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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 18 décembre 2009 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2010 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac :

Pousser cette logique jusqu'à son terme permet de montrer que justifier la suppression de la taxe professionnelle, qualifiée d'imbécile, par la suppression de la taxation des investissements, ne tient pas. Il aurait probablement fallu supprimer la taxation des investissements des entreprises risquant de délocaliser leur activité, mais rien ne justifiait de le faire pour celles qui ne menacent pas de le faire – je pense aux principales banques, aux compagnies d'assurance ainsi qu'à la grande et moyenne distribution.

Votre première erreur date du moment où vous avez décidé d'aider des entreprises qui ne justifient en rien qu'on les aide davantage, sans parler de l'erreur de forme consistant à intégrer ce dispositif dans un projet de loi de finances.

Sans doute avait-on à l'esprit les entreprises industrielles, trop taxées ces trente dernières années – en gros, depuis la réforme de la patente réalisée dans les années 1970 par un premier ministre nommé Jacques Chirac –, mais toujours est-il que la réforme du financement des collectivités locales ne nous semble pas avoir été autant pensée autant que la réforme de la taxation des entreprises.

Sans nous inscrire dans la même perspective, nous sommes un certain nombre ici – je pense en particulier au député-maire de Chartes – à pressentir l'un des effets de votre réforme de la taxe professionnelle : les collectivités locales vont moins investir non seulement en 2010 mais aussi en 2011, même s'il y aura des exceptions car, globalement, elles n'auront plus de visibilité financière et budgétaire.

Je rappelle que les collectivités locales assurent de 70 à 75 % de l'investissement civil et que c'est sur elles que s'appuie la stratégie gouvernementale de sortie de crise par l'investissement. Proposer au Parlement, qui va la voter, une réforme aboutissant à diminuer, voire à supprimer toute visibilité financière et budgétaire pour les collectivités à partir de 2010 ou 2011, c'est prendre le risque de voir ces collectivités ne pas investir comme elles en avaient l'habitude, c'est donc prendre le risque de compromettre la sortie de crise par l'investissement dont le Gouvernement a fait l'alpha et l'oméga de sa stratégie.

C'est pour nous une raison de plus de ne pas voter ce projet de loi de finances. J'en ajouterai une autre.

Nos huit heures de débat en commission mixte paritaire ont été animées, riches et empreintes de respect mutuel. Or voici qu'in fine le Gouvernement propose une cinquantaine d'amendements qui ne sont pas, tant s'en faut, que de coordination puisqu'ils reviennent sur des décisions majeures de la CMP. Une telle démarche est certes constitutionnelle, mais n'est pas correcte dès lors qu'on prétend respecter l'esprit des travaux parlementaires.

Correct, cela l'est d'autant moins qu'on peut s'interroger sur la sincérité d'un Gouvernement qui accepte une clause de rendez-vous pour le 1er juin 2010, clause demandée et votée par le Sénat et acceptée en CMP. De deux choses l'une, en effet : soit ces amendements pouvaient attendre cette clause de rendez-vous – et, dans ce cas, pourquoi humilier, il n'y a pas d'autre terme, le Parlement à travers sa commission mixte paritaire en demandant qu'ils soient votés dès à présent ? –, soit ils sont décisifs et il n'a jamais été dans l'intention du Gouvernement d'accepter une quelconque remise en cause de ce qu'ils recèlent, y compris lors de la clause de rendez-vous, et la déloyauté du pouvoir exécutif vis-à-vis du pouvoir législatif est évidente.

Rien ne justifie, ni sur la forme ni sur le fond, cette cinquantaine d'amendements qui reviennent sur les conclusions de la commission mixte paritaire. Si le Gouvernement les maintient et si sa majorité les vote, la clause de rendez-vous, qui a rassuré de nombreux élus locaux, ne sera qu'un jeu de dupes. Certains peuvent s'y prêter, règle majoritaire oblige, mais tous, dans le secret de leur conscience, savent parfaitement ce qu'il en est et nous ne manquerions pas alors de dénoncer ce jeu, l'opposition étant, pour sa part, libre de sa parole.

Ce projet de loi de finances prévoit par ailleurs l'instauration d'une taxe carbone, qui revêt l'apparence d'un impôt écologique mais a la réalité d'une taxe supplémentaire, additionnelle à la taxe intérieure sur les produits pétroliers, et déjà battue en brèche par le Gouvernement qui en a amoindri les effets.

Je reviens sur l'accord passé avec les transporteurs routiers, qui allège de 100 millions d'euros les charges sur les heures supplémentaires. Je soulignerai d'abord qu'il s'agit de 100 millions d'euros de dette publique en plus, étant donné que la situation budgétaire de l'État ne lui permet pas de financer cet allégement. En second lieu, c'est encore l'État qui va mettre la main à la poche pour financer la hausse des rémunérations des chauffeurs routiers – tant mieux pour eux –, se substituant aux chefs d'entreprises qui, probablement, ne pouvaient l'assumer. Si cette règle doit se généraliser, on se demande bien comment envisager une quelconque réduction de la dépense publique ! Enfin, je trouve étrange que, au moment où la politique de sécurité routière connaît quelques ratés, on incite aux heures supplémentaires dans un secteur où l'on sait que la fatigue n'est pas gage de sécurité.

Si l'on peut se réjouir que les fêtes de fin d'année ne soient pas gâchées par un blocage des routes – à moins que la neige ne soit en train d'y pourvoir –, le fait que le Gouvernement ait sacrifié à l'urgence certains principes qui auraient mérité d'être respectés, laisse un goût d'amertume.

La fiscalisation des indemnités journalières des accidentés du travail serait, à en croire le président Jean-François Copé qui en a été à l'origine, d'une mesure de justice fiscale. Nous ne sommes pas contre la justice fiscale, et nous pouvons comprendre que, dès lors que les revenus du travail sont fiscalisés, des revenus substitutifs au travail le soient également.

Mais, si le Gouvernement et sa majorité soutiennent que la justice fiscale constitue l'alpha et l'oméga de leur politique, il ne nous semble pas que la fiscalisation des indemnités journalières des accidentés du travail soit d'une telle urgence qu'il faille commencer par là. Ce n'était pas une urgence au regard des recettes escomptées : 150 millions d'euros dans le texte voté par l'Assemblée, 130 millions dans celui adopté par le Sénat. Nous connaissons des niches fiscales nettement plus coûteuses pour les finances publiques !

Nous avons ainsi dénoncé la désormais célèbre niche fiscale Copé qui, en deux ans, a coûté à l'État 20 milliards d'euros, au bénéfice d'entreprises qui ne nous semblaient pas devoir être aidées en priorité : les grandes banques, Danone, Lagardère, entre autres. Ce sont ces entreprises qui ont profité des 20 milliards et non, bien sûr, des PME ou des start-up, contrairement à ce à quoi était supposé aboutir le dispositif Copé. Vingt milliards d'euros, c'est beaucoup pour des entreprises qui peuvent délocaliser lorsqu'elles ne l'ont pas déjà fait, et dont la politique à l'intérieur de nos frontières ne sera en rien modifiée par ce cadeau inutile.

La fiscalisation des indemnités journalières des accidentés du travail ne relève donc pas de la justice, et si tant est que telle ait été votre intention, mes chers collègues, convenez qu'il y avait tout de même mieux à faire !

Une seconde précaution a été ignorée aussi bien par les concepteurs de cette taxe que par ceux qui en ont approuvé le principe : s'il est exact que les indemnisations pour maladie professionnelle, une fois celle-ci reconnue, ne seront pas taxées, nous savons aussi que, tant qu'elle n'est pas reconnue, il peut se passer deux, trois, quatre ou cinq années durant lesquelles ses victimes – je pense en particulier aux victimes de l'amiante – seront bel et bien taxées sur leurs indemnités journalières. Je trouve cela indécent, alors que l'on constate tant d'injustices fiscales par ailleurs.

Dernière remarque, et non des moindres : vous avez refusé de taxer les profits réalisés en 2009 par les institutions bancaires et financières, alors même que ces profits n'ont été réalisés que grâce à la béquille en or massif que leur ont fournie les pouvoirs publics.

Jean-François Lamour avait initialement permis, par son vote, l'adoption d'un amendement allant dans ce sens. Il lui a beaucoup été reproché de s'être trompé de bouton. Si l'on en croit certaines déclarations récentes, il semble en vérité, non pas que notre collègue se soit trompé de touche, mais qu'il en ait eu une d'avance... (Sourires.)

Évidemment, comme il s'agissait d'une initiative de l'opposition, le Gouvernement ne l'a pas acceptée, et l'on entend aujourd'hui des déclarations alambiquées sur le fait de savoir si ces profits seront taxés, et si les bonus des traders le seront aussi. Encore faudrait-il d'ailleurs, monsieur le ministre, que vous donniez une définition juridiquement correcte du métier de trader, car le risque serait grand, devant la perspective d'une taxation, que l'activité reste, mais que l'appellation se raréfie…

Refuser cette taxation et faire passer votre réforme de la taxe professionnelle, refuser de supprimer des niches fiscales injustifiables et taxer les indemnités journalières des accidentés du travail, tout cela ne fait pas une politique de nature à susciter l'adhésion de nos concitoyens. Nombreux sont, du reste, ceux qui n'y adhèrent pas.

Le déficit budgétaire et l'encours de la dette, en cette fin d'année, sont connus. Nous savons aussi quelle sera l'ampleur du déficit l'an prochain puisque le projet de loi de finances pour 2010 prévoyait initialement un déficit de 115 milliards d'euros. Si le projet de loi de finances rectificative est adopté, il passera à 117 milliards, auxquels il conviendra d'ajouter les 35 milliards de l'emprunt.

Ainsi, mes chers collègues, avant même que l'année 2010 n'ait commencé, le déficit budgétaire sera supérieur au déficit constaté cette année. Et quand on sait l'aggravation massive d'un déficit constaté par rapport à un déficit voté, les voeux pieux de certains de nos collègues de la majorité sur la nécessité de réduire les déficits publics et les déclarations martiales – comme il se doit – du Président de la République apparaissent pour ce qu'elles sont : des propos dénués de la moindre sincérité, et faisant l'impasse sur les générations futures qui devront payer les dettes que vous êtes en train de leur laisser. (Applaudissement sur les bancs du groupe SRC.)

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