Le texte que nous avions adopté en première lecture, madame Filipetti, disposait que le secret des sources des journalistes est protégé « afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général ». En cela nous avions repris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui fait référence à l'intérêt général.
Nous ne voulions pas que la protection des sources s'étende au cas où un journaliste défend un intérêt particulier, qui s'oppose éventuellement à l'intérêt général. Par exemple, il est arrivé – le cas a été examiné par la CEDH –, qu'un journaliste fasse état dans un journal financier de la situation d'un groupe industriel en utilisant des informations erronées, communiquées par un cadre dans l'intention de nuire à son groupe : il ne s'agissait pas là de questions d'intérêt général.
Le Sénat a souhaité la suppression de cette référence. L'article 1er du projet dispose donc désormais que le secret des sources des journalistes est protégé « dans l'exercice de leur mission d'information du public ». Cela n'empêcherait pas, me semble-t-il, que, dans un cas comme celui que je viens d'évoquer, la protection soit levée.
Vous souhaitez une protection absolue des sources, mais force est de constater qu'elle n'existe nulle part en Europe. En Belgique, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, il y a des exceptions, notamment pour les affaires criminelles graves et les affaires de terrorisme. Vous souhaitez aussi, semble-t-il, une protection absolue du journaliste, mais ce ne serait pas constitutionnel : le journaliste est un citoyen comme les autres, il doit le cas échéant répondre de ses actes devant les tribunaux. La protection que nous voulons assurer aux sources, nous ne voulons pas la conférer au journaliste lui-même.
Nous sommes parvenus à un texte équilibré, visant à protéger les sources, et assorti d'exceptions qui sont conformes à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Monsieur Mamère, je le répète, nous nous sommes très exactement calés sur cette jurisprudence, et notre texte est en conformité avec les dispositions de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Nous sommes un peu plus loin du texte belge, c'est vrai, mais certains observateurs considèrent que celui-ci mériterait d'être revu car ils constatent que, dans des affaires de moeurs graves, les enquêteurs se sont heurtés à la protection des sources.
Notre texte encadre très précisément les perquisitions. En particulier, si un journaliste considère que la saisie d'un document ou d'un objet – par exemple un ordinateur –est susceptible de porter atteinte au secret des sources, il peut s'y opposer ; le document ou l'objet doit alors être placé sous scellés, et il revient ensuite au juge des libertés et de la détention de statuer sur la possibilité ou non de l'utiliser. C'est une avancée considérable par rapport au droit existant. Je ne peux pas croire que, au vu de ces dispositions relatives aux perquisitions et après inscription du principe de la protection des sources à l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881, vous parliez sérieusement de vulnérabilité supplémentaire des journalistes.
Monsieur Bloche, je ne crois pas non plus que l'on puisse parler d'une « occasion manquée ». L'inscription du principe de protection à l'article 2 de la loi de 1881 va permettre de bâtir une jurisprudence très protectrice. Ce texte encadre les exceptions, qui seront très limitées et donneront lieu à des procédures très strictes, qu'il s'agisse des écoutes téléphoniques ou des perquisitions.