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Intervention de Michel Zumkeller

Réunion du 2 décembre 2009 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Zumkeller, rapporteur :

Ce rapport a pour ambition de démontrer la nécessité d'améliorer le suivi sanitaire et psychique des mineurs placés sous main de justice. Les auditions que nous avons réalisées ont, en effet, montré l'urgence de repenser l'articulation du soin et de l'accompagnement éducatif pour donner sa pleine efficacité à la sanction pénale. Que vaut une mesure de contrainte si elle ignore la souffrance physique ou psychique de celui à qui elle s'adresse ?

Notre rapport est le fruit d'un long travail auprès des professionnels de terrain : nous en avons auditionné vingt-six à l'Assemblée et rencontré une cinquantaine lors de sept déplacements en province. Nous avons également recueilli des informations grâce à des questionnaires que nous avons envoyés, notamment à l'ensemble des centres éducatifs fermés.

Avant de présenter les recommandations du rapport, je voudrais saluer le travail commencé par Mme Michèle Tabarot qui était la rapporteure initiale de ce rapport et à laquelle j'ai succédé lorsqu'elle a été élue présidente de la Commission des affaires culturelles.

L'objectif de notre travail a été de savoir si l'état de santé, somatique comme psychique, des adolescents faisant l'objet d'une procédure pénale est suffisamment pris en compte dans la phase préparatoire à la décision de justice comme dans la phase de son exécution. Un bon suivi sanitaire et psychique semble être, en effet, une condition fondamentale pour permettre une décision judiciaire adaptée à la personnalité du mineur, son état de santé ayant des répercussions évidentes sur sa perception de la réalité et sur son sens des responsabilités.

Notre rapport est surtout centré sur les mineurs délinquants et n'abordera que marginalement le thème des mineurs en danger.

L'objet de la mission d'information porte sur les « personnes placées sous main de justice » c'est-à-dire d'une part, les détenus incarcérés dans des établissements pénitentiaires et d'autre part, les personnes condamnées en milieu ouvert (travail d'intérêt général, libération conditionnelle…) ou bénéficiant d'un aménagement de peine. Lorsqu'elles sont mineures ces personnes sont suivies par les services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ).

Nos investigations se sont limitées aux mineurs délinquants relevant de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante, sans aborder la problématique des mineurs en danger de manière approfondie (mesures dites « d'assistance éducative » prévues par les articles 375 et suivants du code civil).

Plusieurs arguments ont plaidé pour centrer les travaux de la mission sur les mineurs délinquants sans aborder la problématique des mineurs en danger : les mesures d'assistance éducatives ne relèvent pas de la justice pénale et leur mise en oeuvre connaît actuellement de profonds changements à la suite des nouvelles dispositions de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et attribuant aux conseils généraux la responsabilité des mesures relatives à la protection de l'enfance et à l'enfance en danger.

Dès lors, le rapport n'aborde pas les questions liées à la prévention sanitaire ni aux outils de détection de ces « troubles du comportement ».

Dans une première partie du rapport, nous avons recensé les données statistiques existantes sur l'état de santé des mineurs placés sous main de justice et analysé les résultats des enquêtes les plus importantes menées par l'Inserm en 1998 et 2004. Il apparaît clairement que ces données sont déjà anciennes et assez sommaires. C'est pourquoi nous proposons d'améliorer les connaissances sur cette question en travaillant notamment sur des cohortes de jeunes suivis pendant plusieurs années pour étudier leur insertion sociale en tant que jeunes adultes. Jusqu'à présent les études ne permettent que d'avoir une photographie à un instant précis de l'état des mineurs délinquants sans que l'on puisse étudier les trajectoires de vie individuelle sur plusieurs années.

Conscient des lacunes existantes, le ministère de la Justice a décidé de lancer pour la période 2008-2010, trois grandes enquêtes épidémiologiques, portant essentiellement sur la santé psychique des mineurs mais leur réalisation concrète a été retardé par des problèmes méthodologiques. Les thèmes retenus à savoir la prévalence des troubles psychopathologiques chez les mineurs délinquants, les liens de causalité entre délinquance et addictions et la prise en charge des adolescents ayant de graves troubles du comportement par les urgences psychiatriques reflètent bien les préoccupations majeures des professionnels de la protection judiciaire de la Jeunesse.

L'amélioration des connaissances statistiques et scientifiques sur l'état de santé des mineurs placés sous main de justice suppose un renforcement du partenariat entre les ministères de la Santé et de la Justice qui souffre pour l'instant d'un manque de cohérence et d'efficacité.

La question du renforcement du partenariat entre les deux ministères est un point crucial sur lequel toutes les personnes auditionnées ont insisté et qui constitue la deuxième partie du rapport. La mission s'est ensuite interrogée sur la manière d'améliorer le suivi médical et psychologique des mineurs pour éclairer la prise de décision des magistrats. Le bilan de santé somatique comme psychique d'un jeune délinquant doit être considéré comme un élément déterminant pour l'évaluation de la personnalité du mineur.

Dans une troisième partie, nous avons émis des préconisations pour développer le suivi sanitaire du mineur. La mission propose ainsi de compléter l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante pour y intégrer la notion de continuité des soins et rendre obligatoire un bilan de santé lors de tout hébergement en établissement. Elle recommande aussi la mise en place d'un dossier judiciaire unique.

Nous proposons ensuite des solutions pour améliorer la prise en charge des mineurs présentant des troubles du comportement qui sont souvent placés dans des établissements inadaptés. Analysant les progrès apportés par certains établissements expérimentaux, le rapport propose d'étudier la généralisation des innovations les plus remarquables et de formaliser, dans le cadre de conventions locales, une coopération entre établissements de la PJJ et les services de soins de la pédopsychiatrie. Cette question est cruciale pour la réussite de l'accompagnement éducatif de ces mineurs qui souffrent aujourd'hui d'une dispersion des moyens mis en place en leur faveur. Seule une étroite articulation entre soin et sanction éducative permettra de donner tout son sens à la démarche de réinsertion que les mineurs placés sous main de justice ont entreprise.

Enfin, le rapport aborde brièvement la question de la formation des personnels éducatifs de la PJJ. Ils sont aujourd'hui confrontés à une profonde réforme des établissements et doivent intervenir dans un contexte beaucoup plus contraignant que par le passé. Redonner de la cohérence aux équipes éducatives est un défi redoutable alors que de nombreux professionnels en établissements sont peu expérimentés.

Je terminerai en présentant les principales propositions qui ont été regroupées autour de six axes :

Concernant l'amélioration des connaissances sur les mineurs délinquants nous proposons d'améliorer la coordination entre la DPJJ et l'École de la PJJ à Roubaix pour parvenir à une recherche appliquée qui puisse déboucher sur des recommandations opérationnelles.

Pour renforcer le partenariat Santéjustice nous préconisons d'instituer au niveau national un comité de pilotage interministériel restreint. Ce comité, qui pourrait comprendre des personnalités qualifiées, extérieures à l'administration (à l'instar du contrôleur général des lieux de privation de liberté) aura la responsabilité d'impulser une véritable politique sanitaire en prison et pour les personnes placées sous main de justice aux objectifs clairement précisés et aux contraintes mieux partagées par tous.

Nous proposons aussi d'étendre les compétences de la Mission nationale d'appui en santé mentale pour lui permettre d'évaluer l'organisation de la coopération entre la PJJ et la pédopsychiatrie dans d'autres départements et lui permettre d'intervenir à titre d'expert pour résoudre des solutions de blocage.

Il nous semble aussi important, pour améliorer la planification des équipements, que les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) comportent un volet thématique sur la « santé et Justice », concernant aussi bien les soins somatiques que psychiatriques.

Pour développer le suivi sanitaire des adolescents et éclairer la prise de décision des magistrats nous proposons de compléter l'ordonnance du 2 février 1945 (articles 8, 15, 16 et 33) pour indiquer que tout hébergement dans un établissement s'accompagne d'un bilan de santé somatique et psychique et prévoir des mesures favorisant la continuité des soins et du suivi thérapeutique à l'issue d'une période de détention ou de placement. L'ordonnance doit aussi affirmer le principe de coordination entre le suivi éducatif et les soins pénalement obligés.

Les auditions ayant révélé des lacunes dans le suivi de médecine somatique nous suggérons de créer dans chaque département, sur les crédits des établissements hospitaliers, un service de consultation pour les adolescents, sur le modèle de celui de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris, qui offre des soins gratuits et permette la réalisation de bilan de santé et une orientation vers les services médicaux spécialisés selon les pathologies diagnostiquées.

Nous proposons aussi de réaliser lors de la Journée d'appel de préparation à la défense (JAPD) un bilan de santé et procéder aux vaccinations nécessaires.

Une des propositions les plus importantes est de parvenir à mettre en place le dossier judiciaire unique qui permettra de suivre un mineur dans son intégralité alors qu'aujourd'hui un mineur a autant de dossiers que d'infractions commises. Pour que le dossier judiciaire unique puisse devenir rapidement opérationnel il est indispensable de mettre en place le logiciel Cassiopée dans les juridictions.

Nous faisons aussi des propositions sur la pédopsychiatrie qui connaît actuellement de graves lacunes.

Le ministère de la Santé devrait publier un texte réglementaire, modifiant les directives de la circulaire 11 décembre 1992. Ce texte devrait faire obligation aux services pédopsychiatriques d'accepter les mineurs jusqu'à 18 ans. À moyen terme, il conviendrait de favoriser la création de services hospitaliers ayant des unités adolescents et jeunes adultes permettant un accueil en urgence comme en court séjour.

Il convient également d'adapter l'organisation des établissements en reconnaissant la spécificité les centres de placement immédiat et en évitant de nommer de jeunes professionnels sortant d'école car la gestion des groupes y est particulièrement délicate.

Quant aux centres éducatifs fermés, il convient d'engager une réflexion sur les méthodes pédagogiques utilisées et de mettre en oeuvre des prises en charge plus individualisées permettant au mineur un travail personnel d'introspection.

Les CEF doivent formaliser avec la Justice et les services de sécurité une procédure de gestion des incidents afin de permettre de prendre des sanctions immédiates à l'encontre des mineurs qui ne respectent pas leurs obligations. De la rapidité de la réponse dépend la réussite d'une prise en charge « contraignante ».

Concernant les établissements pénitentiaires pour mineurs, il faudrait prévoir de nommer une part de personnel expérimenté pour éviter que de jeunes professionnels ne soient confrontés, sans aucun soutien, à des cas difficiles. Avant l'intégration en EPM, une formation appropriée et conjointe aux éducateurs et surveillants devra être suivie.

Afin de permettre aux établissements de faire face à des mineurs ayant des troubles psychiques graves il est indispensable d'organiser la coopération entre ces établissements et les services de soins en pédopsychiatrie. S'inspirant de la méthode adoptée par les CEF à vocation de santé mentale, les DPJJ doivent nouer des partenariats avec les structures de soins de pédopsychiatrie afin que les établissements disposent d'une réponse médicale clairement identifiée en cas de crise.

Les solutions innovantes doivent être pérennisées. Il serait très utile de créer en région parisienne un établissement mixte sanitaire et éducatif pour accueillir les adolescents en crise en s'inspirant des avancées thérapeutiques mises en place à l'établissement de placement éducatif et de traitement de la crise de Suresnes (EPETC). De même on pourrait s'inspirer des avancées offertes par la Structure intersectorielle pour adolescents difficiles (SIPAD) de Nice pour créer d'autres structures sur ce modèle.

De nombreux professionnels ont suggéré l'extension des équipes mobiles de pédopsychiatrie avec une double vocation : faciliter l'accès aux soins des adolescents qui répugnent à s'adresser à la pédopsychiatrie et apporter un soutien technique aux professionnels notamment de la PJJ pour faire face aux moments de crise et orienter vers un service de soins adapté. Pour aider les professionnels confrontés à des cas cliniques difficiles on pourrait créer sur le modèle du Dispositif expert régional pour adolescents en difficulté (DERPAD) de la région parisienne, des dispositifs d'expertise et d'aide aux établissements confrontés à des situations de crise.

Enfin concernant la formation des personnels , un effort important doit être fait aussi bien pour la formation initiale que continue pour renforcer la formation relative à la gestion des groupes et aux modes d'expression de la violence à partir de l'étude de cas concrets.

Voici les principales recommandations de ce rapport mais l'essentiel me paraît être dans la coopération entre les deux ministères pour donner une véritable impulsion politique à la gouvernance Santé- Justice.

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