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Intervention de François Brottes

Réunion du 12 janvier 2010 à 15h00
La poste et les activités postales — Motion référendaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Brottes :

Premièrement, je veux d'abord démontrer que les modalités choisies pour répondre au besoin de financement de La Poste sont discutables. Son président nous dit qu'il a besoin de 2,7 à 3 milliards d'euros d'ici à 2011 pour répondre à la concurrence et moderniser l'entreprise sans creuser son endettement.

Or, un rapide calcul – effectué avant la crise, certes – permet de voir que l'État impose des dépenses et ôte des recettes à La Poste pour environ 900 millions d'euros par an. Oui, vous avez bien entendu : par an.

D'une part, il impose au seul opérateur postal d'assumer les missions de service public, et donc de les financer, sans d'ailleurs compenser intégralement ces dépenses obligatoires. Je pense à l'aide à la presse, à l'aménagement du territoire et à l'accessibilité bancaire.

D'autre part, il ponctionne déjà des dividendes sur les profits de La Poste, qui ont atteint, en 2008, 21 % – ce n'est pas rien ! – du résultat net de l'entreprise hors subvention publique, soit 141 millions d'euros.

Et enfin, comme vous l'avez décidé, il banalise le Livret A, pénalisant ainsi directement le commissionnement de La Poste sur cette épargne refuge des Français.

Donc, en trois ans, ce surcoût imposé par l'Etat seul atteint aisément les fameux 2,7 milliards de besoin de financement !

Deuxièmement, je veux affirmer que les modalités du financement public annoncées sont floues. Ce financement public est, selon le Gouvernement, de 1,2 milliard par la Caisse des dépôts et de 1,5 milliards par l'État, mais à l'heure où nous votons aujourd'hui, nul ne connaît la valeur de La Poste, ni les modalités d'accord pour que la Caisse des dépôts mette au pot, ni encore sur quelle ligne budgétaire est inscrite la participation de l'État.

De là à penser que la Caisse des dépôts rachètera des actions à l'État sans augmenter le capital de La Poste, il n'y a qu'un pas pour douter de la réelle volonté de l'État de soutenir La Poste.

Troisièmement, je veux redire qu'un apport financier de l'État avec maintien du statut d'établissement public est possible, si l'État le veut. Cette solution a été écartée au motif que le changement de statut permettrait plus de souplesse à La Poste pour faire appel à d'autres financements publics, mais aussi privés. La plus belle excuse étant celle de l'avènement de « l'actionnariat salarié », disposition incompatible, me semble-t-il, avec le statut de fonctionnaire. Mais là, le Conseil constitutionnel tranchera.

Pourtant, vous le savez bien, nul n'est besoin que La Poste change de statut pour que l'Etat assume son rôle d'actionnaire, pour qu'il investisse dans l'opérateur, pour qu'il se modernise dans ses missions de service public.

La baisse de la TVA dans la restauration coûte 3 milliards d'euros par an, votre paquet fiscal, cadeau fait pour une grande part aux plus aisés, coûte au pays de 10 à 15 milliards d'euros. Alors, vous pensez bien que 3 milliards juste pour 2010, c'est une goutte d'eau pour marquer votre soutien « sincère » au service public postal !

Que l'État seul continue à investir dans l'entreprise dont il est l'actionnaire serait non seulement possible, mais, qui plus est, rentable : toutes activités confondues, La Poste affiche l'un des meilleurs résultats opérationnels européens, rapporté à son chiffre d'affaires.

Hors crise, les résultats nets comme les marges d'exploitation de La Poste sont en nette progression depuis 2006. Selon une étude menée par le CEPAP en décembre 2008, La Poste est plus rentable que ses homologues britannique et allemand.

Cette même étude démontre que la transformation de la Deutsche Post en société anonyme privatisée n'a pas entraîné de réduction de son endettement. Pire, la perte de son statut de société publique s'est logiquement traduite par une augmentation des coûts d'emprunt, qui ont d'ailleurs significativement grimpé avec la crise financière. Cette étude menée par des économistes démontre, s'il en était besoin, qu'une entreprise publique peut être plus rentable que ses compétiteurs privés.

La crise a d'ailleurs confirmé le « statut refuge » de La Banque publique postale, la seule banque, et c'est un comble, qui n'a pas eu besoin du secours d'urgence de l'État. Et c'est cela que vous vous apprêtez a défaire !

Rappelons que la spécificité du secteur postal fait que la « rentabilité », au sens du marché, ne pourra s'obtenir que sur le facteur humain.

Qu'est-ce que cela signifie pour les Français ? Des tournées moins nombreuses : ce ne sera plus six jours sur sept, mais cinq jours sur sept ; des tournées de plus en plus « express », avec la systématisation du recours au point colis commerçant du coin, qui s'imposera comme une évidence, même pour les recommandés ; une distribution de plus en plus éloignée du domicile : on ira chercher son courrier à la mairie ; de moins en moins de bureaux de poste de plein exercice ; la fin annoncée des agences postales communales, car dès lors que La Poste sera une société anonyme, plus rien n'empêchera ses concurrents d'attaquer ce lien public-privé devant la justice européenne ; la fin du lien social qu'entretient encore le facteur dans certaines zones urbaines, et surtout dans nos campagnes ; la fin du prix unique du timbre, demain, car il coûte cher à La Poste d'offrir le même service partout et pour le même tarif : ce ne sera plus rentable, demain ; la fin d'un accueil de tous, sans sélection, pour la bancarisation.

Vous persistez à ouvrir la voie de la privatisation de La Poste quand, partout dans le monde où ce choix l'a emporté, on constate la détérioration rapide du service postal. Vous avez oublié de le souligner tout à l'heure.

En Hollande, après moult fusions-acquisitions-séparations, le projet de la poste est de se séparer de près de la moitié de ses 23 000 postiers.

En Suède, les effectifs ont été divisés par deux, avec un tiers de temps partiels, et le prix du timbre a augmenté de plus de 100 %.

En Allemagne, suite à la privatisation, le nombre de bureaux de poste a été divisé par deux, et ceux qui restent sont souvent de simples points de contact. Le nombre d'employés aussi a été divisé par deux. Surtout, le prix du timbre a explosé, et est devenu l'un des plus chers d'Europe.

Au Japon – c'est un peu loin, mais c'est une réalité –, le gouvernement récemment élu veut renationaliser la poste privatisée en 2007, au vu de l'échec de l'opération.

Avons-nous retenu quoi que ce soit de ces expériences ? Avons-nous vraiment tiré les leçons de la crise actuelle du libéralisme ? Les services publics permettent la vie, la vie sociale, la vie économique. Ils ne doivent pas être seulement la roue de secours du système quand il s'écroule !

Nous vous proposons de renverser vos perspectives : investir dans le service public permet la croissance de demain, une croissance plus durable car mieux répartie sur tous les territoires.

Nous vous proposons de réinventer l'État actionnaire avisé, stratège, investissant dans les services publics utiles à la croissance et à l'emploi dans les territoires.

De repenser les services publics avec la boussole du développement durable. De distinguer, c'est une piste, les réseaux des services.

D'articuler le service public français avec un service public européen inexistant, que nous n'avons de cesse, aussi bien au Parlement européen qu'ici, à l'Assemblée nationale, de vous proposer de créer par l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt économique général.

La France, par son expérience remarquable du service public, érigé en application du programme du Conseil national de la Résistance, peut inspirer et tirer l'Europe vers le haut, plutôt que d'être emportée vers le bas dans une spirale de la concurrence qui frise l'absurde, à force de nier que le vivre-ensemble, ce n'est pas seulement des échanges d'actions ou de parts de marchés !

Pour La Poste, il n'est pas trop tard, nous sommes prêts à travailler avec vous sur ces défis. Je vous l'ai d'ailleurs proposé lors des débats, renoncez simplement au changement de statut que rien n'impose, sinon votre idéologie et votre positionnement politique !

Renoncez à la privatisation du service public postal, car les expériences passées nous ont clairement montré qu'une fois le Rubicon franchi, le service public perd son âme.

En conclusion, les Français doivent être consultés parce que la privatisation de La Poste bouleversera leur vie.

Les Français doivent être consultés car c'est un droit constitutionnel, et que vous refusez de leur permettre de le demander, un droit d'autant plus impérieux que le référendum est le seul moyen de réconcilier la décision politique avec l'aspiration du pays réel.

Les Français doivent être consultés car La Poste est le dernier service public de proximité qui n'est pas encore atteint par la fièvre du profit à tout prix.

Et puisque je parle de fièvre, si vous avez considéré que la prévention contre la grippe A n'avait pas de prix, considérez qu'il en est de même pour la démocratie ! Mais la démocratie, chers collègues, ce n'est pas une pandémie, c'est un geste républicain de survie. Alors, au nom de tous mes collègues signataires, je vous invite, et c'est tout le sens de cette motion référendaire, à redonner la parole au peuple ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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