Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, nous le regrettons, n'est pas motivé par la défense ou la préservation de l'intérêt général, mais bel et bien par celles du modèle économique porté par les opérateurs, agissant jusqu'alors en toute illégalité et en toute impunité. En d'autres termes, voter cette loi revient à blanchir des intérêts privés aujourd'hui illégaux, au détriment, notamment, des principes de prévention du risque d'addiction, de préservation de la santé publique, de pérennité des recettes fiscales et sociales de l'État.
Cette deuxième lecture a d'ailleurs été marquée par la fièvre du jeu, les opérateurs faisant feu de tout bois pour faire valoir leurs impératifs commerciaux : le texte doit être prêt avant la Coupe du monde de football pour leur permettre de plumer nos concitoyens en toute légalité.
Cette perspective est d'autant plus inquiétante que le nombre d'inactifs dans notre pays ne cesse d'augmenter et que, selon de nombreuses études, ces derniers forment les plus gros bataillons de joueurs en ligne.
Le Parisien sous-titrait d'ailleurs dans son édition de ce matin : 4 millions d'accros attendus sur le net !
Pour satisfaire à ces intérêts mercantiles, les assemblées ont donc été mises au pas, et singulièrement la nôtre, mes chers collègues, puisque pas un seul des quelque 200 amendements déposés sur ce texte n'a été adopté.
Nous n'avons cessé de faire valoir que les jeux d'argent et de hasard ne sont pas une activité économique ordinaire et que le régime général d'interdiction qui prévaut encore aujourd'hui est particulièrement pertinent.
Hélas, votre volonté dogmatique de déréguler, portée par des opérateurs intéressés aux mises, aura eu raison d'un équilibre pourtant protecteur.
Votre texte rompt ainsi avec une tradition républicaine séculaire, ce qui ne manque pas de susciter la perplexité, pour ne pas dire l'incompréhension, incompréhension d'autant plus légitime que rien, du moins pas l'Union Européenne, n'oblige aujourd'hui la France à ouvrir le secteur des jeux d'argent et de hasard à la concurrence.
Ce qui nous choque le plus, c'est la manière brutale et hâtive qui a caractérisé la rédaction, le dépôt et la discussion au pas de charge de ce projet.
Il est vrai que vous ne pouviez vous enorgueillir d'avoir cédé aux pressions des opérateurs et de toutes les filières qui bénéficieront de cette ouverture, mais vous n'avez pas fait preuve de la plus grande finesse en vous appuyant sur la nécessaire régulation d'un marché pour l'instant illégal.
Vous n'avez d'ailleurs envisagé aucune solution alternative à cette ouverture à la concurrence pour réguler la part des jeux qui échappaient à notre législation. Tous nos amendements en ce sens ont été repoussés avec le concours d'un argument d'autorité : impossible de faire autrement ! Cuisant aveu d'échec de la puissance publique face aux puissances de l'argent.
Plusieurs autres points noirs jalonnent ce mauvais texte :
Il y a d'abord une menace sur un équilibre financier : les recettes et produits des différents prélèvements risquent d'être moindres que ce qu'ils sont actuellement dans la mesure où, pour ne pas fragiliser le modèle économique des opérateurs ni favoriser l'offre illégale, vous avez abaissé autant que faire se peut les taux applicables aux jeux et aux paris.
Le déferlement prochain, qui a déjà commencé en toute illégalité dans certains journaux et sur Internet, de la publicité en faveur des jeux de hasard et d'argent est édifiant. Comment ne pas être choqué que votre gouvernement puisse soutenir avec aplomb que la prolifération de la publicité répond au double objectif d'assécher l'offre illégale, et donc d'en protéger les joueurs ?
Le coût social du texte risque d'être relativement lourd : les conséquences du jeu sont bien connues, notamment en matière de poly-addiction.
Il existe une menace pour un nombre considérable d'emplois, notamment les 70 000 emplois de la filière équine.
Il y a un risque de perte de recettes en faveur du CNDS.
La course au profit et la financiarisation du sport professionnel vont s'accentuer au détriment des politiques publiques en faveur du sport pour tous et à toutes les étapes de la vie. On passe progressivement du sport loisir ou du sport amateur au sport spectacle, dominé par les filières professionnelles ou par des clubs à raison de leur poids financier.
Se pose enfin le problème de l'indépendance des clubs, du trucage des compétitions, de l'éthique du sport, des conflits d'intérêt : aucune compétition sportive sur laquelle seront engagés des paris ne pourra désormais faire l'économie d'une suspicion diffuse quant à ses résultats ou à la manière d'arbitrer.