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Intervention de Olivier Appert

Réunion du 24 février 2010 à 11h15
Commission des affaires économiques

Olivier Appert, président-directeur général de l'Institut français du pétrole, IFP :

S'agissant en premier lieu du changement de nom de l'IFP, il faut tenir compte du fait que le nom IFP est une marque connue internationalement. Certains d'entre vous ont fait référence à notre centre de recherche de Lyon. Vous y êtes cordialement invités, ainsi qu'à Rueil-Malmaison, bien entendu, où il y a également beaucoup de choses à voir.

En premier lieu, je précise que l'IFP ne travaille pas spécifiquement sur le thème du nucléaire. Toutefois, j'ai eu l'occasion d'approfondir ce sujet au cours de mes précédentes fonctions au sein de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Je me suis d'ailleurs appuyé dans mon propos sur des documents de l'AIE et de l'Union européenne. Il faut avoir conscience qu'en France, on a une vision du nucléaire extrêmement particulière, qui s'explique par le fait que 80 % de notre électricité provient de cette ressource. Il n'est pas d'autre pays au monde qui atteigne ce chiffre et qui ait été capable de construire en aussi peu de temps autant de centrales nucléaires. Par ailleurs, les projections internationales dans ce domaine prennent en compte certes la construction de nouvelles centrales, qui se comptent sur les doigts des deux mains, mais aussi la fermeture d'autres centrales.

À cet égard, restera-t-il en Allemagne en 2030 une seule centrale en activité ? Pour l'instant, l'Allemagne mène une politique de sortie du nucléaire. Mon sentiment est que cela va changer et que l'Allemagne va suivre l'exemple pragmatique de la Suède, qui a fermé une seule centrale depuis 1979 malgré un scrutin référendaire ayant décidé la sortie du nucléaire. Il n'est d'ailleurs plus tabou aujourd'hui de parler de la construction d'une nouvelle centrale en Suède. Par ailleurs, on voit les difficultés considérables qui freinent la relance du nucléaire aux États-Unis. Des investissements très importants sont mis en oeuvre, mais la déréglementation les rend plus risqués.

Il faut également avoir à l'esprit le fait que le nucléaire ne peut se développer qu'en présence d'une infrastructure garantissant la sécurité des installations. Dès lors, le regain du nucléaire ne peut être envisagé à court terme que dans des pays déjà nucléaires tels que les membres de l'OCDE, la Russie et la Chine.

L'ensemble de ces facteurs explique qu'à l'échéance de 2030, dans le scénario alternatif de l'AIE, la contribution du nucléaire à la réduction des gaz à effet de serre est somme toute relativement faible. Toutefois, ma conviction est que le nucléaire va connaître un regain de vigueur. Profitons du fait que la France dispose de positions fortes en ce domaine.

S'agissant de l'Arctique, je citerai Turgot, qui affirmait que « moins on sait, moins on doute ». De fait, on ne sait pas grand-chose du potentiel de l'Arctique. En tant que scientifique, je ne peux qu'appeler à la prudence, aucun forage n'ayant été réalisé à ce jour. Dans le même ordre d'idées, des débats renaissent actuellement à propos des réserves pétrolières des Falklands. Les perspectives géologiques de ces régions paraissent potentiellement favorables mais doivent être confirmées.

Monsieur Paul, vous avez également évoqué à juste titre la question des ressources en gaz de schiste. Je crois qu'il faut faire preuve d'humilité en matière de prévisions. En effet, les gaz de schiste sont des ressources qui ont longtemps été jugées inexploitables. Mais des progrès technologiques considérables ont été accomplis ces toutes dernières années en matière de forage horizontal et de fracturation, qui ont rendu possible l'utilisation de ces ressources. Les investissements ont été déclenchés par la flambée des prix du gaz aux États-Unis, qui a fait craindre une pénurie. Grâce à la réactivité de l'économie américaine, la production de gaz non conventionnel a ainsi doublé en 3 ans. Le marché américain est aujourd'hui très largement approvisionné, et ce pour plusieurs années. L'impact sur le marché mondial du gaz naturel, ainsi que sur le couplage entre le prix du gaz et le prix du pétrole est considérable, puisque ce surplus de gaz, que personne n'avait envisagé il y a encore trois ans, s'est traduit par une baisse des prix du gaz de 50 % aux États-Unis en 2009. En Europe, une partie de l'approvisionnement en gaz se fait par le biais de contrats indexés sur le prix du pétrole. Ainsi, en 2009, les opérateurs européens avaient la possibilité d'acheter du gaz sur le marché « spot » à 50 % du prix contractuel proposé par la Russie ou la Norvège. Ceci crée des tensions, qui pourraient conduire à une remise en cause de l'indexation des prix du gaz sur les prix du pétrole.

Monsieur Dionis du Séjour, lorsque j'avais fait ces prévisions en 2008 sur le prix du pétrole, j'avais précisé qu'elles ne seraient pas valables en cas de crise économique susceptible de ralentir la croissance. Or, la crise économique nous a tous pris par surprise. Je crois donc qu'il faut rester modeste en ce domaine. Il est toujours difficile de s'exprimer ex ante. J'ajouterai toutefois que la crise économique a laissé inchangés les fondamentaux, à savoir la croissance de la population et des niveaux de vie et le défi lié à l'émission des gaz à effet de serre, ainsi que la dépendance aux énergies fossiles.

Les deux graphiques que j'ai présentés sur ma vision de la géographie du monde attestent par ailleurs, comme cela a été dit, le caractère explosif de la géopolitique des hydrocarbures. Mais la question de savoir s'il faut se retirer de cette zone ou au contraire s'y impliquer relève d'enjeux diplomatiques sur lesquels je ne saurais me prononcer. J'ajouterai que la formation dispensée à l'IFP s'efforce de viser les élites du Moyen-Orient. En effet, l'influence des États-Unis dans cette région s'explique en grande partie par le fait que la totalité des élites locales ont été formées dans les universités américaines. J'essaie de faire en sorte que nous puissions accueillir à Rueil-Malmaison les futures élites pétrolières, qui deviendront par la suite les élites politiques.

S'agissant de l'énergie des vagues, je n'y crois pas beaucoup car, étant marin, je respecte beaucoup la violence de la mer, qu'il me paraît difficile de maîtriser, si ce n'est à longue échéance.

Par faute de temps, je n'ai pas abordé de prime abord la question de l'hydrogène ; je vais à présent vous apporter quelques précisions. L'IFP s'efforce en premier lieu de produire l'hydrogène. En effet, c'est un vecteur énergétique – telle l'électricité - et non une source d'énergie. La meilleure manière de le produire est d'utiliser le gaz naturel, ce qui a pour inconvénient d'engendrer des gaz à effet de serre. Quant à la technique de l'électrolyse à partir de l'électricité nucléaire, elle est dix fois plus coûteuse. Vient ensuite le problème du stockage. Pour stocker 5 kg d'hydrogène, ce qui correspond à environ 25 litres d'essence, il faut un réservoir de 100 kg, alors que pour 50 litres de carburant, quelques kilogrammes suffisent. La priorité aujourd'hui est donc de trouver des modes de production de l'hydrogène sans émission de CO2 ; nous travaillons par exemple à l'IFP à la mise au point d'une technique à base d'éthanol. Par ailleurs, l'utilisation de l'hydrogène met en cause la structure des avions, mais je ne suis pas un spécialiste de cette question.

Monsieur Poignant, vous avez évoqué l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE). Nos travaux ont débuté en septembre 2009. Parmi nos objectifs, figure effectivement la coopération avec d'autres pays européens. Mais je signale qu'il existe d'ores et déjà une structure équivalente à l'échelle européenne – l'Alliance européenne pour la recherche sur l'énergie (EERA).

S'agissant de la volatilité des prix du pétrole, je vous renvoie au rapport remis récemment au Gouvernement par M. Jean-Marie Chevalier, qui formule des recommandations sur les moyens de réduire la volatilité des prix. Le marché pétrolier se caractérise aujourd'hui par un prix bas, mais qui ne peut descendre en dessous d'un certain seuil, en raison des coûts de production. Un chiffre de 60 $ le baril correspond en effet au coût de production du pétrole lourd ou extra lourd au Canada. Il représente donc un plancher en dessous duquel le prix du pétrole ne peut pas descendre durablement.

Les réserves de charbon sont très importantes, notamment en Chine. Ce que je crains, c'est moins un amenuisement des réserves qu'une flambée des prix. En effet, la Chine, qui est le principal consommateur de charbon, est devenue pour la première fois importateur net en 2009. Par ailleurs, je pense que le thermique à flammes a de l'avenir, notamment grâce à la technique de la capture et du stockage du CO2 (CCS).

Le secteur de l'énergie est certes, comme cela a été dit, un secteur influencé par les modes, mais ce n'est pas le seul. Ainsi, au salon de l'automobile, les thèmes dominants ont été, il y a 5 ans, les véhicules à hydrogène, il y a 3 ans, les biocarburants et l'année dernière, les voitures électriques. L'IFP s'efforce de lisser ces évolutions dans le cadre de ses programmes de recherche.

Je suis tout à fait d'accord avec l'analyse de M. Reynier sur les filières industrielles. En effet, je crains fort qu'en matière d'éolien terrestre, la France ne soit irrémédiablement distancée. C'est pourquoi il ne faut pas rater l'étape de l'éolien offshore ; nous travaillons d'ailleurs sur ce sujet avec l'IFREMER et TECHNIP pour voir comment les technologies de l'offshore pétrolier peuvent être mises à profit pour l'éolien offshore.

Monsieur Lejeune, l'acceptabilité des nouvelles technologies est en effet une question de première importance. L'IFP s'efforce de prendre en compte ces préoccupations dès le début des programmes de recherche, pour que nous ne soyons pas pris de court, ce qui a malheureusement été le cas dans le domaine des biocarburants.

Quant à la perspective d'une quasi-indépendance énergétique d'ici 2050, elle paraît plausible dans le domaine de l'électricité. En revanche, dans le domaine des transports, cela supposerait que l'on ait accompli un saut technologique dans le domaine des batteries. En l'état actuel des techniques, je ne vois pas comment on peut approvisionner les transports routiers avec autre chose que des carburants liquides : c'est notamment le cas du grand transport routier.

Madame de La Raudière, les énergies dispersées sont en effet un enjeu important. À cet égard, on constate que certaines ressources n'ont pas été valorisées, en particulier dans le domaine de l'électricité ou de la biomasse, où des progrès importants peuvent être accomplis.

Je répondrai à présent aux questions que vous m'avez posées initialement, monsieur le Président. S'agissant en premier lieu du raffinage, il faut rappeler que la consommation de pétrole dans les pays de l'OCDE va baisser, notamment dans le domaine des transports. Les directives dites « trois fois 20 » donnent clairement le signal de la réduction de la consommation de carburant, qui est le débouché principal des raffineries en Europe. L'ensemble des raffineries sont confrontées à une réduction structurelle de leur marché domestique comme de leur marché d'exportation. En effet, les exportations d'essence vers les États-Unis risquent de se tarir à mesure que les Américains accroîtront leur efficacité en matière de transports. De surcroît, les raffineries exportatrices vont subir la concurrence des investissements réalisés dans les raffineries des pays producteurs et des pays émergents, ce qui va entraîner une surcapacité de raffinage. S'agissant plus spécifiquement du parc automobile français, il se caractérise par une « diésélisation » supérieure à la moyenne européenne, ce qui accentue les déséquilibres au plan national.

S'agissant, en second lieu, de l'emploi et de l'activité économique, qui sont des enjeux fondamentaux, nous valorisons les résultats de nos travaux par le biais de filiales que nous avons créées. Ces filiales ont permis la création d'environ 500 emplois entre 2005 et 2010, dont environ 200 dans le bassin d'Alès, qui connaît des difficultés économiques importantes. De manière générale, je suis convaincu que le rôle d'un établissement public comme l'IFP est de contribuer au développement économique des entreprises. À cette fin, nous menons des activités de coopération avec les PME-PMI, leur offrant l'accès à nos laboratoires ainsi qu'à nos services de brevets. En effet, les PME-PMI ne savent généralement pas protéger les résultats de leurs recherches.

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