Permettez-moi au préalable de rappeler brièvement certaines de nos positions relativement à cette réforme. Pour nous, les magistrats ne devaient pas nécessairement être majoritaires au sein du Conseil supérieur, mais nous n'étions pas favorables à ce qu'ils y soient minoritaires : le paritarisme est une des idées fortes de FO, et c'est donc la cause de la parité que nous avons constamment soutenue dans les auditions et débats auxquels nous avons participé.
D'autre part, nous n'étions pas favorables à la saisine directe du CSM par le justiciable, non plus qu'à la présence d'un avocat au sein du Conseil.
J'en viens maintenant au projet de loi organique. Au nouvel article 10-1, relatif à la déontologie, nous approuvons qu'on réaffirme les exigences d'indépendance, d'impartialité et d'intégrité, tant pour les membres du Conseil que pour les personnes dont ils s'attachent les services, mais nous regrettons qu'on n'ait pas saisi l'occasion de ce texte pour traiter le cas du rapporteur, pour qui se pose aussi la question de l'impartialité. À la différence de ce qui se passe dans une audience classique où son rôle est d'exposer les faits et griefs sans prendre parti, le rapporteur du Conseil supérieur conclut en effet à la qualification disciplinaire des faits qu'il a instruits. Or nous avons constaté deux attitudes différentes du « CSM siège » et du « CSM parquet » : dans la première formation, le rapporteur est systématiquement écarté du délibéré, tandis qu'il y est admis dans la seconde. Il est dommage, je le répète, que la loi organique ne règle pas cette question, dont nous saisissons le Conseil d'État chaque fois qu'elle se pose.
La difficulté de parvenir à une rédaction satisfaisante pour assurer la compatibilité entre la participation au CSM et l'exercice de la profession d'avocat est révélatrice d'une difficulté de fond, qui fait que nous n'étions pas favorables à la présence d'un avocat au sein du Conseil. Outre que les magistrats ne participent pas à la formation disciplinaire des avocats, en première instance en tout cas, il se poserait là aussi un problème d'impartialité, subjective et objective, si cet avocat continue à exercer : non seulement il a un intérêt au fonctionnement de la justice, mais lui ou son cabinet peut avoir intérêt à telle ou telle affaire. Même en matière de nominations, nous voyons là un risque de pression sur les magistrats qui devrait faire écarter cette participation.
S'agissant du quorum, nous nous félicitons qu'à l'article 9, il s'accompagne du respect de la parité en matière disciplinaire. Malheureusement, il n'en sera pas de même dans les autres matières, où ce quorum, fixé à neuf membres sur quinze, ne permettra pas éventuellement aux magistrats de siéger seuls pour des sujets importants. Nous y voyons un signe de défiance et nous le regrettons.
« Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d'une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties… », est-il écrit à l'article 14 bis. Cette rédaction est pour nous beaucoup trop vague : quasi toutes les règles de procédure garantissent les droits des parties ! En l'absence de précisions, je crains bien que cette disposition n'aboutisse à un blocage des juridictions. Ainsi, l'audience en juge rapporteur permet d'évacuer les flux, la juridiction fonctionnant dans ce cas à un seul magistrat au lieu de trois, mais, alors que les textes en font obligation, il est pratiquement impossible d'en informer les parties à l'avance. Si l'article reste en l'état et la saisine directe par le justiciable s'ajoutant à cela, les magistrats, pour se protéger, appliqueront la règle à la lettre et la justice n'avancera plus ! Autre exemple, toujours en matière civile : la présence d'un greffier à l'audience est une garantie essentielle pour les parties ; or, beaucoup de juges des enfants siègent par force sans greffier…
Pour nous, la saisine directe par le justiciable va poser plus de problèmes qu'elle n'en résoudra et, surtout, fera peser sur la justice une pression permanente. Mais puisque le principe en est arrêté, intéressons-nous aux modalités, comme vous nous le demandez : le délai de recevabilité d'un an « suivant une décision irrévocable mettant fin à la procédure » ne nous paraît pas du tout protecteur pour les magistrats. Je prends le cas d'une procédure au cours de laquelle un expert avait commis une faute ; l'avocat lui ayant demandé de changer son rapport, il a refusé et le client a porté plainte. Tant que la procédure sera ainsi pendante, le magistrat sera sous la menace d'une plainte. Il restera sous pression pendant toute l'instance. Nous aurions préféré, comme pour la diffamation, un délai très court partant, non du moment où la décision devient irrévocable, mais de la découverte de la faute. Cela laisserait au magistrat la possibilité de modifier son comportement ou de réparer son manquement, si c'est de cela qu'il s'agit, mais il n'aurait pas à redouter une plainte pour une affaire dont il aurait pu avoir à connaître des années plus tôt, compte tenu des délais d'appel et de pourvoi en cassation.
D'autre part, une fois que la requête d'un justiciable aura été déclarée irrecevable par la commission d'admission, il ne nous paraît pas cohérent que le garde des Sceaux et les premiers présidents gardent la possibilité de saisir le CSM pour les mêmes faits. Dès lors qu'ils n'ont plus l'exclusivité du pouvoir de poursuite, la décision de cette commission doit également s'imposer à eux.