Ce projet a été adopté par le Sénat il y a près de deux ans, le 10 juin 2008, et a fait l'objet d'un avis de la commission des Affaires étrangères de notre assemblée en juillet 2009.
La signature du traité de Rome en juillet 1998 a marqué une étape majeure dans la longue marche pour l'établissement d'une justice pénale internationale avec la création de la CPI, première juridiction pénale internationale permanente, qui est entrée en fonction le 1er juillet 2002. Sa compétence est limitée aux crimes les plus graves touchant l'ensemble de la communauté internationale : crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, auxquels s'ajouteront sans doute prochainement les crimes d'agression.
La création de la CPI a déjà conduit notre pays à adapter son droit interne : à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, la Constitution a été révisée le 28 juin 1999. Aux termes du nouvel article 53-2 – non modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 –, « la République peut reconnaître la juridiction de la CPI dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ». Cette révision a ouvert la voie à la ratification du traité par la France, intervenue le 9 juin 2000.
Seconde étape de l'adaptation de notre droit, la loi procédurale du 26 février 2002, adoptée avant même l'entrée en fonction de la CPI, a défini les conditions de la coopération de la France avec la CPI, non seulement au sujet de l'arrestation et de la remise des personnes réclamées par la Cour, mais également en matière d'exécution des peines prononcées par elle.
Le présent projet constitue le troisième volet de l'adaptation de notre droit à l'instauration de la CPI. Cette fois, il s'agit d'une adaptation de fond, consistant à incorporer dans notre droit pénal les infractions prévues par le Statut de Rome et qui font encore défaut en droit interne.
Ainsi, notre droit pénal ne reconnaît pas aujourd'hui en tant que tels les crimes de guerre. La plupart des actes relevant de cette définition peuvent, d'ores et déjà, être poursuivis sur la base des dispositions de droit commun de notre code pénal, telles celles punissant l'assassinat, les actes de torture, les prises d'otages, les violences sexuelles ou les destructions. Mais ces dispositions ne permettent pas de prendre en compte la spécificité des infractions liées à un conflit armé et leur particulière gravité compte tenu, notamment, de la situation de plus grande vulnérabilité des populations civiles.
Seuls les crimes contre l'humanité commis en temps de guerre font l'objet d'une disposition spécifique : l'article 212-2 du code pénal punit de la réclusion criminelle à perpétuité les crimes contre l'humanité commis en temps de guerre en exécution d'un plan concerté.
Prenant acte de cette lacune de notre droit, la France s'est d'ailleurs prévalue des dispositions de l'article 124 du Statut de Rome qui permet aux États parties de déclarer que, pour une période de sept ans à partir de l'entrée en vigueur du statut – soit jusqu'au 1er juillet 2009 –, ils n'accepteront pas la compétence de la Cour à l'égard des crimes de guerre lorsqu'ils ont été commis sur leur territoire ou par leurs ressortissants. Le Gouvernement français a cependant, par anticipation sur le vote de la loi, retiré sa déclaration dès le 15 juin 2008 ; depuis cette date, la France reconnaît ainsi la compétence de la CPI pour juger des crimes de guerre.
Aucune disposition du Statut de Rome n'oblige les États parties à procéder à une harmonisation de la définition en droit interne des crimes relevant de la compétence de la Cour. Cependant l'adaptation de notre droit pénal interne est rendue nécessaire par l'application du principe de complémentarité, posé par l'article 1er de la Convention de Rome, en vertu duquel il incombe au premier chef aux États parties de juger des crimes relevant de ce statut, dans le cadre des procédures propres à chaque État, la CPI n'exerçant sa compétence que dans le cas où les États ne veulent pas ou ne peuvent pas poursuivre. Dès lors, toute carence dans la législation interne induit nécessairement la compétence de la CPI.
Derrière cette raison juridique, il y a aussi des raisons plus politiques : la mise en place d'un système pénal international efficace suppose le concours de toutes les justices nationales ; notre pays, qui a joué un rôle majeur dans les négociations du statut de la Cour, se doit d'être exemplaire.
Il est important que nous examinions ce projet – et j'espère qu'il sera très prochainement inscrit à l'ordre du jour de la séance publique –, afin que la France ait adapté son droit interne avant la Conférence de révision du Statut de Rome, qui doit s'ouvrir à la fin de ce mois à Kampala, en Ouganda. Cette conférence doit rechercher les moyens d'améliorer le fonctionnement de la Cour, qui souffre de la grande lourdeur de ses procédures, comme l'a souligné lors de son audition M. Bruno Cotte, président de la deuxième chambre de jugement de la Cour.
Les différents articles de ce projet ont pour objet, pour l'essentiel, de compléter les incriminations prévues par notre code pénal. L'article 1er vise à sanctionner l'incitation directe et publique à commettre un génocide. L'article 2 précise la définition du crime contre l'humanité. Les articles 3 et 8 permettent la mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique militaire ou civil du fait de sa complicité passive dans un crime contre l'humanité ou un crime de guerre commis par un subordonné, sans pour autant que ce dernier puisse s'affranchir de sa propre responsabilité au seul motif qu'il a exécuté un ordre. L'important article 7 introduit dans le code pénal un nouveau livre, relatif aux crimes et délits de guerre.
Il faut souligner que ce texte vise à adapter notre droit pénal au statut de la CPI, non à transposer le Statut de Rome. La nuance est importante : l'adaptation autorise une certaine souplesse dans l'interprétation du statut, d'autant que la terminologie anglo-saxonne est parfois bien éloignée de la nôtre et que certains concepts juridiques contenus dans le statut sont même inconnus de notre droit. J'insiste sur ce point : il ne nous est nullement demandé d'adopter un texte en conformité stricte avec les terminologies retenues par le Statut de Rome.
De plus, ce statut définissant des infractions sans les assortir des peines correspondantes, et laissant donc à chaque État le soin de fixer le régime de sanctions applicables, le projet, conformément à notre échelle des peines, fait la distinction entre les crimes et les délits de guerre, alors que la convention ne traite que des « crimes de guerre ».
Le Sénat a souhaité rapprocher davantage de la Convention de Rome la définition de certaines infractions.
S'agissant des crimes de guerre – article 7 –, il a adopté plusieurs amendements, tendant à incriminer le pillage, même si celui-ci n'est pas commis en bande ; à interdire l'enrôlement forcé de toutes les personnes protégées – et non uniquement de celles appartenant à la partie adverse ; à autoriser la mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique civil dans le cas où celui-ci aurait délibérément négligé de tenir compte d'informations indiquant clairement que le subordonné allait commettre un crime de guerre ; à encadrer les conditions dans lesquelles l'auteur d'un crime de guerre pourrait être exonéré de responsabilité pénale en cas de légitime défense.
À l'initiative de M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des Lois, le Sénat a même voulu aller au-delà des exigences de la Convention de Rome en portant de quinze à dix-huit ans l'âge à partir duquel il est possible d'organiser la conscription ou l'enrôlement dans les forces armées.
Un important débat a également eu lieu au Sénat sur la compétence universelle qui pourrait être reconnue aux juridictions françaises afin de leur permettre de poursuivre et juger l'auteur d'un crime international, même si les faits se sont déroulés hors du territoire national et même si tant le responsable que la victime sont étrangers.
La compétence universelle déroge aux règles habituelles de compétence de nos juridictions nationales. Celles-ci sont fondées sur trois critères alternatifs : le critère territorial – l'infraction a été commise sur le territoire de la République – ; le critère de la compétence personnelle active – l'auteur a la nationalité française – ; le critère de la compétence personnelle passive – la victime a la nationalité française.
Le Sénat n'a pas choisi de reconnaître une compétence universelle mais il a adopté un amendement, devenu l'article 7 bis, qui reconnaît aux juridictions françaises une compétence extraterritoriale leur permettant, sous certaines conditions strictes, de poursuivre et de juger toute personne résidant habituellement en France et qui se serait rendue coupable à l'étranger d'un crime relevant de la compétence de la CPI.
Le dispositif adopté par le Sénat suppose que quatre conditions soient cumulativement remplies : la personne « réside habituellement » sur le territoire de la République ; les faits qui lui sont reprochés sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis, ou cet État ou celui dont elle a la nationalité est partie au Statut de Rome – critère de la double incrimination – ; la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public, qui dispose en la matière d'un monopole ; aucune juridiction nationale ou internationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne et la CPI décline sa compétence – principe de subsidiarité.
Des amendements ont été déposés pour supprimer ces quatre conditions. Pour ma part, je ne crois pas qu'il faille aller au-delà du dispositif adopté par le Sénat. La compétence universelle des juridictions françaises reconnue en certains domaines, notamment le terrorisme, ne procède que de conventions internationales et ne vaut que pour les infractions désignées par celles-ci. La Convention de Rome n'impose nullement la reconnaissance d'une telle compétence, qui poserait de lourdes questions.
Sur le plan juridique, tout d'abord. Le problème du champ géographique d'application n'est pas tranché. Une telle compétence peut-elle s'exercer à l'encontre de ressortissants de pays qui ne sont pas partie à une convention autorisant l'exercice d'une compétence universelle ? La question est actuellement examinée par la Cour internationale de justice dans une affaire opposant le Congo à la France, relative à une procédure pour crimes contre l'humanité et tortures engagée par une juridiction française contre un ministre congolais de l'intérieur ; les autorités congolaises contestent que la France s'arroge une compétence universelle en matière pénale alors même que le Congo, à l'époque des faits, n'était pas partie à la convention contre la torture. Il m'apparaît plus prudent d'attendre la décision de la Cour internationale de justice avant d'élargir de nouveau le domaine d'application de la compétence universelle.
Il y aurait d'autre part des difficultés pratiques, pour une juridiction française, à mener une instruction sur une affaire qui s'est déroulée hors du territoire national et qui met en cause des étrangers.
La Belgique, après avoir conféré à ses tribunaux une compétence universelle en 1993, a dû faire marche arrière en 2003, en raison des difficultés soulevées par le dispositif. L'exposé des motifs de la loi d'août 2003 dénonçait « l'utilisation politique manifestement abusive » des dispositions de la loi de 1993, qui permettait aux juridictions belges d'engager des poursuites dans un champ très large, d'engager des poursuites in absentia et de mettre en mouvement l'action publique par la voie d'une constitution de partie civile. La loi de 2003 a donc exigé l'existence d'un lien avec la Belgique et instauré dans la plupart des cas le monopole du procureur fédéral pour l'engagement des poursuites. Ne tombons pas, par excès de bons sentiments, dans les errements qu'ont connus les Belges, ainsi que les Espagnols, qui comptent eux aussi revenir prochainement sur leur loi.
Historiquement, la compétence universelle a été conçue pour surmonter les situations d'impunité auxquelles peut aboutir l'application des règles traditionnelles de compétence des juridictions nationales. Il en est bien ainsi dans les cas actuels de compétence universelle. Dans le système du Statut de Rome, en revanche, il ne revient pas aux États parties, mais à la CPI, de se substituer à l'État défaillant qui aurait été normalement compétent pour juger l'auteur d'un crime international.
Pour toutes ces raisons, chers collègues, je vous invite à adopter sans modification le texte qui nous vient du Sénat, où il a été adopté à l'unanimité des groupes politiques.