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Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 24 novembre 2009 à 15h00
Application de l'article 61-1 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avec cette seconde lecture du projet de loi organique relatif à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, nous poursuivons le vaste chantier que constitue la mise en place effective de l'ensemble des dispositions de la révision constitutionnelle, votée il y a présent plus d'un an par le Congrès.

La session extraordinaire de nos travaux s'est ainsi ouverte sur la première lecture de ce texte et refermée sur l'examen du projet relatif à l'encadrement du pouvoir de nomination du Président de la République. Dans quelques jours, nous examinerons en commission le projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature – où magistrats et non-magistrats seront désormais à parité – avant de discuter, très prochainement, nous le souhaitons, des textes touchant au Défenseur des droits ainsi qu'à l'extension du référendum.

Lors de la révision constitutionnelle s'est imposé un constat selon lequel moderniser notre démocratie n'impliquait pas seulement de revoir au sein de notre loi fondamentale les règles régissant les rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif. À l'instar du référendum d'initiative partagée, l'inscription dans la Constitution d'un nouvel article 61-1 a ainsi procédé d'une logique propre, visant à donner à nos concitoyens de nouveaux droits, de nouvelles voies pour s'impliquer dans la vie de leurs institutions et par là de nouveaux moyens de peser dans le débat public.

L'entrée en vigueur effective de l'article 61-1 permettra ainsi à tout citoyen de se prévaloir devant la justice des droits fondamentaux garantis par la Constitution, et donc également par le Préambule de 1946 et la Déclaration de 1789. Devant toute juridiction, qu'elle relève de l'ordre administratif ou judiciaire, un citoyen sera désormais en mesure de poser la question de la constitutionnalité de la disposition législative qui lui est opposée, avec la perspective de la voir abrogée dans le cas où elle contreviendrait effectivement à une disposition de valeur constitutionnelle, et ce conformément à l'article 62 de la Constitution.

Cette nouvelle voie de droit, rebaptisée à l'occasion de nos travaux en première lecture « question prioritaire de constitutionnalité », est donc tout d'abord un moyen de réaffirmer au sein de notre ordre juridique la prééminence de la norme constitutionnelle. C'est aussi, dès lors, un moyen de faire progresser dans notre pays l'État de droit en soumettant l'ensemble de la législation en vigueur, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à 1974, à la possibilité d'un contrôle par le juge constitutionnel.

Le contrôle préventif de la norme législative, institué en 1958 et systématisé par l'ouverture à l'opposition parlementaire de la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel, sera ainsi complété par un mécanisme de contrôle a posteriori, dont la vocation sera cette fois-ci curative, et qui permettra de purger de notre ordre juridique l'ensemble des normes inconstitutionnelles, que celles-ci l'aient été dès l'origine ou qu'elles le soient devenues à l'occasion d'un changement de circonstances de droit ou de fait.

L'entrée en vigueur effective de l'article 61-1, c'est aussi et peut-être surtout, mes chers collègues, un nouveau pouvoir entre les mains du citoyen justiciable. Celui-ci ne sera ainsi plus, comme c'est encore paradoxalement le cas aujourd'hui, obligé de se tourner vers les juridictions européennes plutôt que vers un juge français pour faire valoir l'un des droits fondamentaux que lui garantit la Constitution. Ces droits eux-mêmes, l'égalité entre hommes et femmes ou encore l'égalité entre tous les citoyens devant les charges publiques, pour ne citer que ceux-là, souvent suspects de n'être que fictifs, prendront ainsi à leur tour une résonance et une force nouvelles.

Après que deux projets similaires eurent été, en 1990 puis en 1993, déposés par le Gouvernement avant d'échouer à recueillir l'assentiment du Parlement, les députés du Nouveau Centre ont apporté dès la première lecture – et même dès l'examen de la révision constitutionnelle – leur soutien à ce texte, et c'est, vous l'avez dit, madame la garde des sceaux, dans un esprit de large consensus que notre assemblée l'a adopté en première lecture.

Lors de ces débats, nous avions mis en avant la nécessité pour la question prioritaire de constitutionnalité de n'être ni un nouvel artifice de procédure, un mécanisme à vocation strictement dilatoire, rallongeant inutilement le cours d'un procès, ni une mesure simplement théorique car trop complexe à utiliser pour le justiciable.

La question du filtrage des requêtes joue en effet un rôle central dans la viabilité du dispositif qui sera mis en place. Trop lâche, le filtre aurait pour conséquence de conduire à la saturation du Conseil constitutionnel et, à l'instar du tribunal constitutionnel de Karlsruhe dans les années 1970, à sa complète paralysie. Trop étanche, le filtre aurait à l'inverse pour seul effet de priver purement et simplement le citoyen du droit de voir sa question prospérer devant le Conseil constitutionnel, alors même qu'elle pouvait être légitime, en méconnaissant du reste le principe de spécialisation des juridictions.

L'un ou l'autre de ces écueils ferait alors immanquablement de cette réforme un rendez-vous manqué. Cette question centrale des critères retenus pour filtrer les requêtes a été posée devant notre assemblée et elle a fait, lors de la première lecture, l'objet d'un riche débat avec le Gouvernement. Je crois, comme vous l'avez dit, que nous avons pu enrichir ce texte.

Le Sénat, pour sa part, a adhéré aux orientations retenues par notre assemblée et le dispositif de filtrage conserve ainsi l'équilibre qui avait été trouvé en première lecture dans cet hémicycle.

Le second point déterminant pour la viabilité de la question prioritaire de constitutionnalité tient aux délais de cette nouvelle procédure.

Nous nous réjouissons tout d'abord que des précautions aient été prises afin que le sursis à statuer entraîné par la transmission d'une question prioritaire n'ait pas de conséquences trop lourdes pour l'une ou l'autre des parties. Ainsi, lorsque la privation de liberté d'une personne sera en cause, le juge aura la possibilité – nous y tenions beaucoup – de déroger à cette règle du sursis à statuer. C'est là un point essentiel, dans la mesure où la mise en place de cette nouvelle voie de droit ne saurait se traduire par un rallongement d'une détention provisoire.

Au-delà de ces exceptions, la procédure de la question prioritaire se doit d'être courte, du moins ses délais se doivent-ils d'être prévisibles pour les parties. Si nous pouvons constater, à l'issue de l'examen par le Sénat, un désaccord de forme avec la position de nos collègues sénateurs en ce qui concerne le délai laissé à la première juridiction pour décider de transmettre ou non la question à sa juridiction suprême, il n'en demeure pas moins que les modifications apportées au texte procèdent d'un souci de fluidifier au maximum la procédure de la question de constitutionnalité et qu'elles ne traduisent donc pas un désaccord quant au fond du texte.

Aussi, madame la ministre d'État, les députés du Nouveau Centre confirmeront-ils, à l'occasion de cette seconde lecture, leur total soutien à ce texte.

Pour autant, ce qui déterminera le succès ou l'échec de la question prioritaire de constitutionnalité sera bien la réalité ou non de son appropriation par nos concitoyens. Aussi nous formons le voeu que cette réforme, une fois entrée en vigueur, puisse faire l'objet, notamment sur ces questions du filtre et des délais, d'une réelle évaluation a posteriori par le législateur, afin qu'elle marque réellement le progrès que nous en attendons pour la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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