Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour, de commencer mon propos par un trait d'humour en citant un célèbre humoriste aujourd'hui disparu : « Expliquez-moi ce dont vous avez besoin, je vous expliquerai comment vous en passer ! »
Ces propos sont toujours d'actualité. Nous les avons entendus récemment prononcés par le chef de l'État lors de sa rencontre avec les Français, l'autre soir sur TF1. Plus ennuyeux, je crains qu'ils ne s'appliquent aussi au projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Pourtant, la demande exprimée par les entrepreneurs individuels est légitime : comment concilier l'idée d'entreprendre et la protection de ses biens ?
Exposer tout son patrimoine à la couverture des risques professionnels peut se justifier en début d'activité, lorsque l'entrepreneur n'a que le courage d'entreprendre à offrir ou son savoir à gager pour la confiance de ses créanciers.
Les vertus de l'entreprise individuelle ne sont plus à démontrer par préférence à une société unipersonnelle sous-capitalisée, garantie par des cautionnements personnels. L'apurement du passif en cas de difficultés financières n'est plus qu'une vue de l'esprit, pour peu que le conjoint ait aussi apposé sa signature en bas du contrat de cautionnement. Le parti a donc été pris en 1985 de recourir à la société par préférence au patrimoine d'affectation pour créer l'EURL ou l'EARL dans sa version agricole.
Cette solution présentait apparemment l'avantage de la simplicité, alors que la scission de masses distinctes dans le patrimoine de l'entrepreneur aurait nécessité l'élaboration d'un dispositif beaucoup plus complexe organisant l'affectation des biens, la publicité de celle-ci, l'imbrication d'une telle scission avec les régimes matrimoniaux ou le droit des successions – tâche ardue, mais non encore surmontée malgré les diverses études effectuées sur ce thème.
Le choix de la société unipersonnelle n'aurait donc pas les vertus attendues pour qu'il faille revenir à la notion de patrimoine d'affectation. Dont acte. S'il s'agit d'une avancée, allons-y… Mais s'il ne s'agissait que d'afficher une nouvelle promesse ?
Soyons clairs : à l'évidence, la simplicité et la sécurité juridique ne sont pas au rendez-vous de cette loi. Il faut le dire aux artisans, commerçants, professions libérales ou agriculteurs à qui, promesse a été faite : l'EIRL exigera autant de formalités, sinon plus que l'EURL. Elle a tous les attributs d'une société à l'exception de la personnalité morale, et elle exigera tout autant de formalités. L'EIRL engagera aussi l'entrepreneur sur les chemins de l'insécurité juridique, il faut le dire. Risque d'irrecevabilité de la déclaration constitutive en présence de biens communs ou indivis, exposition de la totalité du patrimoine en cas de fraude, risque de voir étendre la responsabilité sur les biens personnels, dans ses relations avec l'État, face au non-respect d'obligations comptables ou fiscales dont on sait qu'elles ont souvent pour causes premières les difficultés de trésorerie : autant de dangers face auxquels l'entrepreneur ne trouvera son salut que dans l'ouverture d'une procédure collective de traitement des difficultés. Et, l'on connaît les difficultés de tout entrepreneur à rencontrer la justice, fût-ce pour se protéger de ses créanciers.
Le risque existe aussi de voir une concurrence entre créanciers privés et professionnels en cas d'insuffisance du patrimoine non affecté, où le droit de gage des créanciers privés viendra s'exercer sur le bénéfice réalisé par l'EIRL lors du dernier exercice clos.
Alors fallait-il maintenant et de cette manière ajouter un nouveau dispositif, alors même que les problèmes posés par les précédents, n'ont pas été résolus et que votre projet de loi ne les résout pas mieux ?
Le salut de l'entrepreneur individuel passerait par le patrimoine affecté. Je n'entrerai pas dans le débat sur le principe de l'unité du patrimoine et de son indivisibilité, tant les atteintes portées par le législateur à ce principe sont nombreuses ; je n'évoquerai que les règles d'insaisissabilité.
Les entrepreneurs ont d'ores et déjà la possibilité de déclarer insaisissable l'immeuble constituant la résidence principale de la famille ou tout bien immobilier bâti ou non bâti, que l'entrepreneur n'a pas affecté à son usage professionnel. Nous savons comment y parvenir, mais tout reste à faire dans cette loi, car vous renvoyez à deux ordonnances à publier dans un délai de neuf mois, le soin d'adapter les règles relatives à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, ainsi qu'à la coordination de ce patrimoine au droit des régimes matrimoniaux et des successions. Comment croire que ces questions seront résolues dans ce laps de temps, tant la matière est complexe ? L'articulation de la « simple » déclaration d'insaisissabilité de la maison d'habitation à l'épreuve de la matière des procédures collectives n'a jamais été envisagée ! L'ordonnance du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté n'apporte pas davantage de réponse sur ce point.
Et pourtant, le critère de la non-affectation à un usage professionnel sera toujours délicat à mettre en oeuvre. La déclaration de l'entrepreneur, notariée ou non, sera-t-elle suffisante ? Nous ne le croyons pas.
Vous envisagez la suppression de l'article L. 526-1 du code de commerce sans répondre à ces questions. Les incertitudes qui pèseront sur la création de ce patrimoine d'affectation et son évolution dans le temps ne protégeront pas mieux, loin s'en faut, qu'une déclaration simple ayant vocation à protéger le logement de la famille.
Un liquidateur judiciaire cherche toujours les actifs là où ils peuvent être pour élargir le champ de l'apurement du passif. Ce qui se fait dans la confusion avec une SCI et une SARL se fera encore mieux demain avec deux patrimoines aux contours mal définis.