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Intervention de Christophe Régnard

Réunion du 1er décembre 2009 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Christophe Régnard, président de l'Union syndicale des magistrats :

Nous avons en effet reçu ce questionnaire fort complet. Permettez-moi, avant d'y répondre, de vous soumettre quelques considérations plus générales.

Tout d'abord, comme vous le savez, l'USM s'était opposée aux conditions dans lesquelles la réforme constitutionnelle de 2008 a été adoptée, en particulier pour ce qui est de la composition du Conseil supérieur, les magistrats se trouvant en minorité face aux personnalités extérieures à l'ordre judiciaire. La disposition nous semblait rompre avec certains standards européens, ce qu'a confirmé en septembre dernier la résolution 1685 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, adoptée sur le rapport de Mme Leutheusser-Schnarrenberger, l'actuelle ministre allemande de la justice.

Cependant, le projet de loi organique a fait l'objet d'une concertation avec le cabinet de Mme Rachida Dati, puis nous avons effectué un important travail avec le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. Jean-René Lecerf, si bien que le texte qui vous est transmis nous semble de bonne facture et, en grande partie, très acceptable. Du reste, il n'a pas fait l'objet de prises de position négatives de la part de la magistrature. Nous souhaitons aujourd'hui vous convaincre de la pertinence des arguments soutenus au Sénat et des amendements votés par la Haute Assemblée : sur plusieurs points, un recul ferait problème. En effet, sur un sujet aussi sensible, un texte doit être, à tout le moins, compris et accepté par les magistrats pour pouvoir s'appliquer dans de bonnes conditions.

Le consensus porte notamment sur quatre points : la composition de la formation plénière du CSM ; les modalités de désignation de l'avocat qui siégera au Conseil, telles qu'elles ont été proposées par le Sénat ; la suppression par le Sénat, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État, de la privation du droit à pension ; enfin, la suppression d'une procédure accélérée de suspension provisoire qui donnait tous pouvoirs au président de la formation du siège ou, pour les magistrats du parquet, au ministre de la justice.

Certaines dispositions continuent néanmoins de nous inquiéter.

Il s'agit d'abord de la possibilité, pour le premier président ou le procureur général de la Cour de cassation, de se faire suppléer par un membre de la Cour de cassation, membre de la formation compétente. Cette disposition nous semble rompre les équilibres – déjà défavorables aux magistrats – arrêtés par le constituant l'année dernière. En effet, le membre susceptible d'être suppléant est explicitement exclu de la formation plénière. Si le premier président de la Cour de cassation, que nous avons rencontré, estime qu'il dispose du temps nécessaire à l'exercice des deux fonctions, il est cependant à craindre qu'il ne se réserve la présidence du CSM que lorsque celui-ci aura à examiner les nominations les plus importantes. Les magistrats ne seraient alors plus que six, pour huit membres extérieurs.

Ce qui est encore plus grave, c'est que les magistrats pourraient également être minoritaires dans les audiences disciplinaires. Ce serait là aussi contrevenir aux standards européens, auxquels l'USM est très attachée.

C'est pourquoi nous avons demandé que les hypothèses d'absence du premier président ou du procureur général près la Cour de cassation soient explicitement fixées, afin que ceux-ci ne décident pas eux-mêmes s'ils se font remplacer ou non. Et, en tout état de cause, en matière disciplinaire, nous souhaitons que soit maintenu le rétablissement par le Sénat de la parité en toutes circonstances – s'il manque un magistrat, on retire un membre extérieur ; s'il manque un membre extérieur, on retire un magistrat.

Deuxième sujet d'inquiétude : la composition des commissions d'admission des requêtes. Je reviendrai tout d'abord sur la question du partage des voix : en tant que magistrats, nous considérons que le doute doit toujours profiter à la personne qui fait l'objet d'une procédure. En second lieu, nous préconisions une commission unique du siège et du parquet, ce à quoi on a objecté – de façon peu convaincante – qu'une telle disposition ne serait pas constitutionnelle. Elle permet pourtant de s'assurer de l'unité du corps voulue par le constituant. De plus, il est préférable qu'une seule commission se prononce sur les dossiers mettant en cause les magistrats du siège et du parquet : il est regrettable que des décisions différentes soient prises d'une commission à l'autre, comme on l'a vu dans l'affaire d'Outreau.

On nous a reproché de proposer un dispositif où les magistrats sont majoritaires –un magistrat du siège, un magistrat du parquet et un membre non magistrat. Dont acte. Cela dit, le système ne peut fonctionner que si chacun est dans une démarche constructive : les magistrats ne doivent pas avoir l'impression qu'on « veut leur tête », mais les justiciables doivent avoir également le sentiment qu'ils ont un accès effectif à l'organe de poursuite.

Le choix de faire désigner les membres de la commission d'admission des requêtes par le président de la formation nous semble une mauvaise idée. En vertu d'une exigence d'impartialité à laquelle la Cour européenne des droits de l'homme ne manquerait pas, le cas échéant, de nous rappeler, ces membres ne pourront pas siéger au fond et ce mode de désignation donnerait donc au président de la formation disciplinaire le pouvoir d'écarter de celle-ci qui il voudrait. Le système de l'élection, voire de la désignation par tirage au sort, nous paraît bien préférable pour éviter toute suspicion.

Enfin, la question du renvoi de l'examen de la plainte à la formation compétente ne se poserait pas si les membres de la commission d'admission des requêtes étaient en nombre impair. En revanche, nous considérons que la décision devrait impérativement être prise à la majorité au cas où la parité serait maintenue – deux magistrats, deux non magistrats.

J'en viens à la question de la saisine directe par le justiciable. L'examen du texte au Sénat a permis des évolutions très satisfaisantes, mais nous butons toujours sur l'ajout du membre de phrase : « sauf si, compte tenu de la nature de la procédure et de la gravité des manquements évoqués, la commission d'admission des requêtes estime qu'elle doit faire l'objet d'un examen au fond ». L'objectif du constituant et du Sénat était d'éviter ainsi qu'une multiplication des plaintes n'aboutisse à un blocage des juridictions. Mais on a beau nous expliquer que le dépôt d'une plainte contre un magistrat devant le CSM n'est pas un motif de récusation, nous nous demandons comment les juges, notamment ceux qui sont chargés d'un suivi – juges des enfants, juges des tutelles –, pourront continuer à travailler avec des personnes ayant déposé une plainte disciplinaire. Pour un justiciable, le motif d'une plainte sera toujours un manquement grave. Le risque est donc de rouvrir les vannes et de bloquer des juridictions où, bien souvent il n'y a qu'un seul juge des enfants, ou un seul juge d'instance.

Le Sénat s'en remet à la future jurisprudence de la commission. Or cette jurisprudence sera évolutive puisque la composition des commissions ne sera pas fixe.

Bref, nous considérons que le système est insatisfaisant en l'état.

Pour en venir au questionnaire que votre Commission nous a transmis, la question de la parité hommes-femmes dans les listes électorales pour la désignation des membres du CSM ne nous semble pas se poser. Il serait au reste difficile d'imaginer une disposition juridiquement satisfaisante sur le sujet. En effet, la composition du corps judiciaire n'est pas paritaire et le sera de moins en moins : il y a de plus en plus de femmes dans la magistrature. Imposer la parité reviendrait paradoxalement à discriminer nos collègues femmes.

En outre, quelles seraient les listes électorales concernées ? Celles des grands électeurs, ce qui n'aurait guère d'intérêt ? Celles qui sont présentées par voie syndicale, et qui comportent trois noms, ce qui rend la chose impossible ? J'ajoute qu'en dehors des listes syndicales, l'élection des membres se fait au scrutin uninominal majoritaire à un tour, ce qui interdit de s'assurer d'une parité stricte au sein du CSM.

En second lieu, il nous paraît difficile qu'un avocat en fonction – donc appelé à plaider devant les juridictions – puisse être membre du CSM et susceptible d'intervenir à ce titre dans la nomination du magistrat devant qui il plaide ou dans d'éventuelles procédures disciplinaires à l'encontre du même. L'objection selon laquelle la situation est la même pour le membre du parquet qui est membre de la formation siège est juste. Tout cela pose problème au regard du principe d'impartialité qui découle de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. On a repoussé, au motif que ce ne serait pas constitutionnel, notre suggestion de nommer un avocat honoraire. Le système trouvé par le Sénat impose à l'avocat de mettre sa carrière entre parenthèses. Elle suppose un sacrifice de la part de l'intéressé, mais c'est à nos yeux une garantie d'impartialité satisfaisante.

Nous connaissons les motifs – un épisode particulièrement malheureux qui concernait un de nos élus dans le cadre de l'affaire d'Outreau – qui ont présidé à l'introduction dans le texte de la disposition relative aux obligations déontologiques des membres du CSM. L'USM ne saurait s'opposer à cet ajout, mais remarque qu'un problème s'est posé récemment avec la candidature d'un membre de l'actuel CSM à une élection. S'il est précisé qu'un membre du CSM ne peut exercer un mandat électif, il faudrait aussi indiquer qu'il ne peut être candidat à un tel mandat.

Par ailleurs, dès lors que les membres du CSM peuvent déléguer certaines de leurs fonctions, il nous semble légitime que les obligations déontologiques applicables au mandant s'imposent également au mandataire. Au surplus, il convient que le premier s'assure du respect des principes posés par le législateur.

S'agissant du quorum, même si nous n'avions pas vu la question lors de l'examen au Sénat, nous pensons en effet qu'il faut s'interroger sur l'existence d'un quorum plus important en matière de nominations – alors que moins de membres siègent – qu'en matière disciplinaire. Faire passer le quorum de cinq sur dix membres à huit sur seize membres en matière disciplinaire nous paraît cohérent, sachant que nous souhaitons le maintien d'une parité entre magistrats et non magistrats en toutes circonstances. Pour ce qui est de la formation chargée des nominations, on pourrait envisager un quorum de huit afin que les magistrats ne soient pas en minorité. Mais la solution retenue par le Sénat de le porter à neuf nous convient : pour des nominations importantes comme celles des chefs de juridiction, il faut trouver l'accord le plus large possible. D'autre part, le travail du CSM va considérablement évoluer dans les mois et les années qui viennent. Le Conseil sera amené à siéger de façon quasi permanente et il conviendra que ses membres se consacrent à ces activités presque à plein temps. Un quorum élevé vaudra incitation à ne pas être absents trop souvent.

Concernant la composition paritaire des formations disciplinaires, les magistrats, j'y insiste, ne comprendraient pas que l'Assemblée revienne sur les dispositions introduites par le Sénat. Ils ont très mal vécu leur mise en minorité au sein du CSM dans sa formation plénière et dans sa formation de nomination, alors que les standards internationaux et européens imposent à tout le moins la parité. La seule avancée que nous avions obtenue au moment de la réforme constitutionnelle était justement la parité en matière disciplinaire. Le président de la commission des lois du Sénat, M. Jean-Jacques Hyest, avait tenu des propos très clairs à ce sujet. Si l'on revenait sur cette parité, la décision serait fort mal accueillie au sein de la magistrature.

Pour ce qui est enfin de la saisine directe par les justiciables, les critères et filtres prévus nous semblent satisfaisants. Le Sénat a porté le délai dans lequel la plainte peut être déposée de six mois à un an. Cette durée nous paraît satisfaisante. Il ne faut pas, dans ces matières sensibles, que les magistrats soient menacés pendant des années par l'épée de Damoclès d'une procédure disciplinaire. Le délai de forclusion est décompté à partir de la clôture de la procédure, ce qui peut mener déjà assez loin. Il ne serait pas pertinent de l'étendre à trois ou cinq ans.

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