Par ailleurs, la gauche et la droite n'ont pas la même approche de la transposition des directives. Si M. Lenoir était là, il me dirait que tout s'est décidé à Barcelone, le 16 mars 2002. Pourtant, ce jour-là, Jacques Chirac s'est dit fier d'avoir réussi à freiner la dérégulation du marché de l'énergie en n'exposant pas les familles aux affres de son ouverture. Quant à Lionel Jospin, il a déclaré qu'il n'était pas acceptable d'aller plus loin, car, si cette ouverture se faisait pour les ménages, on pouvait craindre, pour les consommateurs, des hausses de prix considérables plutôt que des baisses. L'un et l'autre avaient raison, et ils avaient réussi, à Barcelone, à couper court à la dérégulation du secteur de l'énergie pour les ménages. Sur ce point, je vous renvoie à leurs déclarations respectives.
Et puis, par un beau soir de novembre 2002, peu de temps après l'échec de la gauche aux élections législatives, Mme Fontaine, de retour de Bruxelles, est venue nous expliquer dans cet hémicycle qu'elle était parvenue à obtenir que la France rentre dans le rang et libéralise la totalité du secteur de l'énergie. Le garde-fou avait été supprimé.
La suite immédiate, on la connaît : c'est la privatisation de Gaz de France et les tarifs qui augmentent. Mais cette affaire connaît encore des suites actuellement – et vous êtes bien placé pour le savoir, monsieur le ministre, puisqu'il me semble que vous êtes en partie chargé, avec M. Borloo, des questions relatives aux tarifs de l'énergie. Un contrat de service public est, en principe, conclu entre les entreprises chargées de missions de service public et l'État. Ce contrat, on oublie parfois de le signer – c'est le cas, par exemple, pour France Télécom, dont le contrat n'a toujours pas été signé. Pour Gaz de France, l'État avait oublié de le signer depuis trois ans, mais il s'apprête à le faire. Alors que GDF-Suez a une mission de service public, le contrat qui va être signé doit lui permettre de décider seul de l'augmentation des tarifs. Le Gouvernement ne s'en mêlera plus, le régulateur ne s'auto-saisira pas : seul l'opérateur GDF-Suez pourra demander de temps en temps au régulateur de procéder à une augmentation du prix du gaz. On ne parlera plus de stabilisation ni de baisse de prix : aussi étonnant que cela paraisse, seul l'opérateur privé pourra demander une augmentation des tarifs !
Si j'ai évoqué cette affaire, c'est que nous sommes en train d'accomplir le premier pas dans la même direction en ce qui concerne La Poste. Je dois m'excuser auprès de notre collègue Nicolas Dupont-Aignan de l'avoir contredit lorsqu'il a affirmé que la gauche avait transposé une directive fort peu convenable le 15 juin 1997. Il avait raison : à cette date, le gouvernement Jospin venait tout juste d'être mis en place, et il s'est trouvé dans l'obligation de finaliser un acte qui avait été négocié et même signé sous la forme d'un compromis, deux mois plus tôt, par le Conseil des ministres européen. Mais en réalité, comme je voulais le dire, c'est bien le gouvernement Juppé qui a mené les négociations et conclu l'accord en question ; le 15 juin n'est que la date à laquelle le Président de la République a honoré, dans le cadre de la cohabitation, l'engagement qu'il avait pris quelques semaines auparavant.
En revanche, le gouvernement Jospin a obtenu deux choses importantes lors des négociations de la directive 2002 – deux choses dont vous n'avez, pour votre part, tenu aucun compte lorsque vous avez négocié la dernière directive. Il s'agit, premièrement, de l'absence d'automaticité de l'ouverture totale du marché en 2009 ; deuxièmement, qu'une part du secteur réservé – notamment les envois de moins de 50 grammes – reste sous le monopole de La Poste, afin de pouvoir garantir la péréquation tarifaire, c'est-à-dire le tarif unique du timbre, dont j'ai déjà parlé. Cette négociation menée au niveau européen avait été difficile, le fait de prononcer le mot « État » pouvant alors, dans certains pays d'Europe de l'Est, susciter des réminiscences d'un temps où l'État exerçait une domination un peu excessive, donc réveiller des traumatismes.