Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement ne cesse d'expliquer, depuis le mois de septembre, que notre pays est sorti de la crise et que les mauvais jours sont désormais derrière nous. C'est sous cet éclairage artificiel que la CMP a travaillé. Un tel excès d'optimisme contraste avec l'examen des faits : une aggravation sans précédent de la situation de nos finances publiques ; une grande inquiétude quant à la solidité de la reprise ; une aggravation, sans précédent elle non plus, du chômage.
Quatre millions de nos concitoyens sont aujourd'hui à la recherche d'un emploi. Huit millions vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, du fait notamment de la progression du nombre de travailleurs pauvres, qui sont plus de 2 millions, soit près de 8 % de l'ensemble des travailleurs. Cette situation n'est pas seulement socialement douloureuse et alarmante, elle est encore économiquement périlleuse. Elle pourrait bien, en effet, venir contrarier les hypothèses par trop favorables sur lesquelles se fondent le présent projet de loi de finances.
Je ne reviendrai pas en détail sur l'état de nos finances publiques. Chacun connaît les chiffres et sait que le déficit atteindra cette année le niveau record de 141 milliards d'euros, soit la moitié des dépenses du budget général !
Ce déficit contribue, qui plus est, à aggraver la dette publique, laquelle approche aujourd'hui les 1 500 milliards d'euros, soit 77 % du PIB, et devrait atteindre l'an prochain, selon vos propres estimations, 84 % de ce même PIB !
Pour une part, cette situation résulte évidemment de la profondeur de la crise, qui affecte négativement les recettes fiscales, mais se traduit aussi par une augmentation des dépenses sociales. C'est ainsi que le produit de l'impôt sur les sociétés devrait reculer de 43 % cette année, tandis que le coût des allocations chômage progresserait de 18 %. La crise aura ainsi creusé en 2009 un trou dans les comptes publics équivalant à 3,6 points de PIB.
Mais la crise n'est pas seule en cause dans la détérioration des comptes publics. Rien n'a été entrepris, en effet, depuis 2007, alors que le déficit flirtait déjà avec les 3 % du PIB, pour reconstituer les marges de manoeuvre budgétaires de l'État.
Votre majorité en porte la responsabilité. C'est vous qui avez multiplié ces dernières années les cadeaux fiscaux aux entreprises et aux particuliers les plus fortunés, et aggravé ainsi le déficit structurel.
Ces dépenses fiscales somptuaires sont restées sans effet notables sur la croissance et l'emploi. Vous n'en avez dressé aucun bilan. La Cour des comptes a parlé à leur propos d'effets « incertains » sur la croissance et l'emploi. J'irai même plus loin : des mesures telles que celles adoptées en 2007 dans le fameux « paquet fiscal » n'ont pas seulement été inefficaces, elles ont exercé un effet négatif.
Nous en voulons pour preuve le fait que chez nos voisins allemands, qui avaient abordé la crise avec des finances publiques équilibrées, sans paquet fiscal à la clé, le déficit devrait se limiter, d'après la Commission européenne, à 5 % du PIB en 2010, et ce malgré un plan de relance plus massif que celui mis en oeuvre en France. Chez nous, le déficit atteindra, lui, 8,2 % du PIB cette année et 8,5 % l'an prochain, sans compter le coût du grand emprunt.
Vous vous êtes, bien entendu, engagés à réduire le déficit public dans les prochaines années, en vous fixant l'objectif d'un point par an. Le problème, c'est que les solutions que vous préconisez sont insuffisantes, quand elles ne sont pas contre-productives.
Vous décidez ainsi, au nom de la lutte contre je ne sais quels gaspillages, de diminuer encore dans les prochaines années le montant des dépenses publiques. Comme les années précédentes, vous proposez cette année la suppression massive de postes de fonctionnaires : 33 754 équivalents temps plein, dont 16 000 dans l'éducation nationale.
Il faut ici dire aux Français combien cette politique de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite est dérisoire et dangereuse. Dérisoire, car elle ne permet qu'une économie annuelle de 500 millions, soit moins d'une journée du déficit de l'État. Dérisoire encore au regard des 73 milliards d'euros d'exonérations fiscales que vous avez consenties sans vous assurer de leur efficacité. Dangereuse, enfin, car la suppression de ces postes pose de nombreux problèmes, notamment dans la santé, la sécurité ou l'éducation.
Cette obsession de la réduction des dépenses publiques désorganise nos services publics, fragilise notre modèle social, remet en cause des pans entiers des politiques publiques.
Tout cela nuit en profondeur à ce qui fait l'attractivité de notre territoire : ses services publics, son système de protection sociale, la qualité de ses infrastructures, le niveau de formation de ses salariés.
Vous gardez l'oeil vissé sur le niveau de prélèvements obligatoires, comme s'il constituait l'unique facteur d'attractivité de notre pays. Vous êtes engagés avec nos voisins européens dans une course au moins-disant fiscal dont il faudra bien un jour sortir, tant en France qu'en Europe.
C'est cette logique dévastatrice qui vous conduit à vouloir à présent amputer l'autonomie financière des collectivités locales. Vous les mettez sous la tutelle étatique en supprimant la taxe professionnelle.
Alors que les finances de nos collectivités sont quasiment équilibrées, qu'elles rendent des services appréciés tant de la population que des entreprises, qu'elles réalisent à elles seules, ne l'oublions jamais, 73 % des investissements publics, vous n'avez rien trouvé de mieux que de leur casser les pattes pour les mettre à terre. L'objectif de votre réforme est de consentir 11,6 milliards d'euros d'allégements de charges aux entreprises. Vous allez donc aggraver d'autant le déficit public : pour quels résultats ? Pouvez-vous seulement chiffrer les créations d'emplois qui en résulteront ? Non ! Pouvez-vous garantir que cet argent ira à l'investissement, à la recherche, à la formation ? Non !
Pour donner un chiffre parlant, alors que les actionnaires, dans les années soixante et encore au début des années soixante-dix, recevaient environ la moitié du revenu distribuable des entreprises, c'est-à-dire ce qui reste de l'excédent brut d'exploitation une fois décomptées toutes les charges, ils en ont reçu 106 % en 2008. Autrement dit, il est patent que les entreprises ne consacrent ni à l'emploi ni à l'investissement les parts de bénéfice disponibles. Pour le dire encore autrement, ce sont les actionnaires qui raflent la mise.
Par ailleurs, aurai-je la cruauté de rappeler ce qu'il est advenu des 2,7 milliards d'euros de cadeaux fiscaux consentis cette année au profit des patrons de la restauration ? Ont-ils embauché ? Ont-ils augmenté les salaires de leurs employés ? Leur ont-ils garanti de meilleures conditions de travail ? Une seule et même réponse à ces trois questions : non !
Pour faire des économies, pour redresser nos finances publiques, mais aussi pour revenir à plus de justice fiscale, il faut mettre fin à ces politiques de réductions d'impôt conduites sans discernement et de cadeaux fiscaux aux plus fortunés.
Il faut en finir, car c'est de cela, au fond, qu'il s'agit, avec le clientélisme généralisé, et revenir à une conception plus saine de la politique économique, guidée par le souci de l'intérêt général.
Mais vous persistez, contre vents et marées, à emprunter la voie inverse, à aggraver l'injustice fiscale. Contrairement, en effet, à ce que vous affirmez, les impôts des Français n'ont pas baissé : le taux de prélèvement obligatoire est stable depuis des années. Par contre, notre pays détient grâce à vous le triste record du nombre de niches fiscales : près de 470, qui bénéficient largement aux plus aisés de nos concitoyens. C'est ainsi que le taux d'imposition moyen des mille plus gros revenus est aujourd'hui de 25 %, quand il devrait être de 40 % si s'appliquait réellement le taux marginal de l'impôt sur le revenu, lui-même très faible. Si l'on s'en tient aux dix plus gros revenus, le taux d'imposition réel chute même sous la barre des 20 % !
Vous avez prétendument plafonné ces niches. Mais il s'agit, dans les faits, d'un plafond de théâtre, bricolé afin de donner le change, mais qui ne corrige qu'à la marge le déséquilibre profond de notre fiscalité. Vous avez, depuis des années, de remis en cause le caractère redistributif de l'impôt et sapé sa progressivité, de sorte que la fiscalité pèse aujourd'hui beaucoup plus lourdement sur les ménages modestes que sur les ménages les plus aisés. Les impôts indirects amputent de près de 12 % les revenus des ménages les moins favorisés, mais représentent à peine 3,5 % de celui des plus riches !
Déjà accablant, le bilan de votre politique budgétaire va s'aggraver encore cette année. Si l'on s'en tient à ce projet de loi de finances, la suppression de la taxe professionnelle réduira, à elle seule, les recettes de l'État de 11,6 milliards d'euros, l'équivalent de tout ce que l'État consacre à l'environnement, au logement et aux transports réunis. La baisse de la TVA dans la restauration coûtera 3,5 milliards l'an prochain, et les exonérations de cotisations sur les heures supplémentaires 4 milliards.
Au total, les seules mesures décidées en 2009 et 2010 vont priver l'État d'une quarantaine de milliards d'euros. Et le cumul des baisses d'impôt décidées au cours des dix dernières années approchera les 100 milliards d'euros, soit l'équivalent des trois quarts du déficit, sans même y inclure les dépenses liées au futur grand emprunt !
En dépit de l'opposition réaffirmée du chef de l'État à l'augmentation des impôts, il faudra bien, un jour ou l'autre, mettre fin à cette folle hémorragie et dégager de nouvelles recettes. Ne serait-ce que pour éviter de payer chaque année des sommes colossales en intérêts : 43 milliards d'euros l'an prochain, soit bientôt l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu des Français, et déjà l'équivalent des budgets de la recherche, de l'enseignement supérieur et de l'écologie réunis.
En matière de fraude fiscale, l'évasion vers les paradis fiscaux est évaluée, pour 2007, entre 30 et 40 milliards d'euros par le Conseil des prélèvements obligatoires. En cette matière aussi, votre laxisme est patent. Vous vous refusez à prendre toute mesure d'ampleur, tout comme vous refusez de considérer comme une priorité la reconquête d'une fiscalité juste et efficace.
Les Français sont en droit de réclamer des comptes sur l'utilité sociale des réductions d'impôt que vous n'avez cessé d'accroître, de reconduire et d'empiler au bénéfice des plus riches.
La plupart de nos concitoyens ne voient pas la situation de l'emploi s'améliorer. Ils ne voient pas non plus leurs salaires progresser. Ils peuvent donc légitimement se demander où vont les réductions d'impôt consenties aux entreprises.
Ce qu'ils voient chaque jour, c'est le déclin des services publics, le recul de leur droits sociaux, la fragilité grandissante de notre système de protection sociale, la précarisation de l'emploi, la dégradation de leurs conditions de travail, la fiscalisation scandaleuse des indemnités journalières des accidentés du travail, l'injuste et inopérante taxe carbone.
Vous êtes engagés dans une politique qui présente de nombreuses similitudes avec celle poursuivie par Reagan au début des années quatre-vingts : des baisses faramineuses d'impôts au profit des plus aisés, quitte à laisser se creuser les déficits.
Ce faisant, non seulement les moins favorisés vont demeurer durablement les laissés-pour-compte de votre politique, mais vous prenez en otage l'avenir de tous.
Nous voterons bien évidemment contre votre projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)