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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 12 janvier 2010 à 21h30
Délimitation des circonscriptions des députés — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Le rythme effréné des lois portées par Nicolas Sarkozy devant notre assemblée a pour but d'étouffer la protestation des femmes et des hommes victimes de sa politique, pour être sûr que le débat citoyen n'ait pas lieu.

Quant à nous, les élus, la précipitation des textes soumis à notre examen, s'enchaînant les uns aux autres, restreint l'espace de temps nécessaire que chaque loi mériterait pourtant afin que nous les examinions avec toute l'attention indispensable. C'est un moyen pour réduire la controverse, l'opposition, et faire passer vos mesures en force. Les leurres d'un coté, la précipitation de l'autre, et le peuple n'a plus ni le temps ni l'espace pour réagir.

Ce pouvoir ne gagnera pas ! Certains sentent-ils le mécontentement populaire ? Certains pensent-ils que cette pression populaire qui gronde doit être entendue ? Certains constatent-ils l'aggravation du fossé entre le peuple et le Président de la République ? Certains commencent-ils à voir que les élus du peuple, nationaux, territoriaux, locaux, sont victimes de son goût exacerbé du pouvoir absolu ? Certains perçoivent-ils que l'espace du débat politique en général et législatif en particulier se réduit au profit de l'exécutif présidentiel ?

Ainsi, ce serait grâce à « l'inexpérience » d'un sénateur de votre majorité que nous sommes à nouveau appelés à discuter de votre charcutage électoral concernant la représentation nationale. Plutôt que d'invoquer cette « inexpérience », comme votre majorité l'a fait, ne serait-il pas possible de penser que votre projet concernant la démocratie parlementaire et la politique générale de votre gouvernement sont en fait à rejeter ? Cette idée ne vous a-t-elle pas effleuré ? La question vous est posée, ainsi qu'à votre majorité.

Je ne vais pas répéter mon discours d'octobre dernier, que vous aviez écouté avec attention, monsieur le secrétaire d'État, mais je demande à nouveau le renvoi en commission de ce texte, comme la loi nous y autorise et je maintiens les trois raisons qui justifiaient ma demande de renvoi en commission. Elles demeurent intactes.

La première tient au fait que votre découpage de la carte électorale confortera de fortes inégalités entre les départements, entre les circonscriptions d'un même département, et que les votes des citoyens n'auront pas tous le même poids.

Nous constatons toujours que la loi d'habilitation, votée par la majorité à votre initiative, en est responsable dans son essence et dans les marges qu'elle vous a laissées. Les inégalités fortes subsisteraient donc après votre découpage entre les départements. Maints exemples ont été cités par de nombreux membres de notre commission, que vos réponses n'ont pas convaincus. Ce qui domine, encore une fois, ce sont les inégalités qui demeurent, qui pèsent de fait sur la légitimité de la représentation nationale.

L'affirmation de nos collègues socialistes selon laquelle il faudrait à la gauche, dans sa diversité, 51,4 % pour obtenir une majorité démontre l'orientation exacte de ce redécoupage. D'autres partis politiques, des associations citoyennes ont fait le même constat.

Votre réponse, hier comme aujourd'hui, ne peut donc manquer de surprendre. Vous dites que « cela s'appuie sur le second tour de 2007, alors que des députés ont été élus dès le premier tour ». Le fait que cela concerne davantage de députés de droite que de députés de gauche, monsieur le secrétaire d'État, montre que vous n'êtes pas impartial.

Au final, en fonction des objectifs propres du Gouvernement, vous avez joué avec les rapports des préfets, tantôt en les appliquant, tantôt en les ignorant. Cherchez l'erreur, cherchez l'intérêt !

Si le découpage que vous nous proposez n'était pas renvoyé à nouveau en commission, le principe selon lequel la voix de chaque citoyen pèse le même poids serait bafoué, la représentation nationale faussée et inéquitable, et notre démocratie entachée de nouvelles injustices.

Un exemple de remise en cause de notre démocratie : le Grand Paris et l'Île-de-France.

La visée prioritaire de Nicolas Sarkozy d'asseoir son pouvoir à Paris et dans sa grande région l'a poussé à « quelques égarements » sur lesquels je ne reviendrai pas. Si tous les élus s'accordent à reconnaître qu'il y a besoin de coopération démocratique dans la région Île-de-France, votre collègue Christian Blanc, secrétaire d'Etat, a développé ce projet sans aucune concertation avec les élus de ce territoire.

La seconde raison tient à la concomitance de ce découpage avec l'annonce d'une refonte majeure de nos institutions territoriales, de leur mode de scrutin, qui, à terme, pourrait influer sur la représentation du Congrès de la République.

C'est dans la même philosophie que vous voulez réformer à marche forcée le tissu des collectivités qui maillent nos territoires. Pour justifier ce choix, vous le caricaturez en le traitant de « mille-feuille administratif ». Or il s'agit de différents niveaux d'expression de la démocratie.

Ainsi, serait créée une « super institution » régionale dont nous savons déjà qu'elle aura vocation à faire dépérir nos communes et nos départements.

Il y a débat, à juste titre, après que le Président de la République a supprimé la taxe professionnelle, suppression dont M. Juppé jugeait qu'elle priverait les communes de ressources.

La troisième raison, c'est la nécessité d'un renouvellement profond de notre République, avec, notamment, la proportionnelle à toutes les élections et de nouveaux droits démocratiques. Sur chacun de ces éléments, je développerai des arguments complémentaires à mon intervention d'octobre dernier.

Avant cela, permettez-moi de souligner que les déclarations faites sur tous les tons, par vous-même et les membres de votre majorité, qu'une deuxième lecture à l'Assemblée nationale ne changera rien au projet de loi, ne sont acceptables ni sur la forme ni sur le fond. Peut-on à ce point dédaigner notre institution ? Peut-on à ce point négliger les élus représentant le peuple français ? Peut-on à ce point mépriser le peuple lui-même, dont nous sommes les dépositaires ?

Il est vrai que l'autoritarisme est la marque de ce pouvoir. Votre projet, initié par Nicolas Sarkozy, en est la preuve. Votre découpage est profondément injuste et empreint d'inégalités.

Quand vous déclarez, monsieur le secrétaire d'État, à propos du découpage des circonscriptions, que le seul critère retenu pour accomplir votre tâche fut le critère démographique, serait-ce donc un pur hasard que vous ayez choisi de faire disparaître la sixième circonscription actuelle de Seine-Maritime, en l'occurrence celle où je suis député, alors qu'elle compte exactement 115 816 habitants, et qu'elle pouvait être, dans ce département, quasiment la seule qui correspondait à la moyenne départementale ?

Est-ce un pur hasard si, dans ce même département, vous avez supprimé aussi la onzième circonscription actuelle, qui compte 100 616 habitants, pour en faire la nouvelle sixième circonscription, avec plus de 146 000 habitants, devenant ainsi la plus peuplée de France et qui, de plus, s'étendra sur 100 kilomètres pour assurer l'élection de votre candidat ?

Est-ce un pur hasard quand une circonscription des Hautes-Alpes comprendra 60 000 habitants alors que la nouvelle sixième de Seine-Maritime, que je viens de citer, en comprendra presque trois fois plus ?

Où est donc la cohérence de vos propos ?

Vos calculs sont sans équivoque : pour vous, la voix de chaque citoyen n'a pas le même poids selon le lieu où il se situe, ou selon sa sensibilité politique !

Est-ce un pur hasard aussi quand les chiffres démontrent que vingt-trois des trente-trois circonscriptions appelées à disparaître sont à gauche, dix à droite ?

Est-ce un pur hasard encore quand des parlementaires de Moselle, appartenant d'ailleurs à votre majorité, découvrent que les chiffres retenus pour le détricotage des circonscriptions sont erronés, de l'aveu même du ministère de l'intérieur ? Et il s'agit non pas d'une différence de quelques habitants, mais d'un écart de 2 000 habitants.

Je me pose donc légitimement la question : est-ce un cas isolé ou doit-on y voir un tripatouillage des chiffres, en plus du découpage électoral ? Peut-être est-ce encore une erreur de la part d'un fonctionnaire « inexpérimenté » ?

Une citation illustre bien la situation : « Partout où le hasard semble jouer à la surface, il est toujours sous l'empire de lois internes cachées et il ne s'agit que de les découvrir ». Cette citation de Friedrich Engels date du XIXe siècle. Elle est pourtant bien d'actualité.

Votre redécoupage électoral n'est que partisan ; cela a été démontré à l'instant par notre collègue Bruno Le Roux.

Pour affaiblir la représentation nationale de l'opposition, vous utilisez la réduction du nombre de sièges nationaux alors que la population a fortement augmenté et vous créez onze sièges des Français à l'étranger, dont nous savons qu'ils votent majoritairement à droite.

Vous allez même jusqu'à créer une circonscription des Français résidant au Liechtenstein et en Suisse, alors qu'ils sont nombreux à ne pas remplir la condition de citoyenneté prévue à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – que l'on peut voir graver dans le bronze dans la cour de l'Assemblée : payer l'impôt.

En revanche, aux Français nés à l'étranger, qui ont acquis la nationalité française depuis des dizaines d'années et pour certains dès leur naissance même, vous refusez le renouvellement de leur carte d'identité ou de leur passeport, ou vous leur opposez des difficultés administratives telles que leur quotidien s'en trouve perturbé.

Pourquoi une telle disparité ? L'égalité de chacune et de chacun n'est donc que fictive.

Alors, quand vous présentez la limitation constitutionnelle du nombre de députés comme une avancée démocratique, il faut être sérieux. Monsieur le secrétaire d'État, votre discours a des relents populistes.

Depuis son arrivée au pouvoir, Nicolas Sarkozy a une obsession : contrôler le peuple en affaiblissant les forces combatives de la représentation nationale. Il rêve, avec ces dames et ces messieurs invités au Fouquet's et sur les plus superbes yachts et villas de milliardaires, ou dans les palais royaux, de mettre la France sous sa tutelle. Cependant au fil du temps, cela pose problème dans les consciences, y compris chez certains élus de votre majorité.

C'est pourquoi ce débat en deuxième lecture est un moment charnière pour conforter la représentation populaire contre les appauvrissements centralistes et autoritaires.

Il ne peut y avoir de démocratie sans République sociale, comme il ne peut y avoir de démocratie sociale sans démocratie politique.

Il n'existe pas d'autre alternative que de revenir aux fondamentaux de notre République inscrits dans la Constitution : la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants ou par voie référendaire, moyen d'expression que vous récusez d'ailleurs autant que possible ou dont vous détournez l'expression par les électeurs.

La souveraineté nationale pose un principe clair, net et précis : la République est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Visiblement, M. Sarkozy semble l'oublier, comme il oublie que la devise de notre République est « Liberté, égalité, fraternité » et que l'article 1er de la Constitution proclame que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Indivisible, parce qu'aucune partie du peuple ni aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale. Seul le peuple l'exerce directement ou par la voie de ses représentants, en l'occurrence ses députés.

Laïque, parce que chaque individu dispose de la liberté de ses opinions et de sa foi.

Consacrée par la loi de 1905, la laïcité est une valeur fondatrice et un principe essentiel de la République. Elle est en grande partie entrée dans l'État par son école. La République et l'école se sont construites l'une avec l'autre. Comment s'étonner, dans ces conditions, que l'école, ciment de la nation, soit si fortement impliquée chaque fois que le principe de laïcité est interrogé dans l'ensemble de notre société ?

La laïcité est néanmoins confrontée au développement de revendications culturelles et religieuses, souvent d'ordre identitaire, dans lesquelles le contexte social et la crise encouragent et accentuent les discriminations.

L'État français participe à ce mal être avec le débat hypocrite sur l'identité nationale et la casse de nos services publics garants de l'égalité pour tous. Le pouvoir est coupable d'organiser la misère, terreau où se multiplient les plus faibles et les plus vulnérables, dont n'hésitent pas à se servir des personnes peu scrupuleuses, utilisant les religions à des fins plus financières qu'idéologiques.

Démocratique, enfin : ce mot implique le respect des libertés fondamentales et la désignation des différents pouvoirs au suffrage universel égal – un électeur une voix –, ce que vous occultez.

Le caractère social de la République résulte du principe d'égalité et contribue à la cohésion sociale et à la qualité de vie des plus démunis.

Que reste-t-il de nos grands principes républicains qui ont fait la fierté de la France, sa force dans le monde ?

Nicolas Sarkozy déclarait récemment, à propos de la crise, « qu'elle fut atténuée dans notre pays, grâce au système social à la française ». Ce qui reste de notre système social, ou plutôt ce qui a échappé à vos attaques contre lui ou ce que les mobilisations populaires ont empêché de casser – d'où d'ailleurs votre énergie à en finir avec le droit de grève, à casser tous les statuts de la fonction publique et le droit du travail, à instaurer le service minimum dans les écoles, les transports – a sans doute participé à atténuer chez nous le marasme économique et social des politiques libérales du système capitaliste. Néanmoins, du fait des coupes claires dans notre système social, qui garantissait et sécurisait un minimum la vie quotidienne de nos concitoyens, celui-ci n'était plus assez fort pour protéger les plus fragiles, classes moyennes comprises.

Ainsi, avec la crise engendrée par votre politique, se sont développées de nouvelles inégalités, de la souffrance pour une majorité. La seule cause se trouve dans les dérives du Président de la République, plus enclin à protéger les intérêts privés des riches que l'intérêt général et les biens communs de la nation.

Qui écrase notre République ? La droite ! Qui instaure et vote des lois en faveur des plus riches sur le dos des classes moyennes, des travailleurs, des chômeurs et même des retraités ? La droite ! Qui accompagne les délocalisations, les licenciements ? La droite ! Qui installe la précarité, la mal-vie ? La droite ! Qui supprime par milliers les personnels de l'éducation nationale, de la santé, et tant d'autres ? (« La droite ! » sur les bancs du groupe SRC.) Qui veut toucher l'indépendance de la justice en supprimant le juge d'instruction ? (« La droite ! » sur les mêmes bancs.)

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