Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à compter du 11 juin prochain se déroulera en Afrique du Sud la Coupe du monde de football, événement d'intérêt planétaire au moins à double titre, d'un point de vue sportif bien sûr, personne ne viendra le nier, mais également d'un point de vue financier, pour les annonceurs, les sponsors, les chaînes de télévision, et, bien évidemment, les opérateurs de paris en ligne.
Pour l'année 2008, les paris sportifs ont représenté près de 200 millions d'euros de produit brut. Les professionnels du secteur associés à de puissants groupes financiers, parient à vingt contre un sur une explosion de ce volume d'affaires au cours de l'année 2010, notamment en raison du déroulement de la Coupe du monde. Le Gouvernement y voit certainement une aubaine, d'autant que le secteur français des jeux et des paris connaît depuis quelque temps une relative stagnation : les volumes joués ne progressant plus ni pour la Française de Jeux ni pour le PMU.
Derrière un discours convenu sur la prévention, la protection de l'ordre social et de la santé publique, l'enjeu serait donc de relancer la machine à vendre du rêve, de libérer les paris, et de stimuler les joueurs par une offre renouvelée.
Mais est-ce souhaitable pour un secteur dont l'activité consiste, en grande partie, à entretenir des illusions qui ne relèvent pas d'un commerce ou d'un service traditionnel ? La désinvolture avec laquelle ce Gouvernement fait fi des valeurs morales, éthiques, sociales et politiques qui ont jusqu'à présent sous-tendu et justifié le régime juridique applicable aux jeux de hasard et d'argent est pour le moins alarmante.
Cependant, des raisons impérieuses éclipsent de telles considérations et vous commandent d'agir vite, à quelques semaines du coup d'envoi de la Coupe du monde. Dans cette perspective, il convient d'adopter au plus vite ce texte, au risque d'ôter tout sens à l'activité du législateur. J'en veux pour preuve les déclarations du rapporteur du texte au Sénat, M. Trucy, qui affirmait dans Le Monde du 26 janvier : « Si la loi n'est pas promulguée le 1er juin, ce sera le bordel. » Il appelait donc à un vote conforme par notre assemblée du texte issu des travaux du Sénat.
Tant de précipitation mérite qu'on s'attarde à nouveau sur les raisons avancées par le Gouvernement pour justifier sa manoeuvre.
Tout d'abord, vous livrez à une instrumentalisation scandaleuse des enjeux de santé et d'ordre publics, en affirmant que l'ouverture à la concurrence et l'autorisation de la publicité de masse permettront de protéger le joueur contre lui-même, de prévenir les comportements addictifs et de mettre un terme à l'offre illégale. Rien que cela ! Nous avons déjà dénoncé cette manipulation, en démontrant le caractère bancal de vos arguments et en mettant au jour les contradictions irréductibles de vos propos. Néanmoins, vous restez sourds au discours de la raison et persistez – par goût du jeu, certainement – à vous draper dans l'hypocrisie. Quel courage politique !
Vous arguez ensuite d'une contrainte juridique : l'ouverture à la concurrence du secteur des jeux d'argent et de hasard découlerait des exigences posées par les textes européens, notamment par l'article 49 du traité de Lisbonne, ratifié – faut-il le rappeler ? – par le Congrès après une opposition ferme des Français. Or, il existe une exception notable aux principes de concurrence libre et non faussée et de liberté d'établissement. En effet, l'article 52 du traité de l'Union consolidé précise que « les prescriptions du présent chapitre et les mesures prises en vertu de celles-ci ne préjugent pas l'applicabilité des dispositions législatives, réglementaires et administratives prévoyant un régime spécial pour les ressortissants étrangers, et justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ».
Le Parlement européen lui-même, dans une position de mars 2009, estime qu'une « approche purement axée sur le marché intérieur ne convient pas dans un domaine aussi sensible ».
Même la Commission européenne, en la personne de M. Barnier, est revenue sur la position de l'ancien commissaire – et ancien bookmaker – McCreevy, puisqu'elle a décidé l'élaboration d'un livre vert, prélude à une harmonisation européenne en matière de jeux d'argent et de hasard.
Dès lors, pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi ne pas attendre que soit établi le cadre juridique européen ? En voulant adopter ce texte à tout prix et dans l'urgence, vous prenez le risque que, dans quelques mois, la législation française soit en porte-à-faux avec la législation européenne.