Nous achevons aujourd'hui l'examen du texte tel qu'il ressort de la commission mixte paritaire du 22 décembre 2009. Nous allons procéder, d'ici quelques instants, au dernier vote sur ce texte qui engage l'avenir d'une entreprise, aujourd'hui encore publique, mais dont nous ne savons pas ce que sera le futur.
Or cette incertitude, à la lumière d'un passé récent, nous incite à redouter à terme une privatisation. Nicolas Sarkozy avait ouvert le capital de Gaz de France, tout en jurant la main sur le coeur que jamais cette entreprise ne serait privatisée. Nous constatons ce que valent les promesses d'un ministre, qui est aujourd'hui Président de la République.
Nous avons constaté tout à l'heure, à l'occasion des explications de vote sur la motion référendaire, un mépris pour la votation citoyenne qui a été organisée et dont vous ne partagez certainement pas l'objectif ni les principes, mais que vous auriez pu respecter dans les mots que vous avez prononcés.
Devant cette situation, devant cette incertitude, et surtout devant l'impossibilité pour nous de croire à la parole donnée, permettez-nous, monsieur le ministre, d'être inquiets face au devenir de la Poste, service public essentiel à la vie des Français et à la cohésion du territoire.
Face à cette inquiétude, nous ne pouvons nous empêcher de nous poser trois questions, afin que chacun dans cet hémicycle se prononce, en son âme et conscience, pour ou contre ce texte.
Première question : est-il nécessaire de changer le statut de La Poste ? La réponse est non. Depuis 1990, La Poste a un statut que la jurisprudence a assimilé à celui d'un établissement public à caractère industriel et commercial. Or aucun acte européen n'impose un changement de ce statut. La troisième directive postale, qui ouvre totalement à la concurrence le secteur postal à compter du 1er janvier 2011, ne l'impose pas. La transformation en société anonyme est donc bien une décision gouvernementale. C'est une réforme dogmatique qui, en faisant sauter le verrou de l'EPIC, constitue la première étape d'une marche progressive vers la privatisation.
Deuxième question : l'État peut-il financer les besoins de développement de La Poste autrement que par un changement de statut ? La réponse est oui. La capacité de l'État à financer La Poste dépend non du statut de l'entreprise, mais des missions de service public qu'elle exerce. Il peut apporter son concours financier dans le cadre de deux missions de service public, à savoir la présence postale et le transport et la distribution de la presse, missions pour lesquelles l'Union européenne laisse une large latitude aux États membres. L'État peut donc financer ces missions par l'inscription d'une dotation en crédits dans chaque loi de finances annuelle, ce que vous avez refusé, comme l'arrêt Altmark du 24 juillet 2003 de la Cour de justice des Communautés européennes l'a démontré et confirmé.
Avec cette question ressortent deux points. Premièrement, la construction européenne est trop souvent utilisée comme un alibi, comme le cache-sexe des orientations très libérales de votre Gouvernement. Le second met en lumière une forme d'hypocrisie du texte que vous nous demandez d'adopter : faire alors que rien ne vous y oblige, contraindre alors que rien ne vous y force, sous couvert de grandes déclarations sur l'avenir de La Poste, mais aussi sur cette prétendue modernité qui serait finalement la première raison de cette réforme. Sur des sujets aussi essentiels que le service public postal, soyez assuré, monsieur le ministre, que les députés socialistes n'entendent pas sacrifier leurs valeurs sur l'autel de cette prétendue modernité.
Troisième question : existe-t-il, à terme, un risque de privatisation ? La réponse est évidemment oui. Pour l'instant, le Gouvernement assure que le capital de la société anonyme sera détenu par l'État, actionnaire majoritaire, et la Caisse des dépôts et consignations, auxquels pourrait s'ajouter une part d'actionnariat salarié. Par ailleurs, vous avez assuré, comme l'avait fait avant vous Nicolas Sarkozy pour GDF, que la Poste serait imprivatisable. Or, grâce, ou plutôt à cause du parallélisme des formes que vous avez reconnu vous-même, ce qu'une loi fait, une autre loi peut le défaire. Rien n'empêche qu'une prochaine loi fasse descendre en dessous de 50 % la part du capital public.
La situation se résume dès lors d'une phrase simple : l'établissement public, industriel et commercial La Poste n'était pas privatisable ; la société anonyme La Poste le devient.
Ainsi, par ces trois questions, démonstration est faite que nos craintes sont justifiées face à un tel projet de loi qui relève de la pure idéologie et porte, une fois de plus, un coup très dur au service public.
J'avais émis en première lecture, lors de la discussion générale, l'idée de la création d'un bouclier de service public et j'avais évoqué la forme qu'il pourrait prendre afin d'assurer partout sur le territoire français un socle de service public, accessible à tous, et nécessaire au développement des territoires. Ce projet de loi va exactement dans le sens opposé.
Contrairement à ce qu'affirment certains membres du Gouvernement et à ce que vous prétendiez tout à l'heure, la position du groupe socialiste n'est pas conservatrice. Elle est au contraire moderne, pour reprendre votre terminologie. Moderne au meilleur sens du terme, car elle tient compte non seulement de notre culture de service public, mais aussi d'une véritable compréhension de la profonde crise actuelle, qui devrait vous conduire à mettre un frein aux tentations toujours plus libérales qui animent l'action du Gouvernement.
Les services publics constituent un véritable patrimoine collectif. En engageant doucement mais sûrement la marche vers la privatisation, vous vous apprêtez, monsieur le ministre, à priver les Français d'un élément de leur patrimoine collectif. Nous le refusons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et plusieurs bancs du groupe GDR.)