En tant que président d'une formation disciplinaire, je considère que, lorsque les tenants des deux positions sont dos à dos, puisqu'il y a égalité, il appartient au président de prendre ses responsabilités. Dans ce cas, je me livre à un délibéré entièrement public devant les autres membres, et je tranche. Cela a été le cas pour une affaire que je considérais comme grave – ce n'est pas parce qu'on est dans le midi de la France qu'on peut prononcer à l'audience des propos attentatoires à la dignité de certaines couches sociales ou ethniques –, et ma décision a été respectée, même si la moitié de la formation était d'un autre avis. Mais je reconnais qu'appliquer le principe de procédure pénale du doute qui profite à l'accusé – in dubio pro reo – est aussi une solution défendable.
Le premier président, pour le siège, et le procureur général pour le parquet étant désormais personnellement appelés à exercer cette fonction, ils peuvent espérer, et c'est mon cas, faire des progrès décisifs en matière de clarification et essayer de réconcilier avec la justice ceux qui doutent, qui sont mécontents, qui suspectent. Je le dis avec une immense conviction. Après tout, j'ai été cinq fois procureur général dans des cours sensibles, sous la gauche, sous la droite et en période de cohabitation ! Et un ancien Garde des sceaux ici présent peut témoigner que j'ai en toute circonstance fait passer les décisions qui s'imposaient. Mais cela pose la question du statut du ministère public, de sa formation, de son épaisseur, de sa loyauté, de sa compétence.
Tout le monde accepte l'existence d'une politique pénale gouvernementale. Comment s'en dispenser ? Qu'une hiérarchie soit nécessaire va également de soi. Mais si la suspicion s'en mêle, rien ne va plus !
Tous les Gardes des sceaux avec lesquels j'ai travaillé vous diront que je suis allé au bout de moi-même : on sent très bien, lorsqu'on est procureur général, qu'une affaire va soulever une tempête et dans ce cas, on doit aller s'expliquer directement, les yeux dans les yeux, avec le ministre. Chaque fois, j'ai été écouté et, chaque fois, la justice est passée, même au prix de quelques crispations sur le damier gouvernemental. Mais aujourd'hui se pose un immense problème, qui ne relève pas de la Constitution : celui de la formation et de la responsabilité des magistrats. MM. Houillon et Vallini pourront attester que j'ai démontré, devant la commission d'enquête qui s'est penchée sur l'affaire d'Outreau, en tant que président de la formation disciplinaire, que c'est toute la machine qui a craqué, du bas au sommet. Dans une telle situation, l'ensemble du parquet se trouve fragilisé : tout le monde se demande à quoi elle sert, cette hiérarchie, si elle ne prend pas ses responsabilités. Et là commencent les dérapages…
Il faut donc se remettre sur les bons rails : professionnalisme, compétence, loyauté. Mais encore faut-il concrétiser ces belles paroles. Dans notre État de droit, cela passe par la motivation. Je souhaite que vous fassiez prospérer cette vision, que les magistrats du parquet soient respectés en France et qu'on les libère de la suspicion politique qui pèse sur eux. Il y a des faits, des noms qui font effectivement déraper le parquet, qui devient dès lors difficile à défendre. Mais je profite de cette audition pour défendre un parquet responsable et républicain.
Je sais qu'en venant devant votre commission, on est écouté. Même une petite avancée serait un bon début. La justice progresse à petits pas, mais nous parviendrons bien à la rendre aussi solide qu'elle doit l'être.