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Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 9 décembre 2009 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2009 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet :

Monsieur le ministre, je souhaite revenir, à mon tour, sur la situation économique de notre pays en cette fin d'année. Le 1er décembre, le Président de la République s'est exprimé à ce sujet sur un mode qu'il affectionne, celui de l'autosatisfaction. J'observe que vous êtes plus prudent dans votre expression. Il est vrai qu'en termes de chute du PIB, la France figure parmi les pays qui ont été le moins touchés par la crise. Mais la situation actuelle du chômage révèle ce qui a manqué à notre plan de relance : un volet emploi. Et l'on s'apercevra à l'avenir qu'il lui manquait également un volet revenus.

Monsieur le ministre, vous avez placé la France et l'Allemagne sur le même plan, estimant que les deux pays n'avaient pas trop souffert du chômage. En réalité, en juillet 2008, juste avant la crise, les deux pays affichaient le même taux de chômage harmonisé, à savoir 7,4 %. En octobre 2009, le taux de chômage de l'Allemagne était pratiquement inchangé, à 7,5 %, tandis que la France avait dépassé les 10 %.

L'Allemagne a connu une récession plus forte que la France, étant beaucoup plus ouverte au commerce international que la France et disposant de moins de stabilisateurs automatiques. Toutefois, elle a su limiter l'impact de la récession sur le chômage ; en France, les chiffres du chômage ont explosé, ce qui s'explique par le fait que la politique économique pratiquée, en particulier le plan de relance, ne comporte aucune mesure en faveur de l'emploi. Lorsqu'on examine les chroniques de conjoncture de l'INSEE, on s'aperçoit que les emplois aidés, composante importante d'une politique de l'emploi, n'ont pas bougé : vous n'avez fait que rajouter quelques emplois aidés, après en avoir détruit autant en 2006 et 2007. Aucun effet ne vient donc compenser la hausse massive du chômage et les destructions d'emplois dans le secteur marchand.

Pire, vous avez maintenu une subvention aux heures supplémentaires pour un coût de 3 milliards d'euros, alors que toutes les études montraient que celle-ci allait détruire entre 80 000 et 90 000 emplois. En supprimant cette mesure, vous auriez non seulement fait une économie, mais également contribué à limiter les destructions d'emplois. Vous auriez d'ailleurs pu faire bien mieux en remplaçant cette mesure par la mise en place d'emplois aidés, en créant par exemple 150 000 emplois jeunes, ce qui aurait efficacement contribué à la lutte contre les effets de la récession.

Où est passé le plan de relance ?

Comme l'a rappelé le rapporteur général, l'essentiel de ce plan résidait dans l'investissement public ; nous y étions favorables, sous réserve que soit mise en place, parallèlement, une politique pour l'emploi et les revenus. Lorsqu'on se penche sur les données des comptes trimestriels de l'INSEE, on s'attend à ce que l'investissement public ait fortement augmenté, comme cela aurait dû être le cas si la relance avait joué son rôle. Or, au cours des neuf premiers mois de cette année, l'investissement public a baissé de 1,5 %. Je vous le demande à nouveau : où est passé le plan de relance ?

Il est exact que la consommation a plutôt bien résisté dans ce contexte de récession, ce qui s'explique par deux facteurs : premièrement, l'effet de la prime à la casse, qui va peu à peu disparaître ; deuxièmement, surtout, une formidable désinflation. En effet au cours des neuf derniers mois, la forte baisse du prix du pétrole et des produits alimentaires a compensé la faible augmentation des revenus des ménages. Cependant, cet effet-là est également derrière nous, et le problème des revenus se fait ressentir dès maintenant : au troisième trimestre, le pouvoir d'achat et la consommation des ménages n'ont pas augmenté. C'est à partir de maintenant que l'absence de mesures en faveur du pouvoir d'achat, oubliées lors du plan de relance, va se faire ressentir, car le pouvoir d'achat des ménages va diminuer du fait du retour à la normale de l'inflation.

Le Président de la République et les ministres nous ont expliqué que le déficit était en grande partie dû à la crise, M. Sarkozy affirmant même que notre déficit avait augmenté comme en Allemagne. Certes, la crise a contribué au déficit, mais l'Allemagne et la France ne se trouvaient pas dans la même situation en matière de finances publiques en 2008.

En 2005, les deux pays se trouvaient en déficit excessif : 3 % du PIB en France, 3,4 % en Allemagne. Trois ans plus tard, en 2008, l'Allemagne avait ramené son déficit à zéro, mettant à profit, comme tous les pays européens, une période de croissance pour réduire son déficit. Dans le même temps, vous allez laissé le déficit partir à la dérive, avec le paquet fiscal et tous les allégements fiscaux qu'a rappelés le rapporteur général, ce qui fait que la France a abordé la récession en affichant un déficit excessif pour la première fois de son histoire.

Quand un pays est touché par la récession alors qu'il est déjà en déficit de 3,4 %, il n'est pas étonnant qu'il se retrouve, un an plus tard, au plus fort de la récession, à 8,2 % de déficit ! De son côté, l'Allemagne, partie d'un déficit nul en 2008, est aujourd'hui à 3,7 %. Sa situation n'a rien à voir avec la nôtre, qui me paraît dramatique, car je ne vois rien, dans votre politique, qui soit de nature à ramener le déficit à des valeurs acceptables.

Le déficit de la France s'élève à 141 milliards d'euros, ce qui représente l'investissement de l'État, augmenté de la totalité des intérêts de la dette – 42 milliards d'euros dans le budget initial, 37 milliards d'euros aujourd'hui – et de toutes les dépenses du budget général en matière salariale. Quand un État finance tous les intérêts de sa dette et toutes ses dépenses salariales par le déficit, il se trouve dans une situation intenable. Quand, tous les jours, l'État emprunte entre 0,5 milliard et 1 milliard d'euros sur les marchés financiers afin de régler ses dépenses courantes, il me paraît indécent d'évoquer un grand emprunt destiné à financer les dépenses d'avenir.

J'ai entendu cet après-midi les membres du Gouvernement expliquer que les collectivités locales maîtrisaient mal leurs finances. Je trouve que quand un État finance la moitié de ses dépenses courantes par le déficit, c'est-à-dire par l'impôt des générations futures, il est mal placé pour donner des leçons à des collectivités territoriales qui, elles, ne s'endettent que pour investir ! (« Très bien ! sur les bancs du groupe SRC.)

Dans une telle situation, peut-on accepter qu'il soit procédé à une réforme de la taxe professionnelle coûtant 11,7 milliards d'euros à nos finances publiques ? Peut-on accepter que soient prises des mesures de baisse de la TVA pour 2,5 milliards d'euros ? Dans le contexte que nous connaissons, c'est complètement irresponsable ! Et que penser des allégements fiscaux consentis depuis 2002 pour plus de 40 milliards d'euros, essentiellement au bénéfice des plus favorisés de nos concitoyens ? Ces mesures ont toutes été financées avant la récession, mais financées par le déficit, c'est-à-dire par l'impôt sur les générations futures.

Dans la situation où elle se trouve, la France aurait besoin d'une politique cohérente, afin de retrouver la confiance. Nos concitoyens et nos entreprises ont besoin de savoir où l'on va. Or, au lieu d'une politique cohérente, c'est à une succession de plans de communication que l'on assiste. Le projet de loi de finances dont nous avons discuté, qui va d'ailleurs revenir la semaine prochaine en commission mixte paritaire, était vide de toute signification : les mesures dites d'avenir qu'il contient dépendent en effet d'un grand emprunt dont nous débattrons dans le cadre d'un prochain collectif budgétaire.

Ce collectif budgétaire est un constat au fil de l'eau dont le seul intérêt, comme le disait le président de la commission des finances, est de montrer l'énormité de notre déficit et les problèmes que nous allons devoir résoudre pour le réduire. Demain, nous allons discuter d'un grand emprunt : je crains qu'il ne subisse le même sort que les 300 propositions du rapport Attali, exposées il y a un an et demi et censées libérer la croissance française, mais dont on se demande ce qu'elles sont devenues. Le rôle d'un budget est de faire apparaître la cohérence d'une politique économique. Aujourd'hui, c'est un fait, la France manque d'une politique cohérente.

Comment croire aux prévisions sur la réduction future du déficit ? Comment croire Mme Lagarde quand elle affirme que nous reviendrons peut-être, en 2013, à des déficits comparables à ceux admis par le traité de Maastricht ? L'alpha et l'oméga de votre politique de RGPP, la seule mesure de réduction de déficit que vous ayez instaurée, a consisté dans le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite – ce qui vous conduit, cette année, à mettre en oeuvre le plus grand plan social du pays, avec 33 000 emplois supprimés – pour un résultat limité à 500 millions d'euros d'économie. Comparée aux 141 milliards d'euros de déficit, cette économie ne représente qu'une journée de déficit public. Qui peut croire que vous avez pris la mesure de la situation financière de la France ?

Que trouve-t-on dans ce collectif ? Rien d'autre qu'une politique à la petite semaine, lorsqu'on analyse le rapport de la Cour des comptes.

Ainsi, il n'y figure pas d'ouverture de crédits pour l'acquisition de vaccins, ce qui fait peser sur l'assurance maladie le préfinancement de la campagne de vaccination, pour un montant de 900 millions d'euros. En revanche, on y trouve des ouvertures de crédits qui ne répondent pas aux principes de la LOLF.

Aucun motif autre que le souci de limiter le volume des crédits ouverts en loi de finances – et son impact sur le solde budgétaire affiché – ne justifie le renvoi délibéré et récurrent à des ouvertures par voie réglementaire de crédits dont il est d'ores et déjà patent qu'ils seront nécessaires.

Enfin, le collectif comporte des annulations de crédits ouverts au titre du plan de relance dans le domaine de l'écologie – ce qui paraît bien malvenu au moment du sommet de Copenhague – ou en matière de recherche et d'enseignement supérieur : vous ouvrez 15 millions d'euros d'un côté pour en annuler 107 de l'autre, sans aucune cohérence ni avec l'engagement du Président de la République au sujet du budget de l'enseignement supérieur ni avec le grand emprunt dont nous débattrons dans le cadre du prochain collectif.

Il y a, certes, quelques points positifs, comme cela a été souligné précédemment.

Ainsi l'article 14, relatif aux paradis fiscaux, dote notre pays d'une propre liste de territoires non coopératifs. On aurait pu s'attendre à de vraies avancées en la matière, mais vous n'avez retenu que quelques-unes des propositions émises par le rapport parlementaire. Pour l'essentiel, cet article s'en remet à l'OCDE, puisqu'il prévoit le retrait automatique de la liste dès lors que cette organisation aura exprimé son point de vue. Certes, l'OCDE est une institution tout à fait respectable, mais n'oublions pas que bon nombre d'États ont disparu de la liste grise en signant des conventions. Ainsi, Monaco a disparu de la liste après avoir signé des accords avec le Quatar, les Îles Vierges, Andorre, le Liechtenstein, le Luxembourg. Cependant cela sera-t-il vraiment de nature à modifier le comportement de ceux qui utilisent les paradis fiscaux ? Qui peut être dupe de ce genre de conventions ?

Vous avez choisi une liste initiale restreinte en 2010, en excluant a priori certains pays européens – nous en avons beaucoup discuté en commission – sous la menace d'une réintégration en cas de non-respect de quatre critères. Qui peut croire que vous oserez vraiment réintégrer des États européens dans la liste, alors que vous les en avez sortis au départ ?

Les vraies questions en Europe sont celles de la renégociation de la directive Épargne et de la généralisation de l'échange automatique d'informations pour l'ensemble des revenus d'épargne, imposée à l'ensemble des pays européens. Il faut également créer de nouvelles obligations déclaratives, par exemple l'obligation pour un établissement financier de déclarer tout mouvement financier, tout produit, tout montage financier en lien avec un territoire non coopératif.

Il faudrait aussi étendre ces mesures déclaratives aux professions juridiques et financières qui procèdent à de tels montages.

Enfin, nombre de sujets ne sont pas traités : je pense par exemple aux sociétés d'assurance, aux pavillons de complaisance dont on pourrait interdire l'accès aux eaux territoriales. J'ai entendu le ministre parler des trois phases actuelles de lutte contre les paradis fiscaux. Le pas le plus important sera réalisé dans les phases 4 ou 5. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'aux déclarations d'intention.

Revenons-en à la politique économique.

Pour moi, nous sommes loin d'être sortis de la crise. Le rebond d'activité constaté actuellement dans de nombreux pays est dû en effet pour l'essentiel au commerce extérieur. C'est lui qui explique la reprise des deuxième et troisième trimestres. Si l'on retire, comme le font les conjoncturistes, la contribution du commerce extérieur, il apparaît que la demande intérieure continue à baisser. L'effet sur la consommation qui a résulté de la baisse des prix du pétrole est derrière nous. Dans les trimestres et les années à venir, les destructions d'emplois ne seront plus compensées par des augmentations de pouvoir d'achat individuelles dues à la désinflation. Comme le prévoient tous les instituts de conjoncture, la progression de la consommation sera lente parce que les destructions d'emplois vont se poursuivre et que rien ne viendra compenser le pouvoir d'achat. La reprise est donc extrêmement fragile.

Dans une telle situation, les deux axes manquants de la relance, l'emploi et le pouvoir d'achat, sont plus que jamais d'actualité. Il faut en effet une politique active de l'emploi, dans l'esprit par exemple des emplois jeunes. Il faut des emplois publics, qui permettent de résister à une destruction considérable de l'emploi. Je rappelle que 800 000 emplois seront détruits en 2009 et 2010 si l'on en croit les prévisions des principaux instituts. Face à une telle situation, le Gouvernement ne peut pas se limiter à stopper la diminution des emplois aidés dans le secteur public : il faut créer des emplois non marchands.

On connaît les résultats d'une telle politique : les créations d'emplois pour les jeunes redonnent confiance aux jeunes, aux ménages et contribuent, à ce titre, à l'amélioration de la croissance et à la reprise de l'emploi dans le secteur privé.

Il convient également de soutenir le revenu des ménages modestes. À cet égard, nous l'avons déjà dit et nous y reviendrons : notre pays a besoin d'une très profonde réforme fiscale. Celle-ci devra aller complètement à l'encontre de ce qui a été fait depuis 2002.

La fiscalité française actuelle est très peu redistributive par rapport à celle de la plupart des autres pays européens développés.

Cela est d'abord dû au fait que nos impôts indirects sont extrêmement élevés et régressifs. Ils représentent ainsi 3,5 % des revenus des ménages les plus riches et 11,7 % pour les plus modestes.

S'agissant des impôts directs, la CSG, contribution proportionnelle, n'est pas redistributive et l'impôt sur le revenu s'est réduit comme une peau de chagrin au fil des diminutions successives du taux d'imposition des revenus sur les hauts revenus depuis 2002. D'ailleurs, aujourd'hui, le produit de la CSG est plus élevé que celui de l'impôt sur le revenu. Si l'on additionne les deux, on arrive à 7 % de la richesse nationale, c'est-à-dire à peu près à ce que représente l'impôt sur le revenu dans la plupart des pays européens.

Voilà pourquoi nous disons qu'il est indispensable de mettre en oeuvre une profonde réforme de l'impôt sur le revenu. Il faut fusionner les deux composantes, rendre la CSG progressive et instaurer un impôt citoyen sur le revenu. Tout le monde paie un impôt sur le revenu, même les plus modestes avec la CSG. Cet impôt doit être progressif. Ce sera une façon de redonner du pouvoir d'achat aux plus modestes.

Je rappelle qu'il existe 470 niches fiscales dans notre pays. Celles-ci sont à l'origine d'un nouveau paradoxe : plus on monte dans l'échelle des revenus et plus l'impôt devient régressif. Les très très hauts revenus devraient être soumis au taux marginal, soit 40 %. Or le taux d'imposition moyen des mille plus gros revenus ne se rapproche pas du tout de 40 % : il est de 25 %. Et si l'on s'en tient aux dix plus gros revenus, ce taux est de moins de 20 %.

Comment arrive-t-on à un tel résultat ? À cause de la multiplication des niches fiscales, auxquelles le citoyen lambda n'a pas recours, car il ne les connaît pas, mais que ceux qui optimisent leur fiscalité utilisent abondamment pour arriver à ces situations que nous avons découvertes lorsque nous avons étudié les conséquences du bouclier fiscal. Une trentaine de personnes, dotées d'un patrimoine de 15 millions, ne payaient ainsi aucun impôt sur le revenu et, utilisant le bouclier fiscal, se faisaient rembourser tout leur ISF et une partie de leur CSG. Il faut remédier à cette situation scandaleuse. Nous avons besoin d'une importante réforme fiscale.

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