La fusion de l'organe central des banques populaires et des caisses d'épargne était annoncée pour 2010. La crise que nous traversons actuellement a été un catalyseur, elle a accéléré ce qui se dessinait depuis la constitution de Natixis. Pourtant, ce contexte économique exceptionnel et la mise en lumière criante des abus et des limites du système capitaliste n'ont en rien modifié les objectifs de transformation des deux banques coopératives en banques privées: tout est fait comme s'il ne s'était rien passé depuis septembre et l'éclatement de la crise financière.
Je rappelle pourtant les déclarations du Président Sarkozy et son souhait de « moraliser le capitalisme » ! Il n'en est rien. Pis, le Gouvernement passe à côté d'une occasion de transformer en profondeur notre système économique. En réalité, tel n'est pas son objectif. Nous aurions pu, à l'heure actuelle, débattre de la constitution d'un pôle financier public – c'était le sens de la question préalable de Jean-Pierre Brard – autour de ces deux banques avec le concours de la Caisse des dépôts. À l'inverse, nous discutons aujourd'hui du démantèlement progressif du système coopératiste sur fond de pouvoir élyséen.
En fait, depuis plusieurs années déjà, le modèle de la banque coopérative est en danger. À l'origine, au XIXe siècle, la création des caisses d'épargne était motivée par l'intérêt général. Celles-ci avaient pour vocation d'offrir aux classes populaires un moyen de constituer une épargne. Elles avaient d'ailleurs un statut d'établissement privé d'utilité publique. Or, petit à petit, cette spécificité s'est estompée, et les caisses d'épargne, comme les banques populaires, se sont rapprochées du modèle bancaire privé, ce au détriment de ce qui faisait, et continue à faire leur solidité, leur fonctionnement coopératiste et mutualiste.
Il est utile de rappeler que ce modèle est très différent de celui d'une banque traditionnelle, d'une banque « capitaliste ». Une banque coopérative est détenue non par des actionnaires, mais par des sociétaires. Ce sont les déposants qui sont propriétaires de leur banque. Cette spécificité statutaire a deux conséquences.
Premièrement, cela signifie que l'impératif capitaliste de recherche du profit maximum est contenu ; tout d'abord parce que la rémunération du sociétaire est fixée par l'assemblée générale de l'entité régionale ; ensuite parce que les caisses d'épargne, aux termes de l'article L. 512-85 du code monétaire et financier, participent à la mise en oeuvre des principes de solidarité et de lutte contre l'exclusion, au travers notamment de la lutte contre l'exclusion bancaire, de l'amélioration du développement économique local et du financement du logement social. On est bien loin de l'attitude des banques privées !
Certes, depuis la loi de modernisation de l'économie et la décentralisation de la collecte du livret A, le message gouvernemental est clair. Il s'agit d'injecter dans les circuits financiers l'argent de l'épargne populaire autrefois consacrée à des projets d'intérêt général. Dans ce projet de loi, si les missions de service public énoncées par l'article L. 512-85 du code monétaire et financier sont réaffirmées, il y a fort à parier que cela a un effet purement cosmétique.
Deuxièmement, contrairement aux banques traditionnelles, dans le système mutualiste, les banques ou caisses régionales ne sont pas les filiales de l'organe central qui coordonne leurs actions. C'est l'organe central qui est détenu par les structures régionales dont les conseils de surveillance sont pour une grande part constitués des représentants des sociétaires. Une banque coopérative possède, par définition et par tradition, une structure décentralisée et démocratique.
Sur tous ces points, ce projet de loi et le laisser-faire hypocrite de ces dernières années constituent un dangereux recul.
Autre préoccupation majeure autour de ce projet de loi : ce texte a été ficelé à la hâte. Vous avez voulu répondre de toute urgence à la débâcle financière et aux pertes énormes engendrées par la banque de financement et d'investissement de la Caisse d'épargne et de la Banque populaire, Natixis, dont on parle tant ce soir.
Qu'est Natixis ? En bref, c'est le moyen pour la Caisse d'épargne et la Banque populaire de contourner, avec l'assentiment hypocrite du pouvoir politique, leur réglementation et leurs statuts, en leur permettant d'aller se financer sur les marchés alors qu'elles n'auraient dû pouvoir se financer qu'au travers des dépôts de leurs sociétaires et la collecte de l'épargne populaire.
Pour le dire encore plus crûment, les dirigeants de ces banques coopératives, assoiffés par l'appât du gain et alors que ce n'était ni dans le savoir-faire ni dans la tradition de leur établissement, ont voulu participer au festin de l'argent roi en se mettant au diapason des banques traditionnelles, style la BNP, le Crédit lyonnais ou la Société générale, et jouer sur les marchés en faisant notamment de la titrisation ou du trading pour leur compte propre.
Quel en fut le résultat ? Les banques coopératives, qui auraient dû être les seules à ne pas être touchées, ou à l'être marginalement, par la crise des subprimes, ont été, au contraire, celles qui ont accusé les plus lourdes pertes du secteur bancaire en France. Il est d'ailleurs remarquable que les 750 millions perdus par les Caisses d'épargne soient présentés dans votre rapport, monsieur Carrez, comme un simple « incident de marché » !
Plus grave, pour compenser ces pertes et combler les trous, les organes centraux ont proprement siphonné les banques et caisses régionales, c'est-à-dire l'épargne des classes populaires ou bien les comptes de modestes PME qui n'auraient jamais imaginé risquer leur argent sur les marchés !
Venons-en maintenant au coeur du projet. Sous ses dehors bâclés, ses flous et ses vagues, celui-ci vise à faire passer deux idées.
Premièrement que les banquiers, bien loin d'admettre leurs erreurs et leur part dans la crise que nous traversons actuellement, bien loin d'en rabattre sur leur arrogance passée, espèrent bien, dès que les difficultés auront fait mine de se dissiper, recommencer de plus belle, sans aucun scrupule et à plus grande échelle encore leurs pratiques douteuses de trading pour compte propre et de titrisation à tout va.
Deuxièmement, que le modèle de la banque coopérative, brièvement décrit au début de cette intervention, est condamné à disparaître doucement mais sûrement.
Le projet de loi, à rebours de leurs pratiques décentralisées et démocratiques, donne un poids démesuré et un pouvoir exorbitant au nouvel organe central des caisses d'épargne et des banques populaires, à son directoire, à François Pérol, bras armé de l'Élysée.
Permettez-moi de faire une parenthèse. Ce qui est flagrant dans cette affaire, c'est toute l'ambiguïté de la position du Gouvernement et du chef de l'État. D'un côté, l'État donne 5 milliards aux deux banques et refuse d'acquérir des parts du nouveau groupe ; d'un autre côté, sa majesté impériale Nicolas Sarkozy – comme le dirait mon collègue Jean-Pierre Brard ; c'est une belle formule ! – coopte François Pérol à la direction du nouvel organe central.
Pour résumer, l'État et les contribuables renflouent les caisses sans contrepartie et Nicolas Sarkozy place ses pions, ses petits copains, sous fond de clientélisme politique.
Ce projet de loi additionne, purement et simplement, les pouvoirs des organes centraux des caisses d'épargne et des banques populaires : la CNCE et la BFBP. Non content de simplement gérer la solvabilité ou la liquidité du groupe, ou bien d'assurer la coordination à l'intérieur de celui-ci, il décidera aussi de la politique commerciale globale. Et si jamais une caisse ou une banque régionale prenait des décisions non conformes aux instructions du nouvel organe central, celui-ci pourrait en révoquer les directeurs et présidents récalcitrants.
Comment appeler encore cela une structure décentralisée, si toutes les décisions sont prises à Paris et si les caisses et banques régionales sont priées de suivre en rangs d'oignon, sans possibilité d'initiatives personnelles ? Comment appeler cela une banque coopérative si le nouvel organe central considère les caisses et banques régionales comme ses filiales plutôt que comme ses propriétaires ?
Cette mainmise de l'organe central sur les structures régionales se trouve encore accentuée par le fait que celui-ci gérera l'ensemble de la trésorerie des établissements qui le composent. Ce point peut sembler mineur, mais il ne l'est pas. Alors que, jusqu'à présent, l'organe central ne gérait que l'excédent de trésorerie des caisses et banques régionales, leur laissant ainsi une importante marge de manoeuvre dans la détermination de leur politique, le nouvel organe central pourra, demain, décider de l'allocation du moindre centime.
Si encore étaient organisés, au sein du nouvel organe central, des contre-pouvoirs permettant aux représentants des sociétaires, des salariés et de l'État d'avoir leur mot à dire quant aux choix et orientations futurs ! Mais le projet de loi est curieusement muet sur la composition de ce nouvel organe central, ne précisant ni s'il sera à directoire et conseil de surveillance ni, a fortiori, si les sociétaires seront suffisamment bien représentés dans l'encore hypothétique conseil de surveillance. Encore une fois, dans sa rédaction actuelle, ce projet de loi donne quasiment les pleins pouvoirs à M. Pérol, c'est-à-dire à M. Sarkozy.
Pour conclure, ce projet de loi ne modernise en rien notre système bancaire. Il ne tire aucune leçon de la crise et organise la braderie de l'épargne populaire. Les banquiers et leurs amis se frottent les mains ; les sociétaires, les épargnants et les classes populaires un peu moins bien évidemment !
C'est pourquoi les députés communistes, républicains, du parti de gauche voteront contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)