Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, mes chers collègues, j'avais indiqué la semaine dernière, lorsque nous avons commencé l'examen de ce texte, que nous l'examinions avec un sentiment de malaise. Vu la manière dont les débats se sont déroulés et dont les médias en ont rendu compte, ce malaise s'est un peu répandu, et le moins que l'on puisse dire, c'est que les débats n'ont pas aidé à le dissiper, au moins pour trois raisons, qui justifieront notre vote et notre opposition à ce projet.
La première raison, qui a son importance, est liée à la procédure. Les conditions dans lesquelles des votes sont intervenus – le flou, c'est le moins que l'on puisse dire, qui a entouré certaines délibérations de notre assemblée, et même le brouhaha qui a accompagné le vote sur une motion de rejet – n'étaient au fond que la traduction de la fébrilité de la majorité, des incertitudes de plusieurs de ses membres sur l'opportunité et la légitimité de ce projet, et la manifestation d'une contradiction évidente : faire discuter d'un tel texte quand les préoccupations des Français sont ailleurs.
On a bien vu que l'on avait torturé la procédure pour lui faire dire plus qu'elle n'aurait dû permettre mais, surtout, pour se débarrasser très vite et presque en catimini, par un vote conforme et dans des délais prédéfinis, d'un texte qui posait un problème politique et un problème éthique.
La deuxième raison est liée évidemment au contenu du texte. Je ne prendrai que deux exemples pour souligner les contradictions dans lesquelles il s'est délibérément installé puisqu'il n'a pas été possible de le modifier.
Premier exemple, on nous explique qu'il faut réguler une offre qui, autrement, constitue une menace pour nos concitoyens et que la régulation passera par l'agrément délivré par l'ARJEL. Le problème, c'est, d'abord, que l'on a créé les conditions pour que l'ARJEL n'ait pas le temps d'assurer une instruction normale des dossiers avant la Coupe du monde, mais, surtout, que l'on a créé dans la loi un espace franc, si j'ose dire dans une loi aussi hypocrite, tout joueur pouvant s'inscrire et jouer pendant un mois sans que la moindre vérification puisse préalablement intervenir et sans que la société opérateur de jeux soit privée des gains qu'elle aurait éventuellement réalisés contre ce joueur pendant cette période.
Deuxième exemple, comme on veut réguler le marché, il faudra désormais que chacun marche droit et se soumette aux règles fixées. On pourrait penser que, pour commencer à bien faire respecter les choses, on appliquerait ces règles en premier lieu à ceux qui sont ouvertement dans l'illégalité. Or on leur accorde une amnistie fiscale et une forme d'amnistie pénale puisqu'ils ne seront pas poursuivis pour les infractions qu'ils commettent aujourd'hui. Lorsque j'ai demandé au ministre s'il était prêt à engager des opérations de redressement fiscal sur les bénéfices réalisés dans l'illégalité par ces sociétés, à travers les actions publicitaires et les offres qu'elles proposent, il m'a répondu par un grand silence. Il n'y aura donc sans doute pas de poursuites engagées fiscalement contre ces sociétés, bien que l'on ait apporté en séance la preuve du comportement de plusieurs d'entre elles domiciliées en France et réalisant des bénéfices en France.
Troisième raison, l'on ouvre la concurrence des jeux en ligne au détriment de la Française des jeux et du PMU, qui n'étaient sans doute pas des modèles de vertu mais que l'on aurait pu moderniser et dont on aurait pu adapter l'action, pour favoriser, par le développement de la publicité, la progression et l'expansion d'un marché qui se traduira forcément par des phénomènes d'addiction, c'est-à-dire par des problèmes majeurs de santé publique, et tout cela pour permettre à des opérateurs privés de réaliser des bénéfices sur ce type d'opérations.
Tout cela n'a vraiment aucun sens. Il est déjà difficile d'admettre que l'on ait une politique commerciale agressive en matière de jeux lorsqu'il s'agit d'en faire bénéficier la collectivité et le budget de l'État, c'est inadmissible lorsqu'il s'agit d'en faire bénéficier des opérateurs privés qui, par ailleurs, ont pollué ce débat depuis le début en exerçant sur cette assemblée, via les médias, via leurs déclarations, via l'arrogance dont ils ont fait preuve, une pression insupportable. Le contexte est aussi contestable et aussi malsain que le texte.
La majorité, le Gouvernement, et peut-être le Président de la République, disent aux Français et à un certain nombre de sociétés installées dans l'ombre, dont certaines sont déjà sorties : « Faites vos jeux ! ». Face à de tels comportements, en pensant à l'éthique que l'on doit respecter dans la chose publique, à la protection de nos concitoyens, à l'idée que l'on peut se faire de la politique et de la République, nous disons, nous : « Rien ne va plus ! ». Et c'est vous qui en paierez le prix. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)