crimes soient punissables dans leur pays d'origine. Par définition, les crimes internationaux constituent la violation de valeurs universelles reconnues par la communauté internationale et jusqu'à ce jour ardemment défendues par la France. Sur le plan symbolique, entériner cette condition de double incrimination reviendrait à remettre en cause l'universalité des droits de l'homme. Sur le plan pratique, ce serait créer des obstacles réels aux poursuites, dès lors que les gouvernants des pays commettant de tels crimes n'auraient probablement guère de peine à adapter leurs propres lois pour se mettre à l'abri des poursuites.

En troisième lieu, le texte adopté par le Sénat confie le monopole des poursuites au ministère public et empêche les victimes de déclencher l'action publique en se constituant parties civiles, ce qui constitue une rupture radicale avec la tradition française.

Cela paraît d'autant plus incohérent que la France s'est battue avec succès, lors des négociations du Statut de Rome, pour qu'il reconnaisse aux victimes une place et un rôle dans la procédure devant la CPI. Il serait choquant et contraire au principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant la loi que le droit de déclencher une poursuite pénale par plainte avec constitution de partie civile, ouvert pour le moindre délit de droit commun, soit retiré aux seules victimes des crimes les plus graves – alors que, de surcroît, les seuls procès pénaux d'importance engagés à l'encontre d'auteurs présumés de crimes internationaux l'ont été, en France, sur plainte avec constitution de partie civile.

À titre d'exemple, le ministère public n'a jamais engagé de poursuites de son propre chef contre des Rwandais suspects de participation au génocide de 1994 et trouvés sur le territoire français, préférant systématiquement attendre que des victimes déposent plainte avec constitution de partie civile.

Enfin, le projet tel qu'amendé par le Sénat inverse le principe de complémentarité défini par le statut de la CPI, en subordonnant les poursuites en France à la condition que la Cour ait expressément décliné sa compétence. L'article 17 du Statut prévoit que la Cour ne peut se saisir qu'après avoir constaté la défaillance des juridictions internes ; elle n'a ainsi qu'une compétence complémentaire de celle des juridictions pénales nationales. Au contraire, le texte adopté par le Sénat prévoit que les juridictions françaises ne pourront pas être saisies sans que la CPI ait expressément décliné sa compétence, ce qui va à l'encontre de la compétence de principe des États énoncé dans le Statut et constituerait, dans la pratique, une difficulté supplémentaire à l'exercice des poursuites en France, dès lors qu'il faudrait d'abord obtenir de la CPI un déclinatoire que son statut ne lui permettrait vraisemblablement pas de donner.

Pour ces raisons, nous avons déposé des amendements visant à appliquer le Statut de Rome conformément à l'esprit qui a présidé à son élaboration et à sa ratification par la France.

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