Alors que le texte de 2002 ambitionnait d'organiser un saut tant qualitatif que quantitatif s'agissant des moyens affectés à notre politique de sécurité, le projet dont nous discutons est frappé du sceau de nos difficultés budgétaires. Il est ainsi moins question d'engagements financiers de long terme pour augmenter les effectifs de police et de gendarmerie que de redéploiement, à effort budgétaire constant, des moyens existants ; c'est là un principe de bonne gestion.
La situation de nos finances publiques, mes chers collègues, n'est certainement pas un argument à balayer d'un revers de main. L'étendue de nos déficits et le poids de notre dette posent d'abord une question politique, puisque c'est bien de notre capacité à les réduire aujourd'hui que dépendront les marges de manoeuvre budgétaires avec lesquelles l'État devra, demain, répondre à de nouveaux défis. C'est aussi une question morale, dans la mesure où nos dépenses actuelles continuent de facto d'être financées par les prélèvements dont devront s'acquitter nos enfants demain et les enfants de nos enfants après-demain.
Le principe du non-remplacement d'un départ sur deux à la retraite dans la fonction publique constitue l'un des leviers de cet effort de responsabilité budgétaire que nos concitoyens ont raison d'exiger de l'État. Pour autant, il ne peut s'agir d'un ratio unique que l'on appliquerait d'une manière strictement comptable, froide et aveugle à l'ensemble des administrations publiques. Convenons-en, mes chers collègues : le caractère intrinsèquement régalien de notre politique de sécurité intérieure, les nouveaux défis que l'évolution permanente de la grande criminalité comme de la petite délinquance ne cessent de poser à la police et à la gendarmerie nationales, lesquelles se voient toujours confier de nouvelles missions, rendent inenvisageable une stricte application de ce principe en matière de sécurité.
En l'espèce, nous nous réjouissons que le taux de non-remplacement des policiers et gendarmes partant en retraite ait été ramené à un pour trois. Il nous semble toutefois que ce ne sera pas suffisant dans les années qui viennent : la suppression progressive de plusieurs milliers d'emplois de policiers ou de gendarmes risque d'éroder les effectifs, y compris opérationnels, alors qu'il est nécessaire de les stabiliser tout en assurant une meilleure efficacité ; les orientations que vous proposez, monsieur le ministre, le permettront.
Dès lors, mes chers collègues, le présent texte doit être, pour le législateur, l'occasion de poser le principe d'une sanctuarisation, à leur niveau actuel, des effectifs de la police et de la gendarmerie.
J'ai rappelé tout à l'heure, à l'occasion d'un rappel au règlement, qu'un amendement déposé en ce sens avait très curieusement été censuré par le président de la commission des finances, dont je souhaiterais qu'il s'explique, afin que nos soyons parfaitement informés de la nouvelle jurisprudence de la commission.
En tout état de cause, il serait bon de procéder à des réaffectations là où elles sont nécessaires, afin que les emplois libérés par nos réformes de structure soient utiles et rendent la police plus performante. Ainsi, comme je l'ai régulièrement rappelé à vos prédécesseurs, monsieur le ministre, je souhaiterais que nous réfléchissions à la réaffectation des compagnies républicaines de sécurité. En la matière, les marges de progression sont importantes. Nous ne sommes plus dans les années 70 : les manifestations sont moins nombreuses, il y a moins de services d'ordre classiques à assurer, et la gendarmerie nationale y pourvoit régulièrement à travers la gendarmerie mobile. Un de vos lointains prédécesseurs, M. Robert Pandraud, considérait qu'un tiers des CRS pourraient quitter leur compagnie pour être réaffectés dans des commissariats, où ils auraient une meilleure connaissance du terrain que lorsqu'ils interviennent en groupes dans les quartiers difficiles. Il y aurait là, à coût budgétaire constant, un progrès qui serait rapidement visible par nos concitoyens.
En corollaire de cette nécessaire stabilisation des effectifs, se pose la question de la fidélisation des personnels de nos forces de sécurité servant dans les zones réputées difficiles. Depuis 2002, on entend vanter, non sans un certain angélisme, l'ancienne police de proximité. Pour avoir eu l'occasion de la tester, je n'ai jamais constaté qu'elle ait été efficace, si ce n'est pour rassurer les bonnes gens à dix-huit heures, alors qu'elle était rarement présente là où il y avait de la délinquance. En vérité, si ce débat théologique sur la police de proximité me laisse perplexe, il semble évident, car constaté sur le terrain, qu'une police qui fonctionne bien est une police qui connaît bien la population et les quartiers auxquels elle s'adresse.