Si, à mon tour, monsieur le ministre, je viens vous interpeller sur l'avenir de La Poste, c'est que le sujet est d'importance pour la majorité des Français.
Nous débattons sur l'avenir du plus vieux service public français, mais également sur ce qui est l'un des éléments de cohérence territoriale pour nombre de régions éloignées de tous les centres de développement économique ou de décision politique.
Le risque de l'évolution de ce projet de loi, parfaitement identifié par nos concitoyens, est la privatisation progressive de La Poste. La formule figurant à l'article 1er du projet de loi initial, selon laquelle le capital de la société est détenu par l'État ou d'autres personnes morales appartenant au secteur public, signifie clairement que l'État se réserve la possibilité de sortir du capital au profit de personnes morales exerçant des missions de service public au sens fonctionnel du terme, c'est-à-dire des personnes dont le capital peut ne pas être entièrement public. Toutefois, aucun plancher n'étant fixé, la participation de l'État pourrait se réduire avec l'objectif d'affecter le produit de la vente d'actions à la réduction de sa dette colossale.
En outre, les termes « autres personnes morales de droit public » visent essentiellement les collectivités territoriales et les entreprises publiques. Or, selon la loi du 2 juillet 1986, les entreprises du secteur public sont celles dont au moins 51 % du capital social est détenu par l'État, les administrations nationales, régionales ou locales.
La formule adoptée n'apporte donc pas la garantie que le capital des autres personnes morales actionnaires sera à 100 % public. Nous sommes clairement dans une logique qui consiste, devant les nombreuses réactions suscitées par ce texte, à proposer une solution intermédiaire en attendant de déposer ultérieurement un nouveau projet de loi qui ouvrira le capital de La Poste, comme cela fut le cas pour France Télécom et GDF.
Une telle décision politique s'appuiera alors sur le constat qu'il est nécessaire de renforcer à nouveau les fonds propres de La Poste. L'hypothèse est d'autant plus crédible que le mode de financement retenu pour le fonds de compensation du service universel postal est insuffisant. De plus, l'ouverture totale à la concurrence, qui ne s'exercera réellement que dans les secteurs d'activités les plus lucratifs, ce qui est logique de la part des opérateurs privés, risque d'amputer les résultats de La Poste.
Par ailleurs, certaines questions se posent. Dans le cadre contractuel avec les communes, les fonctionnaires territoriaux pourront-ils exercer des missions de service public pour le compte d'une société anonyme ? Les nouvelles conventions d'agence postale communale ne devront-elles pas être soumises à un appel d'offres ? Si tel est le cas, rien ne garantit que les communes seront systématiquement retenues pour exercer ces délégations. De telles questions méritent que des réponses précises soient apportées aux élus qui ne cessent de manifester leurs inquiétudes.
En fait, rien ne vous oblige à agir de la sorte. La Poste est déjà compétitive, elle fait des profits, et aucune législation européenne n'impose cette réforme. Ce projet de loi privera l'État d'un de ses outils essentiels d'aménagement du territoire, et il menacera ses missions de service public.
Les problèmes posés par la privatisation sont multiples car les missions de l'établissement postal sont d'intérêt général.
À l'avenir, qui pourra assurer aux Français que la péréquation tarifaire sera maintenue, autrement dit que le prix du timbre sera le même dans tout le pays ? Qui pourra garantir que le courrier sera toujours distribué partout et aux mêmes fréquences qu'aujourd'hui, si cette activité est peu rentable ? Qui pourra assurer aux foyers modestes un accès aux services bancaires ?
Aujourd'hui, La Poste est un vecteur d'égalité entre tous les Français ; elle doit le rester. C'est la notion même de service public qui est en jeu. Voilà pourquoi je pense qu'il serait préférable de surseoir à toute évolution hâtive et de procéder à une consultation de tous les Français pour connaître leurs véritables souhaits quant à l'avenir de La Poste. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)