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Intervention de Vincent Lamanda

Réunion du 1er décembre 2009 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation :

C'est toujours un honneur d'être entendu par votre commission. Je vous remercie d'autant plus de m'avoir convié aujourd'hui que la loi organique relative à l'application de l'article 65 de la Constitution me concerne tout particulièrement, en ma qualité de premier président de la Cour de cassation, mais aussi d'ancien secrétaire, puis de membre, du Conseil supérieur de la magistrature, dans des configurations à chaque fois différentes.

Je commencerai par répondre aux questions que vous m'avez transmises, puis je formulerai deux observations complémentaires.

Première question : les incompatibilités prévues entre la profession d'avocat et la fonction de membre du CSM sont-elles nécessaires ou excessives ?

Ces incompatibilités m'apparaissent indispensables. Comment imaginer qu'un avocat puisse continuer à plaider des affaires devant des magistrats dont la promotion, l'avancement ou la nomination seraient subordonnés à la décision du Conseil auquel il appartiendrait ? Il faut savoir que pendant les quatre ans de leur mandat, les membres de la formation du siège renouvellent environ les deux tiers des premiers présidents de cour d'appel et la quasi-totalité des présidents de tribunal de grande instance. Le Conseil se prononce en outre sur environ 2000 mouvements de magistrat par an. On aurait pu penser suffisant que l'avocat s'abstienne de prendre part aux travaux du Conseil relatifs à un magistrat appartenant à une juridiction devant laquelle il plaide habituellement ; mais la difficulté se situe à mon sens à un autre niveau : il faut éviter que les adversaires de cet avocat ne puissent mettre en doute l'impartialité des juges qui vont trancher le litige du seul fait qu'un membre du Conseil représente une partie dans la procédure.

Deuxième question : les exigences d'indépendance, d'impartialité et d'intégrité caractérisent-elles de manière exhaustive les obligations déontologiques des membres du CSM ?

Non, ces exigences ne couvrent pas toutes les obligations déontologiques des membres du Conseil. Il faut en effet ajouter à ces impératifs la nécessité de respecter le secret des délibérations et le devoir de réserve, tant sur les nominations que sur les activités relatives à la discipline des magistrats.

Troisième question : est-il nécessaire de mettre à la charge du président de chaque formation du CSM les mesures appropriées pour assurer le respect de ces obligations déontologiques par les membres ?

On peut s'interroger sur la portée de cette disposition de l'article 6 bis. Sa formulation paraît trop floue pour conférer au président un véritable pouvoir tendant à assurer, de manière effective, le respect par les membres du Conseil de leurs obligations déontologiques. Certes il faut toujours prévoir le pire, mais si les membres du CSM sont bien choisis, on ne devrait pas en arriver à de telles extrémités qui signeraient avant tout un grave constat d'échec pour le nouveau Conseil. Toutefois, pour pouvoir sanctionner un manquement caractérisé aux obligations déontologiques, on pourrait imaginer de conférer à la formation plénière du Conseil, saisie par le président de l'une des deux formations, la possibilité de prononcer, à une majorité qualifiée, la suspension d'un membre du Conseil auquel un tel manquement serait reproché. En outre, afin de solenniser ces obligations déontologiques, on pourrait aussi envisager de faire prêter un serment, devant la Cour de cassation, aux membres nommés et élus du Conseil.

Quatrième question, relative à l'autonomie budgétaire du CSM : dès lors que le Conseil n'est plus présidé par le Président de la République, ne faudrait-il pas prévoir que le président de la formation plénière du Conseil est l'ordonnateur de ses crédits ?

Il est effectivement hautement souhaitable d'assurer l'indépendance budgétaire du nouveau Conseil. Celui-ci a pour mission de donner des avis sur des propositions du Garde des sceaux, préparé par le directeur des services judiciaires. Or c'est ce directeur qui est précisément en charge de mettre des crédits à disposition du Conseil. Il est tout à fait anormal que cet organe constitutionnel tienne ses moyens de fonctionner d'une direction du ministère dont il est chargé de contrôler le travail, en matière de mouvements des magistrats et de discipline. Il y a un antagonisme irréductible entre la liberté de contrôle et la dépendance financière.

La cinquième question est relative au fonctionnement du Conseil supérieur. Vous me demandez si les règles de quorum prévues à l'article 9 me semblent satisfaisantes, et en particulier si je pense opportun d'opérer une distinction selon la matière – en fixant le quorum à huit en matière disciplinaire, où la formation compte seize membres, et à neuf dans les autres matières, où la formation compte quinze membres.

Ces quorums me paraissent convenables pour permettre au Conseil de fonctionner dans de bonnes conditions et d'assurer son autorité. La situation actuelle n'est pas très différente.

Sixième question : la disposition introduite au Sénat et prévoyant que les formations disciplinaires devront toujours compter un nombre égal de magistrats et de non-magistrats pour délibérer est-elle utile, ou nécessaire ?

Si la composition des formations disciplinaires du Conseil doit, le plus souvent possible, respecter la volonté du constituant d'assurer la parité entre magistrats et non- magistrats, on ne peut exclure qu'exceptionnellement, le Conseil connaisse une composition impaire. La composition peut être paritaire au début de l'audience et modifiée pour le délibéré : ce n'est pas là une hypothèse d'école car le cas s'est produit récemment. Le rapporteur du dossier, présent à l'audience, avait fait l'objet d'une demande de récusation au cours de celle-ci, en raison du contenu même de son rapport ; le Conseil a décidé qu'il devait s'abstenir de délibérer avec les autres membres – alors qu'il avait participé entièrement à l'audience. De la même façon, il peut arriver que le rapporteur lui-même estime que son investissement dans le dossier fait obstacle à sa participation au délibéré ; là encore, c'est une hypothèse que j'ai personnellement connue. En pareil cas de figure, on ne voit pas comment on pourrait ne pas faire participer au délibéré un autre membre qui a pourtant assisté, comme tous ses collègues, à l'ensemble des débats. Cette circonstance pourrait d'ailleurs être invoquée comme une cause d'irrégularité de la procédure.

Je considère donc qu'une telle disposition est inutile, et pourrait même parfois être source de difficultés. J'ajoute qu'actuellement, la composition du Conseil est théoriquement paire en matière de nominations – dix membres –, et impaire en matière disciplinaire – onze membres ; c'est exactement l'inverse de la situation résultant du texte proposé. Or aujourd'hui, il arrive fréquemment que des décisions soient prises en l'absence d'un membre malade ou empêché, de sorte que des choix de nomination sont faits par un nombre impair de membres et que des sanctions sont prononcées par une formation en nombre pair ; à ma connaissance, cela n'a jamais entraîné aucune difficulté.

Septième question : le CSM pourra-t-il respecter un délai de dix jours pour se prononcer sur une demande d'interdiction temporaire d'exercice d'un magistrat ?

Si je comprends que l'on veuille fixer un délai bref, j'estime qu'un délai de dix jours est un peu insuffisant et qu'une durée de quinze jours serait préférable. Actuellement, la procédure d'interdiction temporaire d'exercice donne lieu à une décision du Conseil dans les quinze jours ou trois semaines de la saisine, ce qui paraît satisfaisant compte tenu des contraintes. Les hypothèses d'urgence absolue nécessitant d'interdire immédiatement un magistrat sont en pratique réglées par des dispositifs pénaux – contrôle judiciaire ou détention provisoire – ou administratifs – internement d'office. Au moment de fixer ce délai, il ne faut pas oublier qu'il faut pouvoir venir d'outre-mer, où il existe cinq cours d'appel et deux tribunaux supérieurs d'appel ; n'oublions pas non plus qu'il faut un peu de temps au magistrat concerné pour préparer sa défense et comparaître devant le Conseil.

J'en viens à la huitième question. Les conditions de recevabilité formelle de la plainte d'un justiciable sont au nombre de quatre : plainte non dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure – sauf si, compte tenu de la nature de la procédure et de la gravité des manquements évoqués, la commission d'admission des requêtes estime qu'elle doit faire l'objet d'un examen au fond – ; délai d'un an suivant une décision irrévocable mettant fin à la procédure ; indication détaillée des faits et griefs ; indication de l'identité du plaignant et des éléments permettant d'identifier la procédure en cause. Le délai retenu ne risque-t-il pas de forclore le justiciable trop rapidement ?

Je ne le pense pas. Ce délai d'un an, à l'issue d'une procédure judiciaire elle-même plus ou moins longue, ne me paraît pas trop court.

J'en arrive à la neuvième question. Quel est le statut juridique de la plainte d'un justiciable ? Celui-ci peut-il retirer sa plainte ? Dans l'hypothèse où une plainte serait en cours d'examen par la commission d'admission des requêtes et où, dans le même temps, l'une des autorités compétentes saisirait le Conseil des faits dénoncés par le justiciable, cette saisine devrait-elle avoir pour effet de suspendre l'examen de la plainte par la commission d'admission des requêtes ?

La plainte d'un justiciable saisissant le Conseil n'est pas d'une nature différente de celle de tout autre plainte devant une instance disciplinaire. Elle ne confère pas la qualité de partie à celui qui la dépose. Aucun obstacle juridique ne s'oppose à ce qu'elle soit retirée. En revanche, un tel retrait n'a pas, en lui-même, d'effet sur le cours de l'instance disciplinaire, qui peut se poursuivre.

Il appartiendra évidemment à la commission d'admission de s'assurer qu'il s'agit bien des mêmes faits et, si tel est le cas, de renvoyer cette plainte devant la formation disciplinaire pour qu'elle soit éventuellement jointe à la saisine de celle-ci par l'autorité compétente.

Permettez-moi de terminer par deux observations.

Il est prévu à l'article 7 que le secrétaire général du Conseil soit nommé sur proposition conjointe du premier président de la Cour de cassation et du procureur général près ladite cour, après avis du Conseil. Or aujourd'hui, le secrétaire du conseil de discipline des magistrats du siège est le secrétaire général de la première présidence de la Cour de cassation, qui a été choisi intuitu personae par le seul premier président. M. le procureur général lui-même s'est déclaré, devant les sénateurs, d'accord pour que la désignation du secrétaire général du Conseil se fasse sur proposition du premier président, après avis du procureur général. En effet, même si aujourd'hui l'entente est excellente entre M. le procureur général et moi-même, il faut prévoir l'hypothèse de blocages que provoquerait une opposition entre le premier président et le procureur général, et par suite l'impossibilité que ceux-ci se mettent d'accord sur l'identité d'un secrétaire général. En outre, il est prévu que le Conseil émette un avis, sans que soit précisée la formation du Conseil qui devra se prononcer – soit la formation plénière, soit la formation du siège ou du parquet, en fonction peut-être de l'origine du magistrat proposé. En toute hypothèse, l'une de ces deux dernières formations devra ultérieurement se prononcer sur le détachement de ce magistrat, comme elle le fait traditionnellement sur toute proposition de détachement.

Si une consultation du Conseil me paraît évidente, et si l'avis du procureur général – concordant, si possible, avec celui du premier président – me paraît des plus souhaitables, je ne suis pas certain que la « proposition conjointe » du premier président et du procureur général, « après avis » du Conseil, soit la formule la plus appropriée.

Deuxième observation : le texte prévoit un filtrage des plaintes des justiciables par des sections propres à chaque formation – siège et parquet. Pour ma part, j'étais favorable à une section commune de filtrage, qui aurait pu être composée d'un magistrat du siège appartenant à la formation du siège, d'un magistrat du parquet appartenant à la formation du parquet et d'un membre commun à ces deux formations. Ainsi la parité aurait toujours été respectée au sein du conseil de discipline, un magistrat et un non-magistrat s'abstenant éventuellement ensemble de siéger. Il est important de ne pas multiplier les occasions privant les membres de la possibilité de siéger dans une formation disciplinaire, un membre du conseil ayant déjà connu d'une plainte portant sur les mêmes faits ne pouvant plus à mon sens participer à la formation de jugement.

Enfin, il serait souhaitable que la commission des requêtes puisse, comme le fait déjà le rapporteur lorsque le Conseil est saisi d'une poursuite disciplinaire, déléguer ses pouvoirs d'enquête à un magistrat d'un grade au moins égal à celui du magistrat visé dans la plainte. Dans certains cas, il sera en effet difficile de charger le premier président de la cour d'appel, comme c'est actuellement prévu, de procéder à l'enquête utile, notamment si c'est l'un de ses plus proches collaborateurs ou le président de l'une des juridictions du premier degré de son ressort qui se trouve directement concerné.

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